Un enseignant récemment accusé d’avoir commis des crimes sexuels à l’égard de six élèves du collège Stanislas de Montréal aurait contacté d’autres mineurs, alors qu’il travaillait dans d’autres écoles. Alexandre Gagné leur aurait dit tourner des films pornographiques ou chercher des mannequins, selon des témoignages obtenus par La Presse.

À la mi-mars, cet enseignant a été accusé d’avoir commis des crimes sexuels à l’égard de six élèves de l’établissement privé montréalais.

Il aurait notamment exploité sexuellement une adolescente alors qu’il était en position d’autorité ou de confiance, en plus de la forcer à lui envoyer des photos d’elle. Les cinq autres victimes mineures auraient reçu du matériel sexuellement explicite de la part de l’accusé ou auraient été leurrées par celui-ci.

Au cours des dernières semaines, La Presse a recueilli les témoignages de quatre autres élèves qui, à l’exception de deux, ne se connaissent pas et ont eu Alexandre Gagné comme enseignant dans deux autres établissements : l’école Liberté-Jeunesse à Sainte-Marthe-sur-le-Lac et le collège Jean-Eudes à Montréal. Ces témoignages concordent avec le parcours professionnel d’Alexandre Gagné, que nous avons pu valider.

Le modus operandi d’Alexandre Gagné avec ces quatre élèves s’apparente à celui qu’il aurait déployé au collège Stanislas dans le cadre des présentes accusations criminelles, selon nos informations.

Les quatre personnes qui ont témoigné à La Presse ont raconté avoir été contactées par Alexandre Gagné sur les réseaux sociaux. Trois d’entre elles disent que l’enseignant s’est décrit comme un acteur dans des films pornographiques ou comme un mannequin.

« Je ne veux pas commenter ces allégations », a répondu Alexandre Gagné, joint par La Presse à son domicile.

« Ce gars-là n’a jamais arrêté »

Quand il a vu l’enseignant en économie dans les médias récemment, Vincent (nom fictif) dit qu’il a réalisé qu’Alexandre Gagné avait un tel comportement « depuis longtemps ».

« Je me suis dit : ce gars-là n’a jamais arrêté », témoigne-t-il.

Vincent a côtoyé ce prof quand celui-ci faisait de la suppléance à l’école publique alternative Liberté-Jeunesse, à Sainte-Marthe-sur-le-Lac.

C’est après avoir quitté l’école, aux environs de 2007, qu’Alexandre Gagné aurait contacté le jeune, qui avait alors 15 ans.

« J’ai eu de longues conversations avec lui sur la plateforme MSN et de nombreux échanges de photos et vidéos explicites alors que j’étais mineur et qu’il était au courant », relate Vincent, qui ajoute avoir reçu et envoyé des photos dans le cadre de ces échanges.

Les conversations, dit Vincent, tournaient souvent autour de la pornographie, notamment du rôle de « Kevin Morgan », le nom prétendu d’acteur pornographique d’Alexandre Gagné.

« Il jouait beaucoup là-dessus, sur son rôle d’acteur porno », se souvient l’homme.

Ce n’est qu’en croisant Alexandre Gagné par hasard dans la rue il y a quelques années que ces souvenirs ont été « ravivés » chez Vincent, aujourd’hui dans la trentaine.

« J’étais dans ma puberté, dans la découverte de l’accès à la pornographie et [j’avais] une participation active à ça, sans jamais avoir conscience du fait que c’est de la pornographie juvénile », raconte-t-il.

Une enseignante de cette école qui a côtoyé Vincent au moment des faits relate qu’il s’est confié à elle il y a quelques années au sujet d’Alexandre Gagné.

« Je n’ai jamais eu connaissance de quoi que ce soit quand cet enseignant était à notre école. Malheureusement. J’aurais réagi. Ça me blesse de savoir que d’autres victimes se sont ajoutées au fil du temps », dit-elle.

Le centre de services scolaire des Mille-Îles confirme qu’Alexandre Gagné y a été employé de 2005 à 2007. « Il a ensuite quitté ses fonctions au sein de notre organisation de son plein gré », écrit sa porte-parole Mélanie Poirier.

Au collège Jean-Eudes, où l’enseignant a travaillé de 2007 à 2014, on affirme que d’« anciens » élèves se sont manifestés après un appel lancé par courriel à la suite des accusations déposées contre l’enseignant.

« […] est-ce que c’est fondé, est-ce que ça ne l’est pas, on les a dirigés vers les services policiers », explique Dominic Blanchette, directeur général de ce collège privé.

Des photos en « quantité industrielle »

Alexandre Gagné a été l’enseignant de géographie de Lucie (nom fictif) au collège Jean-Eudes de Montréal, en 2011 et 2012.

« Pendant qu’on était à l’école, à part être assez friendly, il n’était pas déplacé. Je le trouvais agréable, il était jeune, dynamique », relate-t-elle.

Or, Lucie raconte que peu de temps après l’obtention de son diplôme et alors qu’elle était mineure, l’enseignant l’a contactée sur Facebook.

« Il a commencé à m’écrire de façon informelle, pour parler de sujets anodins. Rapidement, il a commencé à me parler du fait qu’il faisait des photoshoots », dit-elle.

Elle dit avoir reçu des photos de lui en boxers en « quantité industrielle ».

« Il me disait qu’il avait fait des photos nues. [Les conversations] tournaient toujours autour du fait que j’étais jeune, mais j’étais VIP et j’avais accès à ses photos », dit la femme de 28 ans, qui affirme qu’Alexandre Gagné a « essayé de [la] faire embarquer » en lui faisant miroiter qu’elle pourrait elle aussi faire partie d’une agence de mannequins.

PHOTO FOURNIE

Alexandre Gagné aurait fait parvenir cette photo de lui à une de ses anciennes élèves du collège Jean-Eudes.

La Presse a eu accès à certaines de ces conversations, ainsi qu’à une photo qui aurait été envoyée par l’enseignant et sur laquelle il n’est vêtu que d’un maillot de bain. Les échanges se sont étalés sur deux ans.

Deux autres élèves qui ont fréquenté l’école secondaire Jean-Eudes pendant cette période ont livré des témoignages semblables.

Simon (nom fictif) dit qu’il a lui aussi été contacté par Alexandre Gagné sur Facebook quelques mois après avoir terminé son secondaire au collège Jean-Eudes en 2012. Lui aussi décrit l’enseignant comme « cool, accessible ».

Simon relate que sur Facebook, les conversations étaient au départ « sympathiques ». Mais « tranquillement », Alexandre Gagné se serait mis à parler de films pornographiques qu’il pourrait tourner avec son ancien élève de 17 ans.

« Il décrivait une scène, qu’on pourrait faire ensemble. C’était une opportunité pour que je devienne un acteur porno comme lui et que je puisse coucher avec des filles. C’était détourné, mais il avait envie de me voir nu », raconte Simon.

C’est sur Twitter que Judith dit pour sa part avoir été contactée par Alexandre Gagné, quelques mois après avoir terminé son secondaire, en 2012. « Dès que j’ai gradué, peut-être même deux jours avant, il a commencé à m’écrire », dit-elle. Elle n’avait pas encore 17 ans.

« Je n’ai jamais répondu, mais il m’envoyait des messages à 23 h, minuit… », se souvient-elle. La Presse a eu accès à ces messages. L’enseignant n’y tient pas de propos déplacés.

« Comme un coup de masse »

Jusqu’à tout récemment, Alexandre Gagné se présentait sur Facebook comme un « historien, journaliste, chroniqueur et pédagogue ». Il a supprimé ce compte, tout comme celui sur Twitter où il relayait des nouvelles d’actualité internationale.

Les accusations déposées contre lui ont eu des échos jusqu’à Rimouski, où il tenait jusqu’à tout récemment une chronique sur l’actualité internationale à la station de radio CFYX.

L’animateur Michel Turcotte connaît depuis longtemps le natif de l’endroit. Il le décrit comme quelqu’un de « très compétent » et « très rigoureux ».

« Alex, c’est un gars straight, by the book et toujours préparé. Ses chroniques internationales sont toujours très écoutées. Ça a été comme un coup de masse », dit M. Turcotte, qui précise qu’Alexandre Gagné a été remplacé.

Le directeur général du collège Jean-Eudes dit lui aussi que les enseignants ont été « stupéfaits » d’apprendre que des accusations d’exploitation sexuelle avaient été déposées contre Alexandre Gagné.

Dans cet établissement, le dossier disciplinaire de l’enseignant est « vierge » et aucune dénonciation n’a eu lieu pendant les sept années où il y a travaillé.

« C’est une grande déception », dit Dominic Blanchette.

Alexandre Gagné a son brevet d’enseignement, dit-il également, une information que le ministère de l’Éducation n’a pas voulu confirmer.

Après avoir quitté le collège Jean-Eudes, l’enseignant a travaillé au collège Notre-Dame de Montréal, montrent des documents et un témoignage que nous avons obtenus. Cet établissement a refusé de commenter la chose, arguant qu’il s’agit d’informations confidentielles.

Jointe par La Presse, la procureure de la Couronne chargée du dossier Gagné n’a pas voulu commenter, compte tenu des accusations criminelles déjà portées. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales invite toutefois toute personne qui croit avoir été victime d’Alexandre Gagné à contacter le Service de police de la Ville de Montréal.

« Nous prenons ces allégations très au sérieux et tout témoin sera rencontré sérieusement », a indiqué MAnna Levin, procureure aux poursuites criminelles et pénales.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse