La période de paix entre la juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau et le ministre Simon Jolin-Barrette a été de courte durée. La juge en chef s’oppose fermement à la décision de Québec d’encadrer le financement du Conseil de la magistrature dans le projet de loi 26.

Québec cherche à encadrer le financement du Conseil de la magistrature depuis la révélation à la fin du mois d’avril que le Conseil a dépassé de plus de 40 % son budget de 3,2 millions dans la dernière année. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, avait qualifié ce dépassement de 1 million d’« extrêmement préoccupant » lors de l’étude des crédits.

Ainsi, le projet de loi 26, déposé mardi à l’Assemblée nationale, ratisse plus large que le « compromis » trouvé il y a trois semaines entre le ministre et la juge en chef pour régler le long conflit sur l’horaire des juges. En plus d’ajouter 14 postes de juge à la Chambre criminelle et pénale, le projet de loi vise à « revoir le mode de financement du Conseil de la magistrature ainsi que l’encadrement de ses prévisions budgétaires ».

Si la loi est adoptée telle quelle, le Conseil ne sera plus financé « à même le fonds consolidé du revenu », mais plutôt par « les crédits votés annuellement à cette fin par l’Assemblée nationale ». Un changement majeur, puisque le financement du Conseil pourrait ainsi être limité par les élus.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

Une attaque contre l’indépendance judiciaire, l’efficacité des tribunaux et l’accès à la justice, aux yeux de la juge en chef Lucie Rondeau, également présidente du Conseil de la magistrature. Cette disposition n’a « jamais fait l’objet de discussions lors du processus de facilitation », affirme-t-elle dans un rare communiqué.

Lucie Rondeau y demande à Simon Jolin-Barrette « d’accorder toute la réflexion nécessaire entourant les dispositions qui posent une limite importante à la capacité financière du Conseil de la magistrature d’assumer les fonctions essentielles de sa mission ».

Selon la Cour du Québec, cette disposition du projet de loi 26 « va à l’encontre du constat de la Cour d’appel du Québec selon lequel le fait que les sommes d’argent nécessaires au fonctionnement du Conseil n’aient pas à être votées chaque année par l’Assemblée nationale, mais sont plutôt accordées de façon pérenne, lui [permet] d’assumer sa mission en toute indépendance du pouvoir exécutif et législatif ».

Dépassement du budget

Les dépenses effectuées par le Conseil ont été abordées à la fin du mois d’avril, lors de l’étude des crédits budgétaires du ministère de la Justice. Il a été révélé que le Conseil avait dépassé de 1 million son budget annuel en raison de sa participation à de nombreuses contestations judiciaires, dont celle portant sur le bilinguisme des juges et la réforme de la loi 101 (projet de loi 96). Les dépenses ont atteint près de 4,6 millions de dollars, alors que le budget s’élève à 3,2 millions.

Il est important de rappeler que le Conseil de la magistrature effectue de telles dépenses de manière exceptionnelle lors de certaines contestations de dispositions législatives et ne peut présumer ni du volume ni de la complexité des dossiers en déontologie sur une base annuelle.

Extrait d’un communiqué du Conseil de la magistrature

Simon Jolin-Barrette a justifié la disposition en litige lors d’une mêlée de presse avant la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres mercredi. « Les crédits du Conseil de la magistrature sont des crédits permanents qui sont octroyés sans aucun contrôle, sans aucune limite. Je pense que c’est important dans une démocratie de faire en sorte que toutes les dépenses soient assujetties au contrôle et à un mécanisme de contrôle. »

Il a également laissé entendre que le Conseil de la magistrature avait fait des dépenses qui outrepassent son mandat. Il avait déjà critiqué le fait que des fonds avaient servi à contester sa réforme de la loi 101.

« La mission du Conseil de la magistrature, c’est notamment d’assurer la formation des juges, c’est notamment d’assurer la déontologie judiciaire. Ce sont les deux principales missions du Conseil de la magistrature. Ce qui signifie que, dans le cadre de ces champs-là, le Conseil doit exercer sa juridiction pour les raisons pour lesquelles il a été formé. Ce qui est fort important, c’est que les sommes utilisées qui sont confiées par les Québécois au Conseil de la magistrature servent aux fins auxquelles le Conseil est destiné. Et, surtout, on ne peut pas dépenser sans compter l’argent des Québécois, l’argent public. On doit gérer ça avec efficacité et une grande rigueur. C’est important que tous les organismes de l’État soient assujettis aux mêmes normes », a-t-il plaidé.

Entente quant à l’horaire des juges

Les crédits de l’Assemblée nationale sont également des crédits permanents. L’article 126 de la Loi sur l’Assemblée nationale prévoit en effet que « les sommes requises pour l’application de la présente loi sont prises sur le fonds consolidé du revenu ». Ses crédits s’élèvent à 177 millions de dollars pour cette année, en hausse de plus de 20 % en deux ans.

Rappelons que Simon Jolin-Barrette et la juge en chef se sont finalement entendus, le 21 avril, au sujet de la réforme de l’horaire des juges au terme de quatre mois de négociations menées par le facilitateur Jacques Chamberland.

Pour régler le conflit, Québec s’est engagé à nommer de nouveaux juges, alors que Lucie Rondeau s’est engagée à faire siéger plus souvent les juges. La magistrature s’engage également à atteindre des cibles de performance. Québec craignait une « avalanche » de milliers d’arrêts du processus judiciaire en raison de délais déraisonnables si rien n’était fait.

L’histoire jusqu’ici

Décembre 2021

La juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau annonce au ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette le déploiement dès septembre 2022 d’une réforme de l’horaire de travail des juges. Elle demande 41 nouveaux postes de juge.

Juillet 2022

Simon Jolin-Barrette tente de bloquer la réforme Rondeau dans un renvoi devant la Cour d’appel du Québec.

Janvier 2023

Le ministre et la juge en chef nomment l’ex-juge et ex-commissaire Jacques Chamberland à titre de facilitateur pour négocier une entente.

21 avril 2023

Simon Jolin-Barrette et Lucie Rondeau trouvent un « compromis » pour régler leur conflit. Québec va nommer 14 nouveaux juges, alors que la Cour du Québec va faire siéger les juges plus souvent.

25 avril 2023

On apprend à l’étude des crédits que le Conseil de la magistrature, présidé par Lucie Rondeau, a dépassé son budget de 1 million.

9 mai 2023

M. Jolin-Barrette dépose le projet de loi 26 pour nommer de nouveaux juges et encadrer le financement du Conseil de la magistrature.