Le prix des logements. Les incendies de forêt. Les taux d’intérêt, les cônes orange dans les rues, les trolls sur Twitter. On a l’impression que tout augmente ces temps-ci.

Il y a toutefois quelque chose qui baisse en flèche : le nombre d’ex-conjoints qui se déchirent en Cour à propos de la garde de leurs enfants, de la séparation de leurs biens ou de la pension alimentaire à verser.

Depuis 1997, le nombre de dossiers ouverts à la Cour supérieure en matière familiale a chuté de moitié, passant de 38 703 à 19 268 en 2022.

C’est une excellente nouvelle. En plus d’être hautement émotifs pour les gens impliqués, ces procès sont coûteux pour la société et contribuent à engorger un système de justice déjà débordé.

Cette baisse n’est pas due au hasard. Elle correspond au moment où Québec a offert la médiation gratuite aux ex-amoureux qui ne parviennent pas à s’entendre.

Or, ces belles avancées sont actuellement remises en question parce que les médiateurs boudent le métier, s’estimant mal payés.

Alors que le ministère de la Justice prétend disposer de 1100 médiateurs, l’Association des médiateurs familiaux du Québec affirme qu’il n’en reste plus qu’environ la moitié, soit 600. Et même cette liste réduite est à prendre avec un bémol. En appelant les médiateurs qui s’y trouvent, notre collègue Louise Leduc est tombée sur plusieurs d’entre eux qui n’acceptent plus de nouveaux clients1.

C’est préoccupant.

Lorsqu’ils travaillent pour Québec, les médiateurs familiaux sont payés 110 $ l’heure. À première vue, ça peut paraître généreux. Mais les médiateurs ont des frais – location de bureau, gestion de dossier, administration – à assumer.

Surtout, ils peuvent facturer bien plus dans leur pratique privée. On sait que c’est le cas des avocats, nombreux parmi les médiateurs familiaux. Des professionnels comme les travailleurs sociaux, aussi admissibles à faire de la médiation familiale, se montreraient-ils davantage intéressés ?

Vérification faite, ce n’est pas le cas. L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec nous indique que le nombre de membres qui font de la médiation familiale est passé de 233 il y a deux ans à 182 actuellement. Un sondage interne a montré que les honoraires versés par Québec expliquent leur manque d’intérêt.

Le gouvernement n’a pas le choix d’en prendre acte et de s’ajuster au marché. Sinon, ça lui coûtera bien plus cher en frais de justice.

Dans un projet de règlement déposé ce mois-ci, Québec propose de faire passer les honoraires des médiateurs familiaux de 110 $ à 130 $. Malheureusement, ça risque d’être trop peu pour les retenir et les attirer, ceux-ci réclamant plutôt entre 150 $ et 200 $.

Le gouvernement rappelle que bien des couples dépassent le nombre d’heures gratuites offertes (trois pour les couples sans enfants, cinq pour ceux qui en ont) et qu’ils doivent ensuite payer le médiateur eux-mêmes, au même tarif. Québec dit ainsi viser un équilibre entre rendre la profession attrayante et préserver le portefeuille des Québécois qui ont recours au service.

On comprend.

Mais il y a peut-être moyen de remplir ces deux objectifs en élargissant la réflexion.

Pour l’instant, le service de médiation gratuite est offert à tous les couples, même les plus riches. On peut se demander pourquoi.

En Ontario, la grille de tarifs est plutôt établie en fonction du revenu des individus. En faisant de même, Québec pourrait engranger des revenus supplémentaires et redistribuer les sommes aux médiateurs, tout en s’assurant que le service demeure accessible à tous.

D’autres éléments pourraient être assouplis. Actuellement, les médiateurs en début de carrière doivent réaliser dix mandats supervisés par un médiateur d’expérience… et payer ce superviseur de leur poche. Selon les gens à qui nous avons parlé, il s’agit d’un élément irritant important.

Chose certaine, la désertion massive de la médiation familiale doit provoquer une réflexion beaucoup plus large qu’une simple bonification des tarifs de 110 $ à 130 $ l’heure.

Sinon, les médiateurs continueront à se sauver en courant au lieu de dire « oui je le veux » lorsque l’État leur fait les yeux doux.

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