Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette fait les manchettes ces jours-ci parce qu’il a nommé un ami de longue date à la magistrature et qu’il a annulé des appels de candidatures de juges. Dans un autre dossier, moins médiatisé, mais préoccupant, le ministre n’a pas pu s’empêcher d’asséner un nouveau croc-en-jambe à la magistrature.

Cette fois-ci, le gouvernement Legault veut se donner les moyens de réduire le budget du Conseil de la magistrature du Québec, qui conteste une partie de la réforme de la loi 101 sur le bilinguisme des juges.

Les chicanes continuelles du ministre Jolin-Barrette avec la magistrature ne sont pas seulement lassantes : elles ne servent pas l’intérêt de la justice. Alors que notre système de justice fait face à beaucoup de défis, cette attitude du ministre est généralement contre-productive. Encore plus quand il a tort et qu’il attaque l’indépendance de la magistrature, comme c’est le cas avec le projet de loi 26 déposé la semaine dernière.

Avec ce projet de loi, la CAQ veut assujettir le budget du Conseil de la magistrature à un vote annuel des députés. C’est à peu près de cette façon que ça fonctionne au fédéral pour le Conseil canadien de la magistrature.

Depuis sa création en 1978, le Conseil de la magistrature du Québec établit son propre budget et est financé automatiquement par le fonds consolidé de la province, au nom de l’indépendance judiciaire. Les députés ou le gouvernement n’ont pas de droit de regard sur le budget du Conseil. Il n’y a jamais eu d’abus ni de problème.

Il faut être aveugle pour ne pas voir l’intention derrière le projet de loi 26. Le ministre Jolin-Barrette estime que le Conseil ne devrait pas, à même les fonds publics, contester une partie de la réforme de la 101. Ce litige a coûté 1,1 million de dollars au Conseil l’an dernier. L’enjeu du litige : qui, entre la Cour du Québec et le ministre de la Justice, doit décider dans quelles circonstances la maîtrise de l’anglais est nécessaire pour nommer un juge.

Personne n’est dupe : si le projet de loi est adopté, les députés de la CAQ, majoritaires à l’Assemblée nationale, pourront empêcher le Conseil d’avoir les ressources financières pour contester une loi relative à la magistrature (ex. : une partie de la réforme de la loi 101). On éliminerait ainsi un contre-pouvoir.

Le ministre Jolin-Barette justifie son projet de loi par le fait qu’on « ne peut pas dépenser sans compter l’argent des Québécois » et laisse entendre que le Conseil dépense de l’argent en outrepassant son mandat.

Lisez l’article : « Projet de loi 26 : le Conseil de la magistrature refuse que Québec encadre son financement »

Nous sommes fortement en désaccord avec ces propos.

Le Conseil ne dépense pas « sans compter ». Il conteste une loi dans le cadre son mandat défini par la loi :

  • la formation des juges ;
  • la déontologie des juges ;
  • l’efficacité de la justice.

Le Conseil est dans son droit de contester la partie de la réforme de la loi 101 s’appliquant aux juges, au nom de l’efficacité de la justice et de l’indépendance judiciaire (l’article 10 du Code de déontologie des juges). L’intérêt du Conseil à entreprendre une telle contestation a même été confirmé par la Cour supérieure dans un dossier similaire l’an dernier ! Une défaite que le ministre Jolin-Barrette semble avoir oubliée…

Consultez les paragraphes 39 à 45 du jugement rendu par la Cour supérieure

Par ailleurs, on n’a pas entendu le gouvernement Legault se plaindre quand le Conseil est intervenu, à même les fonds publics, pour appuyer les arguments du Procureur général du Québec dans un autre litige il y a quelques années…

Consultez le jugement de la Cour suprême sur la validité constitutionnelle des dispositions de l’article 35 du Code de procédure civile

L’indépendance judiciaire est un principe fondamental de notre État de droit. Il faut le défendre sans relâche.

L’indépendance judiciaire, c’est à la fois l’indépendance individuelle du juge, mais aussi l’indépendance institutionnelle des tribunaux, qui exige que les rapports avec les pouvoirs exécutif et législatif doivent « être réduits au minimum ». Ce n’est pas l’esprit du projet de loi 26.

En plus, de nouvelles mesures de reddition de comptes pour le Conseil viennent d’entrer en vigueur : le Conseil doit soumettre ses prévisions budgétaires au ministre de la Justice, et ses livres seront désormais vérifiés par le Vérificateur général. Ce sont d’excellentes initiatives qui respectent l’indépendance judiciaire.

Le ministre Jolin-Barrette a passé la dernière année en conflit devant les tribunaux avec la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau (aussi présidente du Conseil de la magistrature), au sujet de l’horaire des juges en chambre criminelle. Dans ce dossier, nous avions défendu la vision du ministre Jolin-Barrette. Les deux parties sont arrivées à un compromis le mois dernier.

Lisez l’éditorial : « Justice : on s’en va droit dans le mur »

Sans bonne raison, le ministre Jolin-Barrette repart une nouvelle chicane.

Il devrait plutôt concentrer toutes ses énergies sur les nombreux défis de notre système de justice. Ce serait beaucoup plus utile qu’un nouveau round de boxe contre la magistrature.

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