Alors que le gouvernement Legault veut s’attaquer à l’enseignement du français, les profs de français ont une suggestion controversée mais intéressante : simplifier les participes passés⁠1.

Soyez honnêtes : pouvez-vous accorder les participes passés suivants sans vous fier au hasard et en expliquant la règle ?

1) Elles se sont [PARLER] ;

2) Une quantité de personnes se montraient [INTÉRESSER] par cette cause ;

3) Ils se sont [VOIR] ;

4) Ses livres font fureur ; les films qu’on en a [TIRER] connaissent le même succès.

5) Elle s’est [MENTIR] en faisant ce choix. ⁠2

Vous donnez votre langue au chat ? Vous êtes comme la quasi-totalité des Québécois, qui ne connaissent pas toutes les exceptions aux règles d’accord des participes passés.

Il n’y a qu’un seul véritable argument pour conserver cette trentaine d’exceptions : l’attrait du statu quo.

On pense au contraire que le français est une langue vivante qui doit évoluer. Et que le Québec doit être le premier État francophone à simplifier l’accord des participes passés.

Depuis 2014, le Conseil international de la langue française propose de simplifier les règles d’accord des participes passés. L’Association québécoise des professeur. e. s de français (AQPF) appuie cette proposition depuis 2021.

Actuellement, le participe passé sans auxiliaire s’accorde comme un adjectif. Avec l’auxiliaire « être », il s’accorde avec le sujet. Avec l’auxiliaire « avoir », il s’accorde avec le complément direct seulement si ce dernier est placé devant l’auxiliaire.

Jusque-là, c’est relativement simple. Mais il y a… une trentaine d’exceptions à ces règles (pronominaux, en, infinitif, verbes impersonnels, et bien sûr les exceptions des exceptions). Ces exceptions représentent en pratique seulement 1 % des cas de participes passés.

La réforme proposée est simple : on revoit les règles de base au complet et on élimine toutes les exceptions. Les participes passés sans auxiliaire s’accorderaient toujours comme adjectif (ça ne changerait pas), ils s’accorderaient toujours avec « être » (ça ne changerait pas) et seraient toujours invariables avec « avoir » (ça changerait). Dans 92 % des cas, les participes passés s’accorderaient de la même façon qu’avec les règles actuelles, selon une étude. ⁠3

Soyons sérieux : notre langue française ne sera pas moins belle si on simplifie les règles de base et qu’on se débarrasse de toutes ces exceptions archicompliquées qu’à peu près personne ne connaît ni n’utilise en pratique.

En plus, la règle du complément direct avec « avoir » est le seul accord de la langue française qui tient compte de la position des mots dans la phrase. Quand on y pense, c’est illogique.

Si on adoptait cette réforme, au lieu de se concentrer sur les exceptions et la règle du complément direct avec « avoir », les profs pourraient utiliser les 80 heures consacrées aux participes passés à l’école (surtout vers la fin du secondaire) pour renforcer l’enseignement des règles d’accord de base, où ont lieu la majorité des fautes de participes passés.

« Il faut concentrer davantage notre enseignement sur les régularités de la langue plutôt que sur les irrégularités. On veut bien utiliser notre temps en classe », dit Alexandra Pharand, vice-présidente de l’AQPF.

« Cette proposition de réforme est tout à fait logique et simple. Ce n’est pas un concours de complexifier la langue », dit Pascale Lefrançois, professeure en didactique du français et vice-rectrice à l’Université de Montréal.

Dans sa réflexion pour améliorer l’enseignement du français – dont les conclusions sont attendues en 2023 –, le gouvernement Legault devrait écouter les profs de français. Ces derniers savent de quoi ils parlent. Quatre de leurs propositions sont particulièrement intéressantes :

  • Simplifier l’enseignement du français en se concentrant sur les régularités de la langue (ex : simplifier les accords de participes passés et d’adjectifs de couleur) ;
  • Faire écrire davantage les élèves ;
  • Utiliser seulement la nouvelle grammaire, adoptée en… 1995 ;
  • Passer de trois à deux étapes scolaires afin de consacrer davantage de temps à l’enseignement et moins aux évaluations.

Québec osera-t-il simplifier les règles des participes passés ? Le cabinet du ministre de l’Éducation Bernard Drainville prévient qu’on n’enseignera pas « des règles de grammaire qui ne sont pas validées par l’Office québécois de la langue française (OQLF) ». De son côté, l’OQLF a « amorcé sa réflexion » mais prévient qu’une telle réforme devra « faire l’objet d’une concertation » avec le reste de la francophonie.

Traduction : le Québec ne veut pas procéder seul et ça risque d’être très long avant que tous les pays francophones s’entendent là-dessus.

Dommage.

⁠1. Lisez l’article : « Les profs de français veulent dépoussiérer les participes passés »

⁠2. Ces exemples proviennent de la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française. Voici les réponses :

1) Elles se sont parlé ; 2) Une quantité de personnes se montraient intéressées par cette cause ; 3) Ils se sont vus ; 4) Ses livres font fureur ; les films qu’on en a tirés connaissent le même succès ; 5) Elle s’est menti en faisant ce choix.

⁠2. Consultez l’entrée de l’Office québécois de la langue française (OQLF) sur les cas particuliers de participes passés ⁠3. Consultez l’étude : « Le participe passé : hier, aujourd’hui et demain » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion