Là, ça suffit.

Le mépris à peine voilé du ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, envers la magistrature est hautement problématique.

Ses deux dernières salves sont carrément indignes d’un ministre de la Justice.

Cette semaine, le ministre Jolin-Barrette a affirmé coup sur coup que : 1) le Conseil de la magistrature du Québec tenterait « d’influencer activement » et « d’entraver » les travaux de l’Assemblée nationale au mépris de la séparation des pouvoirs ; 2) le Conseil se servirait des fonds publics comme d’un « bar ouvert ».

Dans les deux cas, c’est faux. Archifaux. Mais ça donne une idée de son degré de mépris à l’égard de la magistrature.

Ça fait des années que le ministre Jolin-Barrette et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, sont en conflit permanent.

Dernier épisode de cet affrontement lassant et néfaste pour les justiciables : l’Assemblée nationale a adopté jeudi une loi modifiant le financement du Conseil de la magistrature.

Depuis 1978, le Conseil est financé par le fonds consolidé de la province, au nom de l’indépendance judiciaire. Il n’y a jamais eu de problème. Avec la nouvelle loi, le budget annuel du Conseil sera voté par les députés, qui pourront le réduire à leur guise.

Pour justifier la nouvelle loi, le ministre Jolin-Barrette parle de saine gestion des fonds publics. Mais personne n’est dupe : le ministre ne digère pas que le Conseil ait contesté, à même les fonds publics, la partie de sa réforme de la loi 101 concernant les qualifications linguistiques des juges.

À compter du 1er avril 2024, les députés pourront couper les fonds du Conseil utilisés pour contester une loi ou une décision gouvernementale qui vise les juges. Voilà une atteinte à l’indépendance judiciaire. Et une façon de museler un contre-pouvoir. C’est pourquoi sur le fond, nous sommes opposé à ce changement du mode de financement du Conseil1. Le Barreau du Québec s’y oppose aussi, en raison des « risques d’atteinte à l’indépendance du Conseil ».

Comme le projet de loi 26 concernait directement le Conseil, celui-ci a produit un mémoire et a demandé à être entendu en commission parlementaire, comme plusieurs autres intervenants. Dans un débat sérieux et serein, il aurait été le premier intervenant entendu par les députés.

Le ministre Jolin-Barrette a refusé d’entendre le Conseil. Pire : il l’accuse de vouloir « influencer » et même « entraver » le travail des parlementaires ». Il allègue que ça contreviendrait au principe de séparation des pouvoirs. « Ce n’est pas un pouvoir qui va dire à l’autre quoi faire », dit le ministre Jolin-Barrette.

Entendre un ministre de la Justice dire de telles inepties à propos de la séparation des pouvoirs, ça donne froid dans le dos.

La séparation des pouvoirs n’empêche pas la magistrature de faire des suggestions au législateur en matière de justice. Et ce n’est pas parce qu’on contredit le ministre de la Justice qu’on entrave le travail de l’Assemblée nationale ! Il est parfaitement normal que le Conseil donne son avis aux députés sur un projet qui le concerne. C’est même souhaitable.

En matière de mauvaise foi, le ministre de la Justice ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Il accuse le Conseil de puiser dans les fonds publics comme on se sert « dans un bar ouvert » pour financer sa « guérilla judiciaire » contre Québec. « L’intégrité des fonds publics, elle est importante », a dit le ministre Jolin-Barrette, qui n’a pas fourni la moindre preuve ni le moindre argument sérieux pour appuyer ses allégations.

Tout d’abord, le Conseil ne fait pas de « guérilla judiciaire », il conteste une loi pour protéger l’indépendance judiciaire. Le gouvernement Legault souhaite que le Conseil s’occupe uniquement de déontologie (cette partie de son financement continuera de lui être versé via le fonds consolidé). C’est sa vision des choses. Mais ce n’est pas ce que la loi québécoise dit. Elle donne trois mandats au Conseil : la déontologie des juges, la formation des juges, et l’efficacité de la justice. En vertu de l’efficacité judiciaire, le Conseil peut/doit défendre l’indépendance judiciaire, ont statué les tribunaux dans le cadre d’un litige perdu par le gouvernement Legault2.

Protéger l’indépendance judiciaire fait partie du mandat du Conseil. Lors de sa création en 1978, le ministre Marc-André Bédard souhaitait que le Conseil devienne « la pierre d’assise de l’indépendance de la magistrature » 3.

Le Conseil a dépassé son budget de 30 % (environ 1,1 million) l’an dernier parce qu’il a engagé des avocats dans deux litiges avec Québec sur les qualifications linguistiques des juges. Québec a perdu le premier litige, le deuxième est en cours. Il n’y a pas de « bar ouvert » ici. Ni de problème d’intégrité des fonds publics, contrairement à ce que sous-entend le ministre.

Dans un État de droit, le ministre de la Justice ne devrait pas tenter de miner la confiance du public à l’égard de la magistrature seulement parce qu’une de ses réformes est contestée en cour.

1. Lisez l’éditorial « Le ministre Jolin-Barrette peut-il laisser la magistrature tranquille ? » 2. Consultez les paragraphes 39 à 47 de la décision « Conseil de la magistrature c. Ministre de la Justice du Québec »

3. Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 17 novembre 1978. Cette citation est tirée du mémoire du Conseil de la magistrature du Québec.

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