Citant les circonstances « uniques et exceptionnelles » de l’affaire, le juge condamne l’accusée à un sursis de peine et une probation de deux ans

Une fillette de 7 ans morte ébouillantée dans des circonstances nébuleuses. Une mère sous le joug absolu de sa belle-famille. La DPJ qui abdique malgré d’inquiétants signaux d’alarme. Un cas exceptionnel de négligence s’est conclu jeudi par l’imposition d’une peine clémente à la mère de la victime.

Début janvier 2021. C’est le choc dans le quartier Chomedey, à Laval. Une fillette de 7 ans est retrouvée morte. Elle est gravement brûlée sur 70 % de son corps. Si, au départ, la mère est montrée du doigt, étant même accusée de négligence criminelle causant la mort, l’enquête révélera qu’elle n’a pas blessé sa fille, bien au contraire. Dans les faits, la mère est elle-même une victime.

Qui donc a infligé des blessures aussi horribles à la fillette ? A-t-elle pu s’ébouillanter elle-même de manière aussi extrême ? Le jugement ne fait pas la lumière sur l’ultime responsable, puisqu’un patriarche de la famille a imposé à tous la « loi du silence », devant les policiers de surcroît.

Le rôle joué par Fatima*, la nièce du père de la victime, est particulièrement troublant. Le juge conclut même que cette jeune femme « aurait joué un rôle prédominant » dans la mort de la fillette. De plus, la petite sœur de la victime a confié que Fatima versait des seaux d’eau chaude sur elle et sa sœur pour les punir. La survivante était terrorisée par Fatima. Cette dernière n’a jamais été accusée.

La mère, elle, a plaidé coupable, en février dernier, d’avoir omis de fournir les choses nécessaires à la vie de sa fille, alors que celle-ci se trouvait dans le besoin. La Couronne réclamait une peine de deux ans moins un jour de prison. Citant les circonstances « uniques et exceptionnelles » de l’affaire, le juge Yvan Poulin l’a condamnée jeudi à un sursis de peine et une probation de deux ans.

« Les évènements sont tristes et bouleversants. Ils mettent particulièrement en lumière le désarroi de [la mère] face aux graves problèmes de santé mentale dont souffrait sa fille, ainsi que la sérieuse emprise exercée par certaines personnes de son entourage qui avaient à toutes fins pratiques pris charge de la situation sans que Madame ne puisse réellement intervenir », résume le juge Poulin.

Un climat familial « toxique »

Arrivée au Canada dans le cadre d’un mariage arrangé avec un homme plus vieux, l’accusée était sous l’emprise presque complète de la famille de son mari, qui travaillait à l’étranger. Le juge insiste d’ailleurs sur le climat familial « malsain » et « toxique » au sein de cette famille originaire d’Asie centrale qui habitait deux maisons voisines.

C’est dans ce contexte que la victime présente de graves problèmes de comportement dès son jeune âge. À l’été 2019, elle parle même de tuer sa petite sœur de 3 ans. Elle dort avec des ciseaux sous son oreiller et dit aimer se faire du mal. La mère essaie d’obtenir de l’aide, mais ne peut pas en parler avec sa communauté parce que cela est mal vu. Les experts posent de nombreux diagnostics de problèmes de santé mentale. La nièce Fatima joue alors un rôle prépondérant dans l’éducation des enfants.

Pendant la pandémie, l’état de la fillette dégénère. Elle s’automutile avec ses ongles, se cogne violemment la tête contre les murs au point de faire des trous et s’arrache les cheveux. La fillette commence à frapper sa mère, avec l’« assentiment » de Fatima.

La mère est si martyrisée que son visage est couvert d’ecchymoses. Une connaissance observe d’ailleurs la fillette donner de violents coups de poing à sa mère au magasin, sous les yeux de Fatima.

La mère était sous un tel joug que sa propre fille l’obligeait à se cloîtrer dans sa chambre. « Il en était ainsi en raison de la dynamique extrêmement malsaine qui avait été graduellement instaurée par [Fatima] et certains autres membres de la famille », relève le juge.

« Impossible » de scolariser la fillette

En septembre 2020, la fillette retourne à l’école régulière, puisqu’elle ne peut intégrer une classe spécialisée en raison du confinement. Or, c’est un fiasco. Elle s’arrache les cheveux et se cogne la tête contre le sol. Il est impossible de la scolariser, conclut le directeur. C’est à ce moment que la DPJ s’implique dans le dossier.

Une première rencontre se déroule en compagnie de la mère et de Fatima. La DPJ ne constate aucun élément de négligence, bien que l’intervenante constate que la fillette force sa mère à s’isoler dans sa chambre et refuse que celle-ci socialise avec des étrangers. Elles sont orientées vers le CLSC.

À la mi-octobre, une travailleuse sociale constate que la fillette est en « bris majeur de fonctionnement et qu’il est impossible de la scolariser ». Or, une semaine plus tard, la DPJ ferme le dossier de signalement puisque le CLSC a pris en charge le dossier et que la mère veut s’impliquer. La fillette va mourir ébouillantée deux mois plus tard.

« Épuisement mental » de l’accusée

Dans un sordide crescendo, la violence s’accentue. Sortie d’une hospitalisation en psychiatrie, la fillette multiple les agressions contre sa mère quand celle-ci ne suit pas les règles imposées par sa fille. Encore une fois sous la gouverne de l’influente Fatima.

C’est donc dans ce contexte d’oppression extrême que la mère s’en remet « entièrement » à Fatima pour les soins de sa fille. La mère passe ses journées dans sa chambre pour éviter de provoquer la colère de sa fille. Le juge évoque ainsi l’« épuisement mental » de l’accusée.

Le 31 décembre 2020, la mère trouve un chandail de sa fille taché de sang dans le lavabo. Fatima lui demande d’aller chercher des pansements à la pharmacie. Quand elle voit sa fille, elle observe une large coupure ou rougeur au bas du dos. Elle laisse alors Fatima soigner sa fille. Le lendemain, Fatima lui dit de retourner acheter d’autres pansements.

Confinée pendant deux jours, la mère ne voit pas sa fille pendant cette période. Le 2 janvier, Fatima lui montre une photo du visage de sa fille, tout rouge, et lui dit que l’enfant s’est causé elle-même cette brûlure sous la douche. Fatima lui demande de ne pas aller voir sa fille pour éviter une crise.

Le lendemain, Fatima amène la fillette dans la chambre de la mère. Son visage est « complètement rouge-brun ». Elle ne respire plus. Les membres de la famille débarquent sur place. Au 911, on demande à la mère de faire le bouche-à-bouche à sa fille. Or, sa mâchoire est déjà rigide et son corps, froid. L’heure de sa mort n’est pas précisée dans le jugement.

C’est ensuite l’omerta dans la famille, tandis que Fatima rejette la faute sur la mère et lance de nombreux mensonges. Seuls les récits des enfants survivants lèvent ainsi le voile sur la cruauté de Fatima. Ainsi, la petite sœur confie avoir été ébouillantée par elle. Quand elle en a parlé à son grand-père, il l’a sommée de se taire pour éviter la prison à Fatima et sa sœur.

Facteurs atténuants

De nombreux facteurs atténuants militent en faveur de la mère, conclut le juge. Ainsi, c’est sous « des pressions familiales indues » qu’elle a abdiqué ses responsabilités parentales au profit de Fatima. D’ailleurs, la mère croyait que Fatima était bien intentionnée et elle ignorait la nature et l’ampleur des brûlures de sa fille. Sa responsabilité criminelle – très amoindrie – se limite au fait qu’elle n’a pas suffisamment vérifié l’étendue des blessures de sa fille.

Depuis, la mère a coupé les ponts avec sa belle-famille, travaille à temps plein et visite ses autres enfants avec l’accord de la DPJ, conclut le juge.

MKarine Dalphond a représenté le ministère public, alors que MKaven Morasse a défendu l’accusée.

* Prénom fictif