(Montréal) Une organisation musulmane et un groupe de défense des libertés civiles demandent à la Cour d’appel d’entendre leur contestation d’une décision de première instance qui a maintenu pour l’instant l’interdiction de tout espace pour prier dans les écoles publiques du Québec.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, invoquant la Loi sur la laïcité de l’État, a interdit en avril aux écoles publiques du Québec de mettre des espaces de prière à la disposition des élèves.

M. Drainville précisait que les élèves seraient toujours autorisés à prier à l’école, mais discrètement et en silence. Les deux organismes qui contestent le décret ont toutefois souligné que les prières musulmanes nécessitaient une « action physique ».

Une requête en injonction avait été déposée au nom d’un élève musulman de 16 ans d’une école secondaire de la région de Montréal qui avait obtenu un endroit pour prier pendant l’heure du dîner, mais qui a perdu ce site après l’entrée en vigueur du décret ministériel d’avril.

L’Association canadienne des libertés civiles et le Conseil national des musulmans canadiens espéraient au moins obtenir la suspension de l’interdiction jusqu’à ce que leur contestation judiciaire soit entendue sur le fond.

Mais en juin dernier, le juge Lukasz Granosik, de la Cour supérieure du Québec, a refusé de suspendre le décret ministériel par le biais d’une injonction interlocutoire provisoire. Le juge a estimé que les deux organismes n’avaient pas prouvé qu’il était « urgent » de suspendre l’interdiction en attendant que l’affaire soit entendue sur le fond par le tribunal.

Les deux organismes demandent maintenant à la Cour d’appel l’autorisation de contester cette décision.

Avant le retour a l’école

Laura Berger, une avocate de l’Association canadienne des libertés civiles, a notamment souligné que l’affaire sur le fond ne serait pas entendue avant le retour en classe des élèves à la fin du mois d’août.

« Les élèves vont être gravement touchés, a-t-elle soutenu lundi. Cela se produira avant que nous puissions obtenir une décision sur le fond. Nous espérons donc suspendre d’ici là le décret et la décision de l’appliquer aux élèves. »

Olga Redko, qui représente les deux organisations, a déclaré lundi en Cour d’appel à Montréal que le juge de première instance n’avait pas correctement pris en compte le « préjudice irréparable » qui serait causé aux élèves musulmans et le caractère urgent de cette situation.

« Le juge [Granosik] lui-même a conclu que le décret portait atteinte à la liberté de religion des enfants concernés », a soutenu Me Redko. Mais par la suite, selon elle, le juge n’a pas suffisamment pris en compte les conséquences de cette violation des droits individuels lorsqu’il a déterminé si l’interdiction devait être suspendue.

L’avocate du gouvernement, Isabelle Brunet, a plaidé de son côté en Cour d’appel que le juge Granosik avait bien appliqué la loi et que la demande d’autorisation avait peu de chances de réussir. Elle a souligné que la barre était haute pour suspendre un décret du gouvernement avant que sa contestation ne soit entendue sur le fond.

Me Brunet a par ailleurs reconnu que l’interdiction limitait certains droits individuels, mais elle a plaidé que les gouvernements québécois successifs avaient décidé de retirer la religion des institutions publiques. La suspension de l’interdiction, a-t-elle soutenu, empêcherait de fait les autres élèves de fréquenter une école entièrement laïque.

« Citoyens de seconde classe »

Stephen Brown, PDG du Conseil national des musulmans canadiens, a expliqué en mêlée de presse lundi que l’interdiction de la prière ouverte à l’école portait atteinte aux libertés religieuses fondamentales et transformait les élèves pieux en « citoyens de seconde classe ».

« C’est une question fondamentale de qui nous sommes en tant que pays, a-t-il dit en français. Le gouvernement ne devrait pas avoir le droit de nous dire comment s’habiller, quoi manger, quoi penser, comment exercer une spiritualité : ce n’est pas au gouvernement de Québec de déterminer les paramètres qui sont acceptables de prier.

« Si le gouvernement est capable de simplement enlever les droits et liberté de conscience, la liberté de religion, simplement parce que politiquement, ça leur sert, alors on a des vraies questions à se poser sur la solidité de nos droits et de notre régime démocratique dans ce pays », a soutenu M. Brown.

Le juge Robert Mainville, de la Cour d’appel, a déclaré lundi qu’il croyait pouvoir se prononcer plus tard cette semaine sur l’autorisation d’en appeler de la décision du juge de première instance concernant la demande d’injonction.