Ottawa a dévoilé lundi les nouvelles lignes directrices qui permettront de mettre fin aux « subventions inefficaces aux combustibles fossiles ». C’est la deuxième étape d’un plan censé mettre fin à tout financement public du fédéral destiné à soutenir l’industrie pétrolière et gazière au pays. Explications.

(Montréal) Une subvention inefficace, qu’est-ce que c’est ?

En vertu de cette nouvelle grille d’analyse, toute subvention aux combustibles fossiles est considérée comme une subvention inefficace, sauf si celle-ci répond à au moins un des six critères décrétés par Ottawa. Une aide pourrait être accordée afin « de fournir des services énergétiques essentiels à des collectivités éloignées » ou encore pour fournir « un soutien à court terme pour les interventions d’urgence ». Ottawa continuera aussi de subventionner des activités qui permettraient de réduire les GES au pays, de soutenir les technologies propres ou « des projets qui ont un plan crédible pour parvenir à des émissions nettes nulles d’ici à 2030 ». Seule exception, dans un effort de réconciliation avec les peuples autochtones, des subventions seront disponibles pour soutenir « la participation économique des Autochtones aux activités liées aux combustibles fossiles ».

Pourrait-on par exemple subventionner des dispositifs de captage et de stockage de CO2 mis en place par une société pétrolière ?

La réponse courte est oui. Or, cette technologie controversée n’a pas encore totalement fait ses preuves et, surtout, ne permet pas de réduire les émissions au moment le plus important : quand le pétrole est consommé et non quand il est extrait. « Ce sont des portes de sortie sur lesquelles l’industrie mise énormément pour maintenir le statu quo dans la production d’hydrocarbures. L’argent des contribuables ne doit pas servir à les garder ouvertes », mentionne Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales de l’organisme Équiterre.

Que se passe-t-il avec les subventions « inefficaces » déjà accordées ?

Ces subventions ne seront pas révisées par Ottawa. Mais ces nouvelles règles s’appliquent dès maintenant pour toute demande de subvention pour les combustibles fossiles au pays.

Des subventions qui seraient maintenant jugées inefficaces en vertu de ces nouvelles règles, il y en a beaucoup ?

Selon le groupe Environmental Defence, Ottawa a accordé plus de 20 milliards en subventions à l’industrie pétrolière et gazière en 2022. Combien d’entre elles seraient maintenant jugées inefficaces ? Malgré plusieurs questions des journalistes, il a été impossible d’obtenir une réponse des fonctionnaires fédéraux au cours d’une séance de breffage technique, lundi matin. En conférence de presse, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a parlé d’« économies substantielles », mais n’a avancé aucun chiffre. Une source au sein de son cabinet a indiqué à La Presse que ces subventions inefficaces totalisent 1 milliard de dollars. Une somme jugée peu élevée par Julia Levin, directrice associée chez Environmental Defence. Mme Levin signale cependant que l’aide fédérale passe surtout par des prêts et des garanties de prêts, qui ne sont pas comptabilisés comme des subventions. Mais le manque de transparence du fédéral à ce sujet est « un gros problème », juge Julia Levin.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault

L’industrie va donc continuer de recevoir de l’aide d’Ottawa ?

Steven Guilbeault a expliqué lundi que la stratégie du gouvernement fédéral comportait trois phases. La première étape consistait à suspendre l’aide internationale du Canada pour soutenir l’industrie des combustibles fossiles, déjà annoncée en 2022. La fin des subventions inefficaces représente le deuxième volet. Le ministre s’est engagé à dévoiler, d’ici l’automne 2024, son plan « pour éliminer progressivement le financement public dans le secteur des combustibles fossiles au Canada ». Or, cet enjeu est aussi éminemment politique puisque le Canada est le quatrième pays producteur de pétrole avec 6 % de la production mondiale. Dans l’Ouest canadien, particulièrement en Alberta, l’industrie pétrolière est un acteur économique important.

En quoi cette annonce d’Ottawa est-elle une bonne nouvelle, alors ?

Malgré les critiques, plusieurs groupes environnementaux ont salué lundi la fin des subventions inefficaces aux combustibles fossiles. Selon Caroline Brouillette, directrice générale du Réseau action climat, « le nouveau cadre annoncé aujourd’hui permet enfin au gouvernement fédéral d’accélérer la transition énergétique plutôt que de la ralentir ». « Le vrai test sera la mise en œuvre du cadre dans tous les ministères et dans toutes les formes de soutien financier du gouvernement, y compris les prochaines étapes urgentes en matière de financement public », ajoute-t-elle.

Quelles sont les critiques ?

Le Nouveau Parti démocratique, entre autres, juge que ce plan ne répond pas « à l’urgence du moment » et, surtout, qu’il va permettre à Ottawa de financer des projets de capture et de stockage du carbone de l’industrie alors que celle-ci a réalisé des profits records au cours de la dernière année. De son côté, Steven Guilbeault rappelle que le Canada est le premier pays du G20 à mettre fin aux subventions inefficaces pour l’industrie, une annonce qui était initialement prévue en 2025.