Une série qui vous présente, tout au cours de l’année, des personnes ou des organismes qui pallient les défaillances de nos réseaux publics.

Ils sont à l’aube de l’âge adulte, ils sont criblés de problèmes, de blessures d’enfance, et l’école, pour eux, a été une longue expérience traumatisante. Certains d’entre eux se sont perdus dans « le trou » de l’éducation aux adultes. Et puis, ils sont débarqués chez Déclic, un organisme qui a pour mission de les raccrocher à l’école. Et, contre toute attente, ça marche. Bienvenue à l’usine à miracles.

Comme un conte de fées

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Ancienne participante de l’organisme Déclic, Carolann Gauthier occupe aujourd’hui son emploi de rêve : chapelière pour un atelier de costumes.

« Je ne retournerai jamais à l’école ! »

Il y a 10 ans, Carolann Gauthier était une petite punkette aux cheveux mauves. Le doigt vengeur, elle avertissait Benoît Bernier, fondateur du groupe Déclic, de ce qui l’attendait si d’aventure il envisageait de lui parler d’un retour aux études.

Dix ans plus tard, Carolann a les cheveux bleus… et trois diplômes. Elle qui était incapable de tracer correctement les lettres de son propre nom à 20 ans, qui ne reconnaissait pas parfaitement ses chiffres, elle a géré sa propre entreprise de confection pendant six ans et occupe désormais son emploi de rêve : chapelière pour un atelier de costumes.

Ainsi va la vie chez Déclic, de petit miracle en petit miracle. L’organisme a pour mission de « raccrocher » des jeunes qui ont abandonné l’école. Et pas les moindres : « Vous avez les élèves les plus difficiles à scolariser », a résumé le renommé psychologue Égide Royer, après avoir visité le groupe il y a quelques années.

Carolann a frappé son mur en 4e secondaire. Elle a échoué à passer son année. Et c’est à ce moment qu’on l’a fait évaluer par un neuropsychologue. Diagnostic : dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Carolann Gauthier

Le jour de mon diagnostic, ma mère était aussi sonnée que moi. La neuropsy a dit : “C’est un miracle qu’elle soit au secondaire.” J’avais très, très bien caché mon jeu.

Carolann Gauthier

Après avoir erré, et quitté son Abitibi natale, elle aboutit chez Déclic. Elle est intégrée à un groupe qui réalise un projet photo. Elle y constate qu’elle est, malgré tous ses problèmes, privilégiée. « Les autres jeunes, ils avaient pas des bonnes familles, ils venaient de la DPJ, ils avaient été garrochés un peu partout. Il y en avait une qui dormait dans son char parce que sa mère venait de la mettre dehors… J’étais la seule à avoir deux parents que je connaissais ! Et là, je me suis dit : si j’ai ma place ici, c’est peut-être que ma situation est plus grave que je pensais… »

Chez Déclic, elle trouve « un grand calme, une acceptation ». Elle profite de cette pause pour se recentrer. « En arrivant ici, je me suis dit : mais je suis qui, moi ? Qu’est-ce que je veux ? Ils m’ont donné le courage de faire mon DEP en confection sur mesure. »

Et la suite se raconte presque comme un conte de fées. Costumes compris.

Ils partent de très loin

Comme Carolann, les jeunes qu’on accueille chez Déclic, un organisme qui existe depuis près de 30 ans, partent souvent de très, très loin. Ils ont presque toujours des troubles d’apprentissage, parfois de santé mentale. La très grande majorité sont des ex-enfants de la DPJ. « Et ceux qui ne le sont pas, ils sont souvent passés sous le radar de la DPJ », explique Sonia Lombart, fondatrice de Déclic avec son complice Benoît Bernier.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Benoît Bernier et Sonia Lombart, fondateurs de l’organisme Déclic

Ils sont adultes mais ont l’équivalent d’une 1re ou d’une 2e secondaire… « et dans les faits, ils peuvent être de niveau 5e ou 6e année », explique Benoît Bernier. Ils ont très souvent fait leur parcours scolaire sur des voies de garage. Au début du secondaire, on a jugé qu’ils seraient incapables d’obtenir leur diplôme et on les a aiguillés vers des formations de type préparatoire au travail. « Dans les faits, leur scolarité s’est arrêtée là », résume Isabelle Breault, intervenante chez Déclic.

« J’ai vu ce que c’était, ces classes-là. Les profs se retrouvent avec tous les rôles. Et il n’y a personne à qui référer. Tu n’as pas le temps de faire quoi que ce soit. Tu veux les aider… mais tu es le troisième prof qu’ils ont dans l’année… », résume Charlotte Grenier, orthopédagogue chez Déclic.

À leur arrivée à l’organisme, les jeunes vivent de l’insécurité en ce qui concerne le logement, la nourriture, ce sont souvent des consommateurs de drogue. Normal, dit Isabelle Breault : « Consommer, ça a sauvé leur vie. Ça leur a permis de s’échapper de situations atroces. Ils ont vécu des blessures d’enfance importantes… et un parcours scolaire cahoteux. »

Prenez Alexandre, qui a maintenant 31 ans. À 15 ans, il a fini par fuir un foyer où ses parents étaient alcooliques et violents. Il s’est retrouvé en appartement avec sa grande sœur de 17 ans. Jamais les deux enfants n’ont été signalés à la DPJ : ils étaient absolument seuls dans tout ça. Dans un tel contexte, on se doute bien que les résultats scolaires n’étaient pas tout à fait au rendez-vous.

« Je me suis fait dire toute ma vie que je n’avais pas de capacités pour l’école, que j’allais travailler de mes mains », raconte Alexandre. En partant de chez lui, il quitte aussi l’école. Des années plus tard, il se retrouve chez Déclic.

Avec Alexe [son intervenante], j’ai compris que j’étais capable d’avoir des résultats à l’école.

Alexandre, participant de l’organisme Déclic

Alexandre termine actuellement sa 5e secondaire et se prépare à entrer au cégep.

Bien franchement, son histoire est à crever le cœur.

Allergiques à l’école

Comme celle de plusieurs de ces jeunes qui, au fil d’expériences traumatisantes dans les établissements scolaires, sont devenus pratiquement allergiques à l’école. Prenez Judy, 19 ans. Il y a quatre ans, elle vivait en centre de réadaptation. On lui a donné le choix : école, travail ou Déclic. Elle a choisi Déclic, parce qu’on lui donnait un petit salaire pour participer au programme Parcours.

Le premier jour, elle était devant le bâtiment de l’école pour adultes où se trouvent les locaux de Déclic, dans l’auto de sa grand-mère. Envahie par la panique, elle ne voulait pas sortir. « Dès que j’ai vu l’école, je me suis dit : non, je m’en vais… »

Le premier jour, l’anxiété était telle qu’elle n’a été en mesure de rester qu’une heure dans le local avec le reste du groupe.

Mes mains shakaient tellement que la chaise faisait du bruit. J’ai eu beaucoup de traumas à l’école. C’était pas juste anxiogène, j’avais peur d’aller dans un établissement scolaire.

Judy, ancienne participante de Déclic

« Une intervenante venait régulièrement me demander si j’étais correcte. Quand ça allait pas, je sortais avec elle. » Penses-tu revenir demain ? lui a demandé l’intervenante à la fin de la journée. « Si toi, tu es là, je reviens demain », lui a répondu Judy.

Le deuxième jour, elle a pu rester quelques heures dans les locaux. Et le troisième jour, c’était parti. Elle a trippé avec le groupe, où trois jeunes sur cinq étaient hébergés en centre de réadaptation. Elle en garde d’impérissables souvenirs.

Voyez-vous pourquoi les gens de Déclic s’efforcent par tous les moyens d’aménager leurs locaux pour que ça n’ait pas l’air d’une école ? Dans le point de service d’Hochelaga-Maisonneuve, on a repris les anciens locaux d’une designer. Planchers de béton chauffants, jolis sofa – donnés – à l’entrée, légère odeur d’eucalyptus… On a l’impression d’entrer dans les locaux d’une jeune pousse techno. Le contraste est total avec les locaux décrépits de plusieurs écoles…

Aujourd’hui, Judy travaille dans une usine. Elle a un bon emploi. Elle vit avec son conjoint, qui a des enfants. Tous les jours, elle leur dit à quel point l’école est importante.

« Déclic, ça m’a fait tolérer l’école. »

Les noms de certains jeunes participants des programmes de Déclic ont été changés, afin que d’éventuels employeurs ne puissent pas connaître des éléments de leurs histoires personnelles. Nous ne les identifions pas dans les bas de vignette des photos pour la même raison.

Des cours de « serrage de mains »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Stéphanie Desnoyers-Dubé (au centre), en compagnie de sa conjointe, Karolyne Auger, et de leurs enfants, Ollie-Skye Auger (2 ans) et Maïloh Auger (5 ans)

Stéphanie Desnoyers-Dubé s’en souviendra toute sa vie, de la fin de son programme Focus chez Déclic. Pendant 16 semaines, les jeunes avaient été équipés d’appareils photo et d’ordinateurs. Ils ont eu de vrais cours de photo. On leur a donné des défis photographiques. Et puis, à la fin, il y a eu un vernissage de leurs œuvres.

« Ils avaient fait imprimer nos photos en grand format, elles étaient sur des chevalets lumineux… C’était magnifique. On se sentait importants. C’était un accomplissement. Pendant toutes ces semaines, on s’est sentis considérés, aimés inconditionnellement », raconte la jeune femme qui a maintenant 30 ans… et a toujours gardé le contact avec les gens de Déclic.

À son arrivée à l’organisme, Stéphanie venait tout juste de sortir du centre de réadaptation. Elle avait fait tout le circuit de la DPJ, famille d’accueil, foyer de groupe, centre de réadaptation. Une quinzaine d’endroits en quatre ans. Elle se mutilait, faisait des crises, et, chaque Noël, elle devait être transférée en centre sécuritaire parce qu’elle avait des idées noires et était parfois passée à l’acte. « J’étais très difficile. »

Au centre, elle avait hérité de l’étiquette trouble de personnalité limite. « Un diagnostic fourre-tout. » À sa sortie, elle était animée d’une constante bougeotte, incapable de garder un emploi ou un logement plus de quelques mois. Après des années de déménagements annuels chez sa mère, puis 15 déplacements en 4 ans dans les centres, « l’instabilité, c’était devenu [son] mode de vie ».

Alors pour elle, 16 semaines de Focus, c’était gros. Très gros.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Stéphanie Desnoyers-Dubé, ancienne participante de Déclic

J’ai voulu lâcher. Marie-Hélène [Rivard, la coordonnatrice clinique] m’a dit : “Tu restes une semaine de plus, et on se voit tous les jours.” Ça a brisé un pattern pour la vie. Sans eux, je ne serais pas où je suis aujourd’hui.

Stéphanie Desnoyers-Dubé, ancienne participante de Déclic

Stéphanie a terminé sa 5e secondaire avec plus de 90 % de moyenne. Elle a fait deux DEP. Elle vit avec sa conjointe en banlieue. Elles ont deux enfants, en plus du fils de sa conjointe. Et, léger détail : Stéphanie n’avait pas du tout de trouble de personnalité limite. On lui a diagnostiqué un syndrome d’Asperger, avec douance.

Dire qu’à 18 ans, à sa sortie du centre, on l’avait inscrite de facto à l’aide sociale…

Des projets concrets

C’est en offrant aux jeunes des programmes comme celui qui a sauvé Stéphanie que Déclic parvient à débloquer leur potentiel. Parcours, Phoenix, Focus, les noms diffèrent mais le principe est le même : un certain nombre de semaines, un projet concret, des ateliers, un petit salaire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Un atelier d’ébénisterie est offert aux jeunes participants du programme Phoenix de l’organisme Déclic.

On a développé des approches qui étaient ancrées dans la quête de sens. Des approches entrepreneuriales, par exemple.

Benoît Bernier, cofondateur de Déclic

Impression de t-shirts, fabrication de savons, services alimentaires pour des organismes, opérations de type « donnez au suivant », ateliers de réparation… « C’est un laboratoire d’exploration, résume Benoît Bernier. Le but, c’est de leur faire vivre une expérience d’apprentissage positive dans un milieu bienveillant. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

L’orthopédagogue Joanie Lalonde et l’intervenant Maxime Larcher (à droite) encadrent un jeune participant lors d’un atelier de réparation de vélos.

Le retour à l’école n’est pas nécessairement un objectif immédiat pour les 250 jeunes aidés chaque année. « Parfois, le cheminement avant d’entrer à l’école peut prendre un an, deux ans, dit M. Bernier. On n’impose jamais rien. » Les groupes sont formés avec soin, épaulés par trois intervenants pour huit jeunes.

Zoé, 19 ans, faisait partie du groupe Phoenix en mars dernier. La jeune a laissé l’école à 16 ans pour travailler. Après une pléthore de jobines, elle a voulu retourner aux études. « J’ai toughé trois jours à l’école pour adultes. » Avec les autres participants à Phoenix, elle a visité l’école des métiers de la construction à sa première semaine dans le programme. « J’ai trippé ! Mon plan A, c’est la construction. Mon plan B, c’est camionneuse. »

Au Fab Lab d’Hochelaga-Maisonneuve, une sorte de royaume du patenteux moderne, Zoé écoute l’animateur expliquer comment fonctionne l’imprimante 3D, la machine de découpe sur bois au laser… Elle découvre un monde. Chaque jour, elle fait plusieurs heures de transport en commun aller-retour pour venir à Déclic. « Ils sont super fins, ils nous aident, une inscription, eux autres, ils font ça en un claquement de doigts. »

Certains jeunes partent de bien plus loin que zéro. « J’ai déjà donné des cours de serrage de mains », rigole Isabelle Breault.

Les problématiques sont de plus en plus lourdes. En situation de plein emploi, les jeunes qui viennent chez nous sont vraiment poqués, sinon ils seraient au travail. Ils ont parfois trois ou quatre diagnostics, c’est vraiment hallucinant.

Marie-Hélène Rivard, coordonnatrice clinique à Déclic

Un salon en forme d’espace sûr

Chaque jour, Isabelle Breault anime des « salons Déclic » dans les locaux du groupe, qui jouxtent un centre d’éducation aux adultes. Une sorte d’espace sûr pour les jeunes, où ils peuvent décompresser.

Aujourd’hui, l’atelier porte sur l’écriture d’un slam. Elle leur fait écouter un slam de David Goudreault, qui parle de violence faite aux femmes. La dizaine de jeunes sur place sont suspendus aux lèvres du slammeur, comme figés sur place. Certains réagissent plus que d’autres. L’un des garçons part, manifestement, le propos était trop dur à encaisser.

Déclic offre aussi des suivis individuels de nature psychosociale, indispensables avec une telle clientèle. « Comment peut-on être disponible à l’apprentissage quand on lutte pour sa survie ? Impossible, dit M. Bernier. On essaie de rendre le jeune disponible, on s’attaque à ses problèmes de toxicomanie, on l’aide à demander de l’aide sociale, on a même un avocat pour les problèmes de logement. »

Alexe Piché est une intervenante de suivi. Elle a carte blanche pour intervenir avec les jeunes. Elle peut aller faire l’épicerie avec eux, leur montrer comment faire leur souper.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Alexe Piché, intervenante de suivi à Déclic

Si je veux aller monter le mont Royal avec un jeune, c’est possible. Je suis déjà allée patiner. Dans le cas d’un jeune qui avait des problèmes de santé mentale, il n’était plus capable de sortir de chez lui. Je suis allée, je l’ai sorti, 10 minutes à la fois, avec plusieurs attaques de panique.

Alexe Piché est une intervenante de suivi à Déclic

Billy a bénéficié de tous ces services. Il a participé à Parcours deux fois, à Phoenix au printemps dernier et reçoit un suivi individuel. Le jeune de 19 ans a une vie bien difficile : sa mère souffre d’un cancer depuis qu’il a 15 ans. Son père travaille. Les deux enfants se retrouvent souvent à s’occuper de maman.

Billy est dyspraxique, il a aussi une dyscalculie. Il a fréquenté une école spécialisée toute sa scolarité : son passage à l’éducation aux adultes a lui aussi été désastreux. Il a bien failli « crasher » définitivement pendant la pandémie.

Son passage à Déclic a été sa planche de salut : un endroit où la porte s’ouvre, et ne se referme jamais. « Ici, on est comme un genre de petite famille. »

La scolarité déficiente des jeunes de la DPJ

L’étude sur le devenir des jeunes placés (EDJEP), réalisée en 2020 auprès d’une cohorte de 1000 jeunes qui avaient quitté les services de la DPJ, a sonné l’alarme sur la scolarité déficiente des jeunes hébergés dans des ressources de la DPJ. À peine le quart des jeunes hébergés parvenaient à obtenir un diplôme d’études secondaires à 19 ans, comparativement à 80 % des jeunes qui n’ont pas connu de parcours dans les services sociaux. L’étude en concluait que la scolarité était souvent reléguée au second plan dans les centres de réadaptation.

Dans le « trou » de l’éducation aux adultes

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Sonia Lombart et Benoît Bernier, fondateurs de Déclic

Imaginez une école, toute neuve, qui n’a pas l’allure d’une école. On y offrirait à des jeunes criblés de problèmes des services spécialisés pour leur permettre d’actualiser leur potentiel scolaire. Cette école serait assortie d’une résidence, où les élèves qui en ont besoin pourraient obtenir un logement à bas prix et des services alimentaires de qualité.

Cette école sur mesure, ça pourrait être un incroyable tremplin pour 130 jeunes en grande difficulté, dont l’avenir est autrement très sombre. C’est le rêve de Benoît Bernier et Sonia Lombart. Elle coûterait 65 millions à bâtir, puis 5 millions par année à exploiter. Une peanut, à l’échelle du gigantesque budget de l’éducation.

« Cette école, ce serait un laboratoire », résume Benoît Bernier, où on pourrait notamment mettre à l’essai des formules novatrices pour la formation professionnelle. Une approche par compagnonnage, par exemple, où le jeune est jumelé avec un professionnel et apprend en travaillant à ses côtés.

Les deux entrepreneurs sociaux ont fait le tour pour vendre leur projet, baptisé Campus Agora. « Tout le monde nous appuie, du Conseil du patronat jusqu’aux grands refuges », résume Benoît Bernier.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Égide Royer, psychologue

J’encourage fortement le gouvernement à donner son appui à ce projet.

Égide Royer, psychologue

Mais ça ne se fait pas. Parce que le projet, hors normes, ne rentre pas dans les cases du financement étatique.

La FGA, une catastrophe

Depuis 30 ans, Sonia Lombart et Benoît Bernier ont bien essayé de travailler avec le système scolaire où se retrouvent leurs clients, l’éducation aux adultes. De son vrai nom : la formation générale des adultes (FGA). Mais ils n’en peuvent plus du « trou de l’éducation aux adultes ».

On a essayé de fonctionner avec le système. Mais on est découragés. On s’est dit : ça va faire. Il faut changer le paradigme.

Sonia Lombart et Benoît Bernier, fondateurs de Déclic

La formation générale des adultes est une catastrophe, diagnostiquent-ils. Le gouvernement y engloutit pourtant 435 millions de dollars chaque année.

Le système, au départ créé pour des adultes qui retournent sur les bancs d’école afin d’acquérir une formation supplémentaire, s’est transformé en voie de garage pour les élèves en difficulté, qui proviennent directement du secteur jeunesse après un parcours scolaire désastreux.

« C’est la clientèle la plus difficile qui s’inscrit aux adultes, des décrocheurs qui raccrochent et qui traînent de lourds problèmes avec eux. … et on a la structure la moins adaptée », résume M. Bernier. « La formation aux adultes est devenue le prolongement de tout ce qui va mal dans notre système… avec très, très peu de ressources », ajoute Joanie Lalonde, orthopédagogue chez Déclic. « La FGA est devenue un système scolaire parallèle, où on n’a pas les ressources ni l’expertise pour aider les jeunes », confirme Égide Royer.

À l’échelle du Québec, pas moins de 30 000 jeunes de 16 à 19 ans fréquentent les établissements pour adultes, et la proportion d’élèves qui ont des problèmes d’apprentissage ou de santé mentale est effarante, indique M. Royer. Si on y ajoute des jeunes de 20 à 24 ans, les effectifs « jeunes » de l’éducation aux adultes atteignent près de 40 % du total des 144 000 élèves inscrits en 2021-2022, selon les chiffres du ministère de l’Éducation.

Il faut savoir que ces établissements pour adultes ne donnent pratiquement pas de cours magistraux. Les élèves y font en classe des modules d’apprentissage de façon autonome. Un professeur est assis à l’avant de la classe, disponible pour répondre aux questions sur demande.

Bref, les profs n’enseignent pas, n’ont aucune gestion de classe à faire… « Plusieurs sont là parce qu’ils estiment avoir les meilleures conditions de travail du réseau ! », dit Joanie Lalonde.

Taux d’abandon important

Malgré cette clientèle lourdement handicapée par des problèmes d’apprentissage, une très faible proportion de ces enseignants ont une formation en adaptation scolaire. De même, très peu de spécialistes sont disponibles dans les établissements qui offrent de la formation générale aux adultes. À l’échelle du Québec, un total de 240 personnes détiennent une formation en adaptation scolaire ou de spécialiste. Sur des effectifs de plus de 5500 profs, c’est l’équivalent d’une goutte d’eau dans l’océan.

Résultat : la popularité de la FGA est donc en solide déclin. Les 165 établissements sont passés de 174 000 élèves en 2017 à 144 000 cinq ans plus tard, une baisse de 20 %. Le taux d’abandon y est important : près du tiers des élèves (27 %) ne réussissent pas leurs objectifs et ne se réinscrivent pas l’année suivante.

Un jeune que je suivais a déjà passé un an et demi sur un cahier de maths de secondaire 3 alors qu’il devait faire trois cahiers pour terminer son année… personne ne lui a jamais posé une question !

Marc-André Roy, intervenant à Décli

Quand l’élève souffre de dyslexie ou de dysorthographie, « c’est un échec assuré », dit Benoît Bernier. « Et le drame, c’est que l’élève va donc se convaincre qu’il n’est pas capable », ajoute Sonia Lombart. D’autant plus que les mesures adaptatives dont l’élève bénéficiait au secteur jeunes ne suivent généralement pas aux adultes.

Survivre au « trou » devient donc pratiquement mission impossible.

Appel à tous

Vous connaissez des organismes ou des personnes en région qui épaulent les réseaux publics et font la différence dans la vie de certaines clientèles au Québec ?

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