Les médiateurs s’estiment sous-payés et bon nombre d’entre eux délaissent le programme gouvernemental, selon leur association

Les couples qui se séparent actuellement et qui espèrent bénéficier des trois à cinq heures de médiation gratuite offertes par le gouvernement (selon qu’ils ont des enfants ou non) risquent de faire face à une difficulté supplémentaire. Trouveront-ils un professionnel prêt à accepter leur dossier ?

Ce programme de quelques heures gratuites de services de médiation familiale est très couru au Québec. En 2021-2022, 16 878 couples y ont eu recours, selon des données du ministère de la Justice.

Or, l’Association des médiateurs familiaux du Québec (AMFQ) recommande actuellement à ses membres de cesser de proposer la médiation offerte gratuitement par le gouvernement et de facturer leurs propres honoraires.

C’est qu’en vertu du programme gouvernemental – dont l’objectif est d’éviter que les ex se déchirent en cour et engorgent les tribunaux –, les médiateurs familiaux se font, eux, payer, 110 $ l’heure, ce qu’ils jugent largement insuffisant.

MClaudine Cusson, présidente de l’Association des médiateurs familiaux du Québec, insiste : il est essentiel que la médiation familiale « soit accessible aux plus démunis », surtout dans la mesure où elle dit constater, du moins dans sa pratique, que « les couples se séparent de plus en plus quand les enfants sont au primaire ou même au préscolaire ».

Mais à son avis, les 110 $ qui sont remis aux médiateurs familiaux dans le cadre de ce programme sont un tarif si peu élevé – comparativement, entre autres, aux honoraires habituels des avocats – que bon nombre d’entre eux délaissent la profession, en un exode qu’elle n’a cependant pas été en mesure de chiffrer.

Le prix à payer « pour aider les autres »

En plus des avocats, les notaires, les conseillers d’orientation, les psychoéducateurs, les psychologues et les travailleurs sociaux (et les thérapeutes conjugaux ou familiaux) peuvent aussi être accrédités comme médiateurs. En faisant le tour des six ordres professionnels, MCusson calcule qu’il n’en reste plus que 600 au Québec, et non pas 1100 comme le prétend le ministère de la Justice.

Et, vérification faite, même en utilisant la liste de l’Association des médiateurs familiaux, La Presse est tombée sur nombre d’entre eux qui nous ont dit qu’ils n’acceptaient plus de nouveaux clients parce qu’ils s’apprêtaient à prendre leur retraite ou parce qu’ils ne prenaient plus de dossier.

MSophie Bérubé, qui a été médiatrice pendant sept ans, nous a pour sa part répondu « avoir pris une pause ». D’abord attirée par le concept de service public et fière d’« avoir évité les tribunaux à des centaines de couples », elle dit en ressortir « plus fatiguée et moins riche ».

Le prix à payer « pour aider les autres » est maintenant trop élevé, ajoute-t-elle.

Dans la mesure où une journée en cour coûte une fortune à l’État – le salaire annuel de plus de 300 000 $ des juges n’étant qu’une partie de la somme –, Me Bérubé fait valoir que le gouvernement aurait intérêt à mettre à jour ses honoraires de médiateurs familiaux qui lui font tant économiser en causes judiciarisées.

MCusson, elle, fait aussi observer que les honoraires des médiateurs familiaux ne sont pas à 110 $ l’heure pour les trois à cinq premières heures seulement. Il est rare que tout se règle durant les cinq heures gratuites, souligne-t-elle, et les couples doivent ensuite payer eux-mêmes les 110 $ l’heure. S’il leur faut quatre, cinq ou dix séances de plus, les médiateurs qui ont accepté leur dossier ne peuvent pas demander davantage que ces honoraires.

Elle souligne que ces 110 $ peuvent apparaître comme une somme importante de l’extérieur, mais que c’est loin d’être le cas avec les frais globaux que doivent payer les avocats.

Interpellé par La Presse, le Barreau du Québec dit partager entièrement « les préoccupations des médiateurs face au sous-financement de la justice québécoise ».

« L’insuffisance des tarifs entraîne inévitablement des problèmes d’accès à la justice. »

Quels seraient des honoraires adéquats ?

Justine Gravel, conseillère politique au cabinet de Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice, nous écrit que Québec est sensible « aux demandes des médiateurs et c’est pourquoi nous prévoyons hausser le tarif de médiation à 130 $ ».

Il ne faut pas oublier qu’une fois les séances gratuites écoulées, les heures supplémentaires doivent être assumées par les citoyens. L’objectif est de valoriser la profession tout en assurant l’accès aux services de médiation pour les citoyens.

Justine Gravel, conseillère politique au cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette

Mme Gravel a ajouté que « les discussions à propos de ce dossier ne se tiendront pas sur la place publique ».

Notons que c’est La Presse qui a contacté l’Association des médiateurs familiaux pour savoir si le problème était en voie d’être réglé, le programme de médiation gratuite étant très populaire.

Les 130 $ maintenant proposés par le gouvernement Legault seront-ils suffisants pour les médiateurs et leur feront-ils lever la recommandation de refuser les mandats couverts par le gouvernement ? MCusson répond qu’il revient à chacun de ses membres de suivre ou non la recommandation.

En 2019, poursuit-elle, les membres de l’Association des médiateurs familiaux avaient répondu lors d’un sondage interne qu’ils jugeaient que de 150 $ à 200 $ l’heure leur apparaîtraient suffisants. Cela fait quatre ans de cela, souligne MCusson, en faisant remarquer qu’il y a eu une hausse du coût de la vie depuis.

Selon elle, le moment serait aussi venu de voir si le caractère universel du programme de médiation gratuite (assortie d’heures à prix modique ensuite) – est toujours pertinent ou si l’État ne devrait pas s’abstenir de financer aussi la médiation de couples ultrariches.