Quand l’application du droit s’éloigne de son objet de justice sociale

Il y a quelques semaines, j’ai eu le « bonheur » de retourner aux sources en me présentant en Cour municipale afin de contester une contravention de stationnement. Mon infraction : avoir indiqué la lettre « O » plutôt que le chiffre « 0 » lors de l’inscription de mon numéro de plaque d’immatriculation.

Je dois avouer qu’en écoutant les « dangereux » accusés me précédant et les conclusions variées du juge, j’ai réalisé que mon sort, qui me semblait pourtant évident au départ, devenait de moins en moins certain.

Accusé no 1 : Monsieur avait affiché sa vignette – payée – de stationnement à son rétroviseur, mais celle-ci n’était visible que du côté et non de la fenêtre avant. Rien dans le règlement n’indiquait d’où devait être visible sa vignette. Coupable.

Accusées no 2 et no 3 : Dans les deux cas, les dames avaient payé une vignette de stationnement. Elles s’étaient stationnées dans un espace où il était indiqué « Limocar ». Selon le juge, Limocar n’a pas suffisamment investi dans ses affiches pour indiquer « stationnement interdit ». Non coupables.

Accusée no 4 : Monsieur avait prêté sa voiture à sa conjointe. Cette dernière, étudiante, avait acheté une vignette de stationnement auprès de l’université. Madame est nouvellement arrivée au Canada. Elle croit que le numéro à inscrire pour obtenir cette vignette est le numéro qui figure sur son certificat d’immatriculation qui correspond en fait à son numéro de plaque, mais suivi d’une lettre additionnelle. L’Université lui délivre néanmoins une vignette de stationnement. Coupable (de grande négligence, selon la procureure présente).

Mon tour arrivé, j’indique au juge que rien ne me permettait de savoir que la lettre « O » était interdite et, à la lecture de ma plaque, rien ne laissait croire qu’il ne s’agissait pas d’un « O ».

Le juge me souligne qu’il ne lui appartient pas d’indiquer à la SAAQ qu’elle doit mieux informer les citoyens et rendre ses plaques d’immatriculation moins sujettes à confusion (mais, par contre, Limocar devait revoir ses affiches…). Verdict : coupable.

L’erreur est humaine

En 2018, la Cour d’appel du Québec, dans Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé, a marqué un tournant important dans la façon de traiter les infractions de stationnement, reconnaissant que l’erreur est humaine et que la défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait doit être admissible.

Cette décision en a fait sourciller certains qui voyaient là un potentiel important d’engorgement des tribunaux (par rapport à une déclaration de culpabilité sans possibilité de soulever la défense de diligence raisonnable). Dans son jugement, la Cour d’appel du Québec rejette toutefois l’argument de l’efficacité administrative. Citant l’auteur Don Stuart, la Cour indique que « la crainte que la défense de diligence raisonnable embourbe les tribunaux trahit un manque de confiance envers le bon sens des juges de faits ».

Mes 150 $ « d’investissement » m’ont permis de constater que, malheureusement, ce moyen de défense, bien qu’il soit un pas dans la bonne direction, contribue néanmoins non seulement à l’engorgement des tribunaux au Québec, mais aussi au maintien d’iniquités sociales.

J’ai les moyens de payer cette somme. Aussi, comme professeure de droit, cet après-midi-là m’a offert l’occasion de m’adonner à de la recherche expérientielle sur notre système judiciaire. Je n’ai donc pas perdu mon temps, même si j’aurais préféré ne pas avoir à payer pour ma « séance de formation ».

L’étudiante immigrante, condamnée pour cause de grande négligence, m’a contacté. La somme de 150 $ représente pour elle trois journées de travail à temps partiel. Un travail nécessaire pour payer ses études.

Les trois autres accusés, tous et toutes des gens sur le marché du travail, ont été dans l’obligation de s’absenter pour défendre leur cause.

Aucun des accusés n’avait la formation qui lui permettait de soutenir sa défense à l’aide de la jurisprudence et de la doctrine pertinente. Je ne m’étais d’ailleurs pas préparée pour cette audition et j’ai réalisé combien vulnérables sont les gens qui se présentent en cour sans avocat.

Certes, le droit est un outil essentiel au maintien de l’ordre social (par exemple, on ne souhaite pas que tout un chacun se stationne n’importe où). Mais au-delà de cela, le droit et son interprétation doivent s’inscrire dans contexte sociétal où il est attendu qu’ils favorisent ce qui appert comme juste pour la collectivité dans un contexte contemporain.

D’ailleurs, la Cour d’appel du Québec dans son jugement indique qu’« il répugne […] tant aux principes fondamentaux du droit pénal qu’à ceux du droit constitutionnel, de punir celui qui est moralement innocent ».

Il importe de ne pas oublier ces enseignements.

La défense de diligence raisonnable maintenant permise pour les infractions de stationnement est une avancée sociétale. Une plus grande constance dans l’appréciation des tribunaux de la diligence raisonnable, qui tient compte de ces enseignements, serait, en revanche, bienvenue.

Afin de limiter l’engorgement des tribunaux, il serait aussi judicieux de ne pas convoquer devant le tribunal les administrés qui produisent par écrit une preuve de paiement et une défense acceptable.

On semble aussi avoir oublié que l’outil « Teams » existe maintenant. Déjà, le recours à cette technologie éviterait de faire perdre des journées de travail précieuses aux administrés. Un policier est aussi présent dans la salle, assis sur sa chaise en silence, tout l’après-midi. Ce dernier pourrait être libéré, histoire que ses services puissent être mieux utilisés. Enfin, en salle, ordinateurs et cellulaires ne peuvent être utilisés. Il est donc impossible de s’avancer pour ceux pouvant travailler à distance. J’oserais avancer que j’ai vécu un retour en arrière déstabilisant.

Je sors de cette expérience en m’interrogeant sur notre formation en droit. De plus en plus, il m’appert important que les cours de sociologie du droit, d’histoire du droit et de fondement du droit (comprendre et réfléchir le droit), si peu prisés par nos étudiants à la recherche du droit positif (ce que dit la loi… ChatGPT fait un travail pas si mal à cet égard), occupent une place prépondérante afin que les futurs avocats et juges deviennent de réels acteurs de changement.

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