(Québec) À ceux qui ont encore des sueurs froides quand vient le temps de conjuguer un participe passé, les professeurs de français vous ont entendus. Alors que le gouvernement Legault promet de revoir « en profondeur » les programmes de français au primaire et au secondaire, ils proposent d’enseigner une version simplifiée des participes passés, plutôt que de marteler des règles figées depuis des siècles.

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait promis de valoriser l’enseignement du français, ce qui est depuis devenu une « priorité gouvernementale ». En janvier, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a affirmé que « le statu quo pour l’enseignement de cette matière [était] inacceptable ». Il a finalement rencontré la semaine dernière des représentants de l’Association québécoise des professeur.e.s de français (AQPF), qui en avaient beaucoup à dire.

En entrevue avec La Presse, Alexandra Pharand, vice-présidente de l’Association et professeure de français en 2e secondaire, ne cache pas son exaspération face au temps consacré aux exceptions « et aux exceptions des exceptions » liées à l’enseignement des participes passés.

On évalue qu’au secondaire, un élève va passer plus de 80 heures à apprendre les participes passés. On passe un temps fou sur les exceptions, alors que les statistiques prouvent qu’elles concernent moins de 8 % des règles d’accord.

Alexandra Pharand, vice-présidente de l’AQPF et professeure de français

Selon Mme Pharand, la réforme qui est proposée – et qui n’est toujours pas adoptée – permettrait de concentrer les efforts en classe sur les « régularités de la langue française », plutôt que sur ces « fameuses exceptions »

L’accord des participes passés

Les règles actuelles

  • Le participe passé sans auxiliaire s’accorde comme un adjectif.
  • Le participe passé avec l’auxiliaire être s’accorde avec le sujet.
  • Le participe passé avec l’auxiliaire avoir est invariable lorsque le complément direct est placé après.
  • Le participe passé avec l’auxiliaire avoir s’accorde avec le complément direct s’il est placé avant.

Les exceptions actuelles

  • Participes passés pronominaux
  • Participes passés suivis d’un verbe à l’infinitif
  • Participes passés avec le complément direct « en »
  • Participes passés avec les verbes transitifs directifs, indirects ou intransitifs
  • Participes passés avec complément direct de mesure
  • Participes passés dont le complément direct se rapporte à un autre verbe
  • Participes passés des verbes impersonnels
  • « Les exceptions des exceptions »

La réforme proposée

  • Les participes passés sans auxiliaire s’accordent comme un adjectif avec le nom ou le pronom.
  • Les participes passés avec l’auxiliaire être s’accordent avec le sujet.
  • Les participes passés avec l’auxiliaire avoir sont invariables.

Source : Alexandra Pharand, AQPF

« Quand un élève me dit : “Madame, je ne comprends pas pourquoi on l’accorde comme ça”, la seule réponse que je lui donne est que des gens ont décidé des règles il y a 400 ans. C’est dur de lui faire avaler que c’est pertinent. Quatre cents ans plus tard, je dois enseigner des règles qui ne sont plus à propos en 2023. C’est déconnecté de leur réalité », plaide-t-elle.

Le goût de la lecture 

Face au déclin du français et pour être en concordance avec la volonté du gouvernement d’inverser cette tendance, l’AQPF souhaite que Québec inonde les écoles… de livres !

« Si tu vas dans n’importe quelle classe de français, même au primaire, les livres que tu trouves sortent de la poche des profs. Dans ma classe, j’ai fait une bibliothèque en achetant des fauteuils sur Marketplace et en partageant des publications sur les réseaux sociaux, où j’écrivais être à la recherche de livres. Les profs doivent prendre du temps et sortir de l’argent de leurs poches pour garnir leurs classes de livres. C’est vraiment un problème et c’est inacceptable », explique Alexandra Pharand.

De même qu’on ne demanderait pas à un médecin d’acheter ses masques, la jeune enseignante ne comprend pas pourquoi les profs doivent ouvrir leur portefeuille pour offrir des livres attrayants à leurs élèves, malgré les investissements consentis par Québec pour regarnir les bibliothèques scolaires.

« C’est notre outil de travail ! Les livres, c’est aussi essentiel pour les profs que peuvent l’être des instruments de chirurgie pour un chirurgien. L’autre problème qui est criant, c’est qu’on a souvent de vieux livres désuets. Un livre qui est plein de papier collant, qu’on a rabouté comme on peut et dans lequel on trouve les miettes de muffins laissées par quelqu’un qui l’a lu il y a trois ans, ça ne donne pas le goût à la lecture », déplore-t-elle.

Écrire pour encore mieux écrire

Aux nostalgiques des dictées, les professeurs de français rassemblés au sein de l’AQPF ont un message à passer : « Il y a des pratiques beaucoup plus innovantes », pour apprendre à bien écrire, et il faut les appliquer.

« La question que je pose souvent aux gens, c’est : “À part à l’école, quand avez-vous fait une dictée ?” Jamais. Ce qui est pertinent, c’est de mettre les élèves dans des situations d’écriture qu’ils vont pouvoir reproduire à l’extérieur du cours de français », affirme Mme Pharand.

Écrire pour une dictée, ce n’est pas écrire pour être lu. C’est écrire pour être corrigé par son prof. Et ça, ça n’a pas beaucoup de sens pour un élève.

Alexandra Pharand, vice-présidente de l’AQPF et professeure de français

En multipliant les contextes d’écriture et en donnant des possibilités d’avoir de la rétroaction, les enfants peuvent conjuguer le plaisir d’écrire et de le faire pour que ça ait une utilité dans leur vie quotidienne. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Alors si on veut que nos élèves soient habiles pour écrire, il faut les faire écrire tous les jours », dit Alexandra Pharand.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville

Dans leur entretien avec Bernard Drainville, les professeurs de français ont également milité pour que Québec réduise le nombre d’étapes scolaires de trois à deux.

« Avec trois étapes, il faut produire un bulletin en l’espace de deux mois, même si on ne connaît pas encore nos élèves. Juste les remettre dans le bain [des apprentissages] après l’été, c’est long. Ils ne sont pas encore revenus de vacances qu’on les met en situation d’évaluation. Le temps qu’ils sont en évaluation, c’est du temps perdu pour enseigner. C’est vraiment une mauvaise gestion du temps », a expliqué l’AQPF au ministre.

Et pour valoriser le français auprès des jeunes, la solution commence par « des investissements majeurs en éducation et en culture », a ajouté l’Association.

« Tout passe par la valorisation de notre langue et de notre culture. Si le gouvernement prenait la décision d’investir en inondant nos écoles de livres, de littérature québécoise, en amenant nos élèves plus souvent au théâtre, voir des spectacles de musique, d’humour, les élèves finiraient par s’y intéresser », a assuré Alexandra Pharand.

Appel à tous

Que pensez-vous de la réforme proposée par les professeurs de français pour simplifier l’enseignement de l’accord des participes passés ?

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