(Québec) Le Conseil de la magistrature « intervient directement » dans les travaux de l’Assemblée nationale et tente d’« influencer activement » les décisions, dénonce le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

« Ce que le Conseil dit, c’est : “N’effectuez pas votre travail de législateur, […] reportez vos travaux”. Écoutez, moi, là, je ne vais pas dire aux tribunaux : “Reportez votre décision », […] jamais je ne ferais ça”, a-t-il déclaré, mardi.

M. Jolin-Barrette bouclait l’étude détaillée du projet de loi 26 qui concrétise l’entente survenue le 21 avril dernier avec la juge en chef de la Cour du Québec et présidente du Conseil de la magistrature, Lucie Rondeau.

À la grande surprise de la juge Rondeau, le projet de loi 26 revoit également le mode de financement du Conseil. Au lieu d’un budget discrétionnaire, des crédits précis seront votés annuellement pour ses activités.

Des consultations particulières ont eu lieu à l’Assemblée nationale en l’absence de la principale intéressée, qui a dû se contenter de déposer un mémoire à la commission, le ministre ayant refusé de l’entendre.

« Le Conseil de la magistrature a eu abondamment l’occasion d’écrire à la commission et ne se gêne pas pour le faire », a affirmé Simon Jolin-Barrette, en défendant le « libre exercice » du Parlement.

Ce n’est pas un autre type de pouvoir qui va venir nous dire comment tenir nos travaux parlementaires en toute souveraineté à cette Assemblée-ci.

le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette

Ces déclarations courroucées du ministre démontrent que « la petite guerre » avec la juge en chef est « de nouveau lancée », selon le porte-parole libéral en matière de justice, André Albert Morin.

« Espérons pour le bien des […] Québécois et du monde judiciaire que ça va arrêter le plus vite possible », a-t-il déclaré.

Il n’y a pas de « guerre » avec Lucie Rondeau, a répondu M. Jolin-Barrette, « simplement le désir que les choses soient faites dans l’ordre ».

Dépenses exagérées

Au cœur du litige, les dépenses du Conseil de la magistrature que le ministre juge exagérées.

L’an dernier, le Conseil a dépassé son budget de plus de 30 % notamment pour contester des dispositions de la Charte de la langue française interdisant l’exigence systématique de bilinguisme chez les juges.

« Il n’est pas normal dans une société comme la nôtre qu’on puisse […] utiliser les fonds publics sans aucune reddition de comptes et dire : “Pour nous, il n’y a aucune limite” », a déclaré M. Jolin-Barrette.

Il a énuméré différentes dépenses : 686 490 $ pour contester la loi 96 sur la langue française ; 280 000 $ dans le cadre du recours à la Cour supérieure ; 350 650 $ pour le renvoi à la Cour d’appel.

« Les parlementaires doivent approuver le budget du Conseil de la magistrature. […] Ce n’est pas un bar ouvert. […] Le Conseil n’est pas la petite caisse de la Cour du Québec », soutient le ministre de la Justice.

Amendement adopté

En fin de séance, M. Jolin-Barrette a toutefois jeté du lest : il a appuyé l’amendement proposé par la députée indépendante Marie-Claude Nichols qui exclut des nouvelles règles tout un pan de la mission du Conseil.

En d’autres mots, le Conseil de la magistrature pourra continuer d’exercer son rôle de chien de garde en matière de déontologie, sans craindre de manquer de fonds, a-t-il expliqué.

« Pour ce qui est de l’aspect déontologique, on veut rassurer tout le monde, on va faire en sorte que le Conseil pour les enquêtes, les plaintes, ait les sommes nécessaires.

« Si jamais il y a dépassement de coûts, à ce moment-là, ça pourra aller sur le fonds consolidé. Par la suite, ils feront rapport dans le rapport annuel », a-t-il dit.

Les partis d’opposition ont tous dénoncé l’empressement du ministre Jolin-Barrette à faire adopter le projet de loi 26 qui change un mode de financement vieux de 45 ans, selon eux.

Ils se sont toutefois montrés favorables à ce qu’il y ait une plus grande reddition de comptes. Rappelons que le projet de loi de loi 26 fera aussi en sorte d’ajouter 14 juges à la Cour du Québec.