Le 4 octobre 2019, 11 h 29. Comme il le fait tous les jours depuis qu’il est incarcéré au pénitencier de Drummondville, Sergio Piccirilli se rend à la cafétéria, et prend deux bouteilles d’eau qu’il a aromatisées dans son espace réservé, dans un congélateur.

Le détenu, considéré par la police à une certaine époque comme un individu proche autant de la mafia que des motards, dépose ensuite ses bouteilles dans sa cellule, qu’il verrouille, vaque à ses occupations et revient plus tard dans sa geôle.

Il avale une gorgée de l’une de ses bouteilles, dont le contenu est dégelé, mais la recrache aussitôt, en grimaçant.

Il sort de sa cellule et marche dans le corridor, lorsqu’il croise un codétenu.

« Tu es tout blanc, qu’est-ce que tu as ? », lui demande ce dernier, inquiet. « Ne bouge pas », ajoute-t-il, avant de courir à la recherche d’un agent correctionnel.

La vision de Piccirilli s’embrouille. Il est étourdi et a des nausées. Il est escorté dans le gymnase puis à l’infirmerie, où son état se dégrade. On lui administre de la naloxone.

Les paramédicaux sont appelés et Piccirilli est transporté à l’hôpital où son état est stabilisé. Il est hors de danger, mais il a assurément été victime d’un crime.

Un codétenu dans la ligne de mire

Des analyses démontrent la présence de fentanyl et de carfentanil – des opioïdes pouvant potentiellement causer une surdose mortelle – dans l’urine de Piccirilli et que les substances ont été ajoutées dans la bouteille d’eau aromatisée, à l’insu de celui-ci.

Lorsqu’un crime est commis dans un pénitencier au Québec, c’est la Sûreté du Québec qui enquête.

L’enquêteur Axel-Simon Lajoie visionne les vidéos des caméras de surveillance installées à l’intérieur de la cafétéria du pénitencier et remarque la présence d’un individu qui va et vient entre une table et les congélateurs, et semble cacher quelque chose sous son manteau, dans les jours précédant le crime et la veille.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO DÉPOSÉE EN COUR

Au centre, Sergio Piccirilli passe près de Michael Brazier (assis avec les bretelles) en tenant dans sa main droite la bouteille d’eau sucrée contaminée aux opioïdes, vers 11 h 30, le 4 octobre 2019.

L’homme, qui est trahi par ses bretelles noires, est identifié : Michael Brazier.

Au moment des faits, Brazier purgeait – et c’est toujours le cas – une peine à perpétuité, sans pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle avant 12 ans, pour avoir tué, par arme à feu, son voisin en 2012.

Pour le crime dont a été victime Piccirilli, il a été arrêté en janvier 2021 et accusé d’avoir administré une substance délétère en vertu de l’article 245 (1) b) du Code criminel.

Durant son enquête préliminaire, Piccirilli a témoigné et raconté que Brazier et lui se sont connus à l’intérieur des murs, ont partagé quelques repas, sans plus, et qu’ils n’étaient pas en conflit.

Mardi, au palais de justice de Drummondville, alors que son procès était bientôt prévu, Brazier a plaidé coupable.

Il a signé un précis des faits selon lequel il était responsable des réfrigérateurs de son pavillon, qu’un tiers lui a donné une bouteille et lui a demandé de la substituer à l’une de celles appartenant à Piccirilli et qu’il croyait qu’il s’agissait d’une plaisanterie.

Le juge Conrad Chapdelaine, de la Cour du Québec, a entériné une suggestion commune de la poursuite, représentée par MVicky Smith, et de la défense, assurée par MMarie-Claude Lacroix, et a condamné Brazier à une peine de deux ans concurrente à celle à perpétuité qu’il purge déjà.

Si la peine de Brazier n’est pas prolongée, en revanche, le résumé des faits a été versé dans son dossier aux Services correctionnels, et cette nouvelle condamnation pourrait avoir une incidence lorsque les commissaires des libérations conditionnelles examineront son cas.

« Je ne suis pas Superman »

Lors de l’enquête préliminaire, Piccirilli a déclaré qu’il ne savait pas qui pouvait lui en vouloir.

« Honnêtement, je ne peux pas vous le dire, mais c’est facile d’aviser quelqu’un que sa vie est en danger. C’est vrai ? Pas vrai ? Je ne sais pas. Mais si ma vie était en danger comme tout le monde me le disait, ça s’est passé en 2005 et là, on est rendu en 2022 ! Je ne suis pas Superman ! », avait-il dit au juge.

En 2005, les enquêteurs de l’enquête antimafia Colisée de la Gendarmerie royale du Canada avaient assisté en direct à une montée des tensions entre les clans mafieux D’Amico de Granby et Rizzuto de Montréal pour une affaire de dette à la suite d’une exportation de marijuana qui aurait mal tourné.

Piccirilli était entré dans le café Consenza, ancien quartier général du clan des Siciliens rue Jarry, en exhibant la crosse d’un pistolet à sa ceinture.

« Ce gars-là a des couilles », avait dit l’un des chefs du clan, Francesco Arcadi, sur les lignes téléphoniques écoutées par la police.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Sergio Piccirilli en 2014

Un an plus tard, un enquêteur de la GRC, Joe Tomeo, s’était rendu chez Piccirilli pour le prévenir que sa vie était en danger.

« Je peux faire quelque chose pour toi ? », lui avait demandé le policier.

« Envoie-moi des fleurs », lui avait répondu le motard avant d’appeler son ancienne maîtresse, Sharon Simon, la « Reine de Kanesatake », pour se procurer une arme dans le but de « se protéger », a-t-il dit aux commissaires des libérations conditionnelles.

En 2016, Piccirilli a été condamné à 15 ans de pénitencier pour gangstérisme, possession d’arme, complot et trafic de stupéfiants, à la suite de son arrestation dans une enquête de la GRC baptisée Cléopâtre.

Âgé de 64 ans, il est en libération conditionnelle depuis 2022.

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