Un avortement « clandestin » pratiqué par un pseudo-médecin. Avec des brochettes de barbecue. À Montréal. En 2024. C’est le supplice qu’a vécu une demandeuse d’asile, sous le joug d’un conjoint qui menaçait de la « découper en morceaux ». Ce préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD restera détenu jusqu’à la fin de son procès.

« Odieux. Barbare. Violent. » Le juge Salvatore Mascia n’a pas mâché ses mots, début avril, pour décrire les crimes reprochés à ce Montréalais de 35 ans, accusé d’agression sexuelle grave. Nous taisons son nom pour ne pas identifier la victime.

« La victime est vulnérable. C’est choquant, en 2024, au Canada, un avortement clandestin. C’est tellement gros. C’est tellement affreux. C’est tellement barbare », a renchéri le juge Mascia, en ordonnant le maintien en détention de l’accusé. Le magistrat a déterminé que la libération de l’accusé minerait la confiance du public en l’administration de la justice.

La victime débarque au Québec en avril 2023. Elle n’a aucun statut au pays. Elle rencontre l’accusé à l’église du Temple de la Gloire. Ils forment rapidement un couple. Selon la preuve présentée à l’enquête sur remise en liberté, Monsieur commence à battre sa conjointe à coups de ceinture. Il la gifle et lui tire les cheveux.

« Depuis six mois, Monsieur est agressif avec elle, il est violent. Il mentionne qu’il veut la couper en petits morceaux et jeter les morceaux dans la neige », a détaillé la procureure de la Couronne MSandra Tremblay pendant l’audience.

À cette époque, l’accusé travaille comme préposé aux bénéficiaires au CHSLD privé Le Cardinal, dans l’est de Montréal. « On s’est assuré que la sécurité des patients n’a pas été compromise. Personne à l’interne ne s’est plaint de son comportement », a expliqué à La Presse la directrice générale de l’établissement, Anne-Marie Cyr. Il est suspendu sans solde depuis son arrestation.

Début janvier 2024, Madame est enceinte. Même si elle veut garder l’enfant, son conjoint exige qu’elle se fasse avorter. Il estime ne pas avoir assez d’argent pour payer les frais d’hôpital et les dépenses liées à l’enfant. Il fait donc appel à son complice, un ami « médecin », pour procéder à l’avortement, selon la preuve de la Couronne.

Le pseudo-médecin a visiblement l’habitude. Son attirail d’avortement est composé de cotons-tiges, de tiges en bois de style brochettes pour barbecue, de gros cure-dents, de coton et d’une seringue, détaille la Couronne. La procédure est digne d’un autre siècle.

« L’accusé va tenir et presser sur le ventre de la plaignante pendant l’intervention », décrit MTremblay.

À la fin, le « médecin » dit à l’accusé de reproduire la procédure durant quatre jours, ce qu’il va faire, selon la preuve présentée. Or, l’état de Madame se détériore. Elle saigne continuellement. Un jour, elle appelle son frère en lui disant qu’elle pense mourir. Son frère appelle alors le 911. Le Montréalais est arrêté peu de temps après.

Le prétendu « médecin » n’a toujours pas été arrêté. Toutefois, il « semble avoir été repéré » sur les réseaux sociaux, a indiqué MTremblay en salle d’audience. La procureure ignore d’ailleurs si cet homme avait le droit de pratiquer la médecine au Québec.

Devant le juge, l’accusé a expliqué être un demandeur d’asile d’origine angolaise. Il est au Canada depuis mars 2022 avec son enfant.

« Extrêmement grave »

Pour justifier la détention de l’accusé, la procureure de la Couronne a insisté sur le caractère « odieux » des gestes qu’il aurait commis à l’égard de la victime, une femme « vulnérable ».

« Elle ne parle pas la langue et vient tout juste d’arriver au Canada. Elle était entièrement sous le joug de l’accusé. C’est une infraction non seulement violente et odieuse, mais je vous dirais même barbare. On parle d’un avortement clandestin en 2024 au Canada. C’est extrêmement grave », a fait valoir MTremblay.

Même l’avocat de la défense a convenu que les gestes allégués étaient « épouvantables ».

S’il a accueilli les arguments de la poursuite, le juge Mascia a cependant exprimé des réserves sur le chef d’accusation choisi par le poursuivant.

Agression sexuelle ? C’est quoi, l’aspect sexuel ? Est-ce que Monsieur avait des intentions sexuelles quelconques ? Je ne pense pas qu’il y avait des motivations sexuelles.

Le juge Salvatore Mascia

« Je me suis posé la question en préparant l’enquête », a répondu la procureure de la Couronne. Cette question sera certainement étudiée lors du procès, mais n’a pas d’impact à cette étape du processus judiciaire.

Le chef d’agression sexuelle grave est rarement utilisé. Il implique une agression sexuelle où la victime est blessée, mutilée, défigurée, ou encore qui met sa vie en danger. La peine maximale est la prison à vie, alors qu’elle est de 10 ans pour le chef d’agression sexuelle.

L’accusé sera de retour en cour en juin prochain.

Rectificatif
Dans une version antérieure de l’article, nous écrivions que l’accusé était suspendu avec solde depuis son arrestation. Or, il a plutôt été suspendu sans solde par l’établissement.