Voici venu le temps des Fêtes, cette fin d’année illuminée où les souvenirs de ceux qui nous ont quittés envahissent nos mémoires et titillent la nostalgie dans nos cœurs.

Plus qu’une période de réjouissance, le temps des Fêtes est aussi celui qui nous amène à braquer le regard sur la partie inférieure du sablier de la vie qui s’écoule et à penser à ceux qui viennent de nous quitter. De ces disparus, il y a des phares qui s’éteignent en emportant avec eux les lumières qui faisaient la magie des rassemblements familiaux. Ainsi va la vie humaine depuis que la nature a décidé que la biosphère ne pouvait être un lieu de vie éternelle et que le recyclage des corps était au centre de ce tableau qu’elle peint depuis plus de 3,5 milliards d’années. « On ne peut jamais tourner une page de sa vie sans que s’y accroche une certaine nostalgie. L’invisible araignée de la mélancolie étend toujours sa toile grise sur les lieux où nous fûmes heureux et d’où le bonheur s’est enfui. » Ainsi disait la romancière, poète et compatriote rimouskoise Ève Bélisle, qui nous a quittés en 2002.

Ma défunte maman, qui faisait partie de ces piliers dont l’effondrement déstabilise un édifice familial, enseignait que bien avant les médicaments et les docteurs, la présence et le cœur de l’autre sont indispensables à notre santé physique et mentale. Une vérité à laquelle le biologiste en moi ne peut qu’adhérer. L’humain est un animal social dont l’homéostasie dépend grandement des autres. D’ailleurs, le virus de la COVID-19 nous a rappelé durement cette réalité. En forçant tout le monde au confinement, qui est comparable au principe de séquestration sur lequel sont basées nos prisons, ce virus a laissé sur son passage une épidémie de problèmes de santé mentale dont les psychologues, les médecins, les enseignants et les professionnels de l’éducation commencent juste à évaluer l’ampleur.

Nous avons besoin les uns des autres. Se toucher, se parler, se chicaner, se réconcilier, manger ensemble, se consoler, se remonter le moral, pactiser, potiner et partager les joies et les larmes des autres sont autant de comportements qui sont au cœur de notre humanité.

Je vous souhaite donc, chers lecteurs et lectrices, de vous soigner mutuellement en famille ou entre amis pendant cette période des Fêtes. Si vous voulez pousser la thérapie plus loin, pourquoi ne pas combler tous vos vides en tirant une bûche à quelqu’un qui rumine en solitaire ? Le repas partagé, si frugal soit-il, se transformera alors en un festin de roi ouvert à tous les sujets et, pour une fois, c’est le cynisme qui deviendra le dindon de la farce.

Pourquoi ne pas offrir à un étranger cette place qu’on laissait traditionnellement libre à la table des familles québécoises pendant la boustifaille de Noël ? Au début des années 1990, alors que j’étais rongé par la solitude dans la froidure de Rimouski, mon ami Pierre Gauthier a posé ce beau geste à mon égard. Pierre réquisitionnait le bungalow de ses parents pour offrir un rassemblement de Noël à des étudiants étrangers esseulés dans la ville. C’était son Noël des sans-famille. Je vous jure que cette petite attention a fait du chemin jusque dans mon cœur et n’en est jamais ressortie. Je peux même vous dire qu’elle fait partie des catalyseurs de ce grand intérêt que j’ai pour le Québec et son histoire. Le désir d’intégration naît bien plus dans ces étincelles de tendresse que dans la réclame politique. Autrement dit, c’est bien beau de raconter qu’il faut intégrer les immigrants, mais on ne peut pas forcer quelqu’un à s’intéresser à une nouvelle culture et à l’adopter. Le désir de s’intégrer est une démarche bien personnelle qui prend souvent racine quand l’amour et les mains tendues le catalysent.

Un jour, dans un bouquin de Paulo Coelho, je suis tombé sur un petit conte que j’aime beaucoup et qui s’inscrit très bien dans mon sujet. Puisque nos anciens disaient que la fable est l’esprit d’un seul qui devient la sagesse de tous, je vous en fais part en ces temps de réjouissances. Ce sera mon petit conte de Noël pour terminer la saison.

« Un rabbin demanda un jour à ses deux disciples s’ils pouvaient lui dire avec exactitude quand finit la nuit et quand commence le jour. Un des élèves leva alors la main et répondit :

— Maître, c’est quand de loin nous pouvons distinguer une brebis d’un chien.

— En réalité, fit l’autre, c’est quand de loin nous pouvons différencier un olivier d’un figuier.

— Vous n’avez pas la bonne réponse, trancha le rabbin avant d’ajouter : c’est quand un étranger s’approche, que nous le confondons avec notre frère et que les conflits disparaissent. Voilà le moment où la nuit prend fin et où le jour commence. »

Dans la sagesse orientale, il y a un proverbe qui résume autrement cette histoire : « Un jour, en me promenant dans la montagne, j’ai vu une bête sauvage. En m’approchant, j’ai réalisé que c’était plutôt un humain. Et en m’approchant encore, j’ai reconnu mon frère. »

Je vous souhaite un joyeux temps des Fêtes !