Pierre Fitzgibbon souhaite que vous démarriez votre lave-vaisselle à 2 h du matin plutôt qu’après le souper.

Sur le fond, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a raison. Il faut « aplatir la courbe » de notre consommation d’électricité, comme le dirait Horacio Arruda en se tapant une main avec l’autre.

La demande d’électricité dans la province s’apprête à bondir à mesure qu’on électrifie le Québec pour le décarboner.

Or, si tout le monde charge sa voiture électrique en rentrant du travail, on aura des problèmes. Vers 18 h, les soirs de grands froids, la consommation d’électricité pourrait devenir ingérable. Le gouvernement veut éviter de devoir hausser sa production uniquement pour répondre aux pointes hivernales, qui ne durent qu’une centaine d’heures par année.

Le ministre fait donc bien de nous prévenir dès maintenant qu’il faut consommer l’électricité de façon plus « intelligente ».

Il nous dit aussi qu’il faudra devenir « sobres » et consommer moins, notamment en réduisant le gaspillage. Ça aussi, c’est vrai.

Hydro-Québec, qui avait une cible d’efficacité énergétique de 8 TWh, veut maintenant s’approcher de 25 TWh. Atteindre cet objectif sera loin d’être simple. En pleine pénurie de main-d’œuvre, trouver des travailleurs pour changer les fenêtres, isoler les murs et installer des thermopompes chez des milliers de Québécois sera un défi.

Mais il faut aller aussi loin que possible et on ne reprochera jamais à Hydro et au gouvernement d’avoir de l’ambition.

Le problème se trouve dans les moyens que le ministre entend employer pour nous faire consommer moins et plus intelligemment. Ou plutôt, dans ceux qu’il écarte déjà sans prendre la peine de les analyser.

Cette semaine, M. Fitzgibbon a réuni une soixantaine d’experts pour débattre des meilleures façons de produire, de consommer et de tarifer notre électricité.

Pour un gouvernement qui fonce parfois sans écouter, un tel exercice est rassurant. Il ne fait d’ailleurs que débuter. Une consultation en ligne sera bientôt lancée, et le tout débouchera sur un projet de loi cet automne.

Le hic, c’est qu’on démarre l’exercice en fermant déjà certaines portes.

Ainsi, pour vous inciter à programmer votre lave-vaisselle, M. Fitzgibbon veut baisser les tarifs pendant la période creuse. Il refuse toutefois d’envisager de les hausser en période de pointe.

Il ferme aussi la porte à l’idée de tarifs résidentiels plus élevés en tout temps pour limiter le gaspillage.

« On n’est pas un gouvernement de taxes, on baisse les impôts », a-t-il justifié.

Cette obsession d’éviter toute discussion sur de possibles hausses de taxes et de tarifs est érigée en dogme à la CAQ. On l’a vu quand, confrontée aux déficits des sociétés de transport collectif, la ministre des Transports Geneviève Guilbault a écarté d’un revers de main des solutions comme le péage, la hausse des immatriculations sur les véhicules polluants ou la taxe kilométrique sans débat ni analyse.

On s’apprête à commettre la même erreur avec l’électricité.

Il ne s’agit surtout pas de dire qu’on devrait se lancer tête baissée dans les hausses de tarif. Mais on doit pouvoir remettre en question nos vaches sacrées, ne serait-ce que pour s’assurer qu’elles sont toujours justifiées.

Prenez ce qu’on appelle l’interfinancement.

Quand vous payez votre facture d’Hydro-Québec, vous avez sans doute l’impression que l’argent sort de vos propres poches. En réalité, le café du coin et l’usine de la région vous aident un peu.

Les commerces assujettis au tarif « M » paient en effet leur électricité 28 % de plus que ce qu’il en coûte à Hydro-Québec pour les alimenter. Pour l’industrie, le supplément est de 13 %. Cela permet aux consommateurs résidentiels de bénéficier d’un rabais de 14 %.

Une telle politique est-elle toujours pertinente ?

La question a été posée aux experts réunis lundi dernier à l’invitation de M. Fitzgibbon. Sauf que ce dernier a déjà sa réponse.

« Je ne pense pas que ça doit changer », a-t-il dit en mêlée de presse la semaine dernière.

À quoi bon poser des questions si on a des idées toutes faites ?

Entendons-nous : il est clair que toute hausse des tarifs d’électricité devrait s’accompagner de mesures pour protéger les ménages à faibles revenus.

Il est aussi clair que de telles politiques ne devraient jamais viser à remplir les coffres d’Hydro-Québec, mais bien à réduire la consommation d’électricité. Si on aide les citoyens à améliorer leur performance énergétique, ceux-ci ne paieront pas plus au bout du compte. La hausse de tarif peut même être l’élément déclencheur qui conduira à des économies récurrentes.

Les carottes que veut nous tendre M. Fitzgibbon seront-elles suffisantes pour modifier nos habitudes à la hauteur des besoins à venir ? Ou faudra-t-il quelques bâtons pour nous inciter à programmer notre lave-vaisselle à 2 h du matin ?

On ne devrait pas avoir peur de se poser ces questions.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion