(Ottawa) Maintenant que la tempête pandémique s’est calmée, c’est l’heure du ménage. À Ottawa, on cherche un moyen d’écouler 37,6 millions de tests rapides considérés comme en surplus. Québec doit s’astreindre à la même tâche, avec ses 22,7 millions de tests excédentaires, ce qui amène la pédiatre urgentiste Joanne Liu à remettre en question la fin de la distribution gratuite en pharmacie pour la population.

Automne 2021. La vague Omicron fait son apparition au Canada. Rapidement, le variant supplante Delta, devient dominant et inquiète. Le fédéral, acheteur en chef des tests rapides, passera ses commandes en se fiant aux requêtes des provinces et en fonction de projections basées sur les données de la vague Omicron.

Or, « les vagues subséquentes ont été relativement modérées », et la demande de tests « a chuté », lit-on dans un document produit par Santé Canada en mars dernier. Des provinces ont « refusé les allocations de livraisons prévues », car leurs stocks étaient trop élevés.

« Par conséquent, l’inventaire fédéral a atteint plus de 93 millions de tests, dépassant l’engagement d’en conserver 55 millions dans la réserve fédérale pour les provinces et territoires, les populations vulnérables et les urgences », est-il écrit dans la note obtenue par La Presse grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

Redistribuer, retourner ou éliminer

Le fédéral ne s’attendant pas à des demandes « dans un avenir rapproché », le risque de voir les stocks demeurer inutilisés est « élevé », jugent les fonctionnaires, qui proposent trois avenues : redistribution (nationale et internationale), retour au manufacturier ou élimination.

Pour ce qui est de la dernière option, « elle ne sera envisagée que lorsque toutes les options de déploiement et de désinvestissement [auront] été épuisées et que les actifs ne [seront] pas admissibles à la distribution », a noté le Ministère en complément d’information, en précisant qu’aucun test n’avait jusqu’à présent été détruit.

Quid du retour à l’expéditeur ? Rien à signaler : pour l’heure, Ottawa dit n’avoir pris contact avec aucun fabricant.

Reste la redistribution. Jusqu’à présent, aucun test n’a été envoyé à l’étranger. À l’échelle nationale, les tests sont entre autres offerts sur les plateformes GCSurplus – où le gouvernement liquide autant ses biens excédentaires que des biens confisqués par les forces de l’ordre.

Des excédents au Québec aussi

Les provinces et territoires font face au même enjeu. En mars dernier, Ottawa estimait leur stock cumulé à environ 342 millions de tests, sur les plus de 811 millions acquis par le fédéral, puis distribués sans frais, au coût de 5 milliards depuis le début de la pandémie.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Trousse de tests rapides de dépistage de la COVID-19

Au Québec, on dénombre environ 65 millions de tests dans les entrepôts sur les 200 millions reçus d’Ottawa. De ce nombre, 22,7 millions sont considérés comme des surplus, a révélé il y a un peu plus d’une semaine la porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) Marie-Hélène Émond.

Celle-ci précise que leur distribution « n’est pas terminée », mais note malgré tout qu’« en raison de la fin de l’état d’urgence et de la baisse de la demande », le MSSS a lancé des démarches visant à partager les surplus avec différents pays.

Et Québec demeure « attentif aux décisions de Santé Canada quant à la durée de vie des tests en inventaire », a exposé Mme Émond. La durée de conservation initiale de certains de ces tests a d’ailleurs déjà été prolongée par les fabricants, avec l’assentiment d’Ottawa.

Selon les données fédérales de mars dernier, environ 91 millions des 93 millions de tests en stock deviendront périmés d’ici décembre 2024. Un peu plus de 2 millions sont « endommagés, périmés et non conformes ». Dans les entrepôts québécois, « la vaste majorité » des tests seront échus entre janvier et juin 2024, dit le MSSS.

Ceux qui ont accumulé des tests doivent surveiller cette donnée. « Si les gens ont plus d’une boîte à la maison, nous suggérons d’utiliser les plus anciens en premier », a écrit Mme Émond. Et si les tiroirs ou les armoires débordent, il est « indiqué de partager avec vos proches », surtout les plus vulnérables, a-t-elle enchaîné.

Tests payants en pharmacie

Dans ce contexte de surabondance, la professeure à l’école des populations et santé mondiale de McGill, la Dre Joanne Liu croit que le gouvernement Legault devrait revenir à la distribution gratuite à l’ensemble de la population – vulnérable ou pas – en pharmacie. « Ce ne serait pas difficile de dire : on saupoudre dans toutes nos pharmacies », affirme-t-elle.

« Personnellement, je serais fortement preneuse d’avoir ma boîte encore ici. Quand je vais voir mon père qui a 90 ans, moi, je me teste avant d’y aller ! Ce n’est pas vrai que je vais donner la COVID-19 à mon père ! », lance l’ancienne présidente internationale de Médecins sans frontières.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Dre Joanne Liu

Je pense qu’à l’automne, quand on va retourner dans des espaces clos qui n’auront pas encore été bien ventilés, on va se passer des virus. On va se passer l’influenza, mais on va se passer aussi la COVID-19.

Joanne Liu, professeure à l’école des populations et santé mondiale de McGil

Joanne Liu appelle à une « discussion honnête et transparente » sur la gestion des surplus.

Depuis le 1er mai dernier, les adultes en bonne santé doivent sortir le portefeuille pour avoir accès à des tests rapides en pharmacie. « Une boîte de cinq, c’est entre 25 $ et 40 $, ça varie beaucoup. Ce n’est pas donné », dit Benoît Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP).

Malgré le coût qui peut être prohibitif pour certains, malgré le contexte de surplus, il ne serait pas judicieux, selon lui, de revenir à l’ancien modèle, qui reposait sur une entente spéciale pandémique. « Ça s’inscrit dans une logique responsable de gestion des ressources, y compris l’utilisation des pharmaciens », argue-t-il.

C’est qu’il faut tenir compte du fait que ceux-ci touchent un honoraire en échange de la distribution de tests. Et « en donner pour que les gens les gardent chez eux et ne s’en servent pas, ce n’est pas mieux », argue M. Morin.

Au MSSS, on souligne qu’« il n’est pas envisagé de reprendre la distribution générale via les pharmacies pour le moment », tout en rappelant que des tests demeurent offerts gratuitement, pour tous, dans les centres de vaccination et de dépistage.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse