Un juge de la Cour du Québec pourra évaluer la constitutionnalité d’un article de la Loi sur la langue officielle qui rend obligatoire la traduction sans délai des jugements rendus en anglais. La Cour supérieure a rejeté vendredi la requête du gouvernement du Québec, qui accuse le juge Dennis Galiatsatos d’avoir un « parti pris ».

Ce qu’il faut savoir

À partir du 1er juin, les jugements rendus en anglais devront être traduits immédiatement en français.

Un juge croit que les délais judiciaires seront allongés et veut étudier la constitutionnalité de la loi.

Québec veut empêcher le juge de se prononcer. Mais la Cour supérieure a rejeté la demande du gouvernement vendredi.

Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à l’adoption en 2022 de la réforme phare du gouvernement Legault en matière de langue française (projet de loi 96). Le nouvel article 10 de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français stipule qu’à partir du 1er juin prochain, une version française d’un jugement rendu par écrit en anglais doit y être jointe « immédiatement et sans délai ».

Dans une initiative exceptionnelle, le juge Dennis Galiatsatos de la Cour du Québec a décidé au début du mois qu’il avait le droit d’étudier la validité constitutionnelle de cette disposition possiblement discriminatoire à l’égard des anglophones. À ses yeux, la traduction obligatoire des jugements risque d’entraîner des « délais additionnels systémiques pour tous les dossiers en anglais ».

Cependant, la Cour suprême a déjà déterminé en 2020 que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict n’était pas calculé dans le « plafond Jordan ».

Le juge a pris cette décision à l’approche du procès de Christine Pryde, accusée de conduite dangereuse ayant causé la mort d’une cycliste. La femme de 32 ans a choisi d’avoir son procès en anglais, comme le lui permet le droit constitutionnel. La défense a d’ailleurs déposé une requête en arrêt des procédures de type Jordan en raison des délais de traduction.

Après avoir tenté de convaincre le juge Galiatsatos qu’il n’était pas habilité à se prononcer sur cette question constitutionnelle de son propre chef, le Procureur général du Québec (PGQ) s’est tourné vers la Cour supérieure en déposant une demande de sursis d’exécution.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Christine Pryde (à droite) au palais de justice de Montréal en 2023

Jeudi, le juge Marc St-Pierre de la Cour supérieure a rejeté la demande des avocats du PGQ, malgré de « bons arguments » de leur part. À cette étape préliminaire, il faut un préjudice « sérieux ou irréparable » pour accorder le sursis. Si le juge Galiatsatos se prononce, cela ne changera pas l’état du droit, a relativisé le juge St-Pierre. De plus, le PGQ pourrait porter en appel la décision sur le fond du juge Galiatsatos, a-t-il poursuivi.

« Il n’y a pas véritablement de préjudice eu égard à l’intérêt public par le fait que le juge se prononce », conclut le juge St-Pierre.

Notons qu’il est très rare qu’un juge civiliste de la Cour supérieure se prononce sur un débat en matière criminelle. Le juge St-Pierre a d’ailleurs confié pendant l’audience qu’il n’avait jamais traité d’un dossier criminel dans sa longue carrière.

Selon les avocats du gouvernement, le juge Galiatsatos a manifesté « un parti pris mettant en cause son impartialité » et ne pouvait pas se saisir de la question. De plus, selon le PGQ, le juge a évalué le délai additionnel déterminé par la traduction en fonction de son expérience personnelle.

Selon le juge Galiatsatos, l’article 10 va avoir des conséquences bien concrètes à partir de juin : les délais risquent d’être très longs avant d’obtenir la traduction officielle en français d’un jugement en anglais. Il évoquait des semaines, et probablement plusieurs mois. Ce qui risque d’entraîner des arrêts Jordan.

Le ministère de la Justice se veut plus rassurant que le juge Galiatsatos. Le délai de traduction se compte dans les faits en jours, tout au plus en semaines dans les cas très complexes, soutient dans une déclaration sous serment une employée du Ministère qui travaille avec l’organisme chargé de la traduction des jugements.

« Or, le ministère de la Justice serait présentement en négociation pour abréger les délais avec l’organisme qui se charge habituellement de la traduction justement pour tenir compte de la modification à l’article 10 », lit-on dans le jugement.