Installer des panneaux solaires pour vendre ses surplus d’électricité au réseau ? Pour les bâtiments commerciaux, industriels ou institutionnels, la formule peut sembler attrayante. Elle demeure marginale au Québec, notamment à cause des critères d’autoproduction d’Hydro-Québec. La société d’État planche sur une version améliorée.

« Quelques minutes avant qu’on se parle, on produisait plus d’électricité qu’on en consommait », nous a signalé Hugo Lafrance, associé, Stratégies durables, de la firme d’architecture Lemay, en entrevue le 9 avril dernier.

Malgré le ciel voilé, les 370 panneaux installés sur le siège social de l’entreprise, dans l’arrondissement du Sud-Ouest, généraient alors de petits surplus de production, qui ont été automatiquement envoyés dans le réseau d’Hydro-Québec.

« Donc Lemay fournissait de l’électricité gratuitement aux Québécois », a résumé M. Lafrance.

Hydro-Québec offre une option de mesurage net pour les propriétaires de panneaux solaires. Lorsqu’ils envoient des surplus d’électricité au réseau, ils reçoivent des crédits applicables sur leurs factures ultérieures.

La puissance de leur installation solaire ne doit toutefois pas dépasser 50 kW, presque trois fois moins qu’un système comme celui de Lemay (135 kW) qui ne répond pas aux critères actuels.

« C’est un frein majeur », souligne M. Lafrance.

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Hugo Lafrance, associé, Stratégies durables chez Lemay, devant les panneaux solaires sur le toit des bureaux de la firme d’architecture

Les entreprises, quand tu leur dis qu’il faut donner de l’électricité, on les comprend de te regarder avec un regard un peu oblique, et de ne pas comprendre pourquoi elles feraient ça !

Hugo Lafrance, associé, Stratégies durables, de la firme d’architecture Lemay

Le programme de mesurage net d’Hydro-Québec, qui s’adresse à la clientèle résidentielle et agricole, ainsi qu’aux clients d’affaires de petite puissance, compte moins de 800 abonnés – une goutte d’eau parmi les quelque 4,5 millions de clients de la province.

« Comme nos besoins vont augmenter, nous considérons aider nos clients à faire une plus grande place à l’autoproduction ou à l’autoconsommation solaire », nous a indiqué un porte-parole d’Hydro, Cendrix Bouchard, par courriel.

La société d’État « travaille actuellement à la mise à jour de son option de mesurage net », a écrit M. Bouchard, sans plus de détails. « Nous prévoyons soumettre notre proposition de mise à jour à la Régie de l’énergie cet été. »

En attendant, Lemay s’est doté de systèmes de stockage électrique et thermique pour limiter ses « exportations » d’électricité au réseau qui, n’étant pas créditées, représentent « une perte nette ». L’ensemble de son système fournit « environ un quart de [la] consommation annuelle » de l’entreprise.

Pour la firme d’architecture, « c’est presque devenu un projet de recherche pour faire avancer les choses ». Pour les entreprises et institutions intéressées par l’autoproduction solaire, par contre, de nombreux obstacles subsistent.

Évidemment, il y a les tarifs d’électricité, moins élevés qu’ailleurs au Canada, qui limitent le potentiel d’économies. Mais ce n’est pas tout.

Lisez notre dossier « L’essor du solaire au pays du pétrole »

Quand Lemay a demandé un permis à son arrondissement, elle s’est fait dire : « “Il y a trop de panneaux solaires, il ne faudrait pas que les gens les voient.” Je vous parle d’il y a cinq ou six ans », témoigne M. Lafrance. Il souhaite « une réforme réglementaire pour dire aux villes [qu’elles ont la] responsabilité de ne pas nuire au développement de l’énergie renouvelable ».

L’idée qu’une mesure d’efficacité énergétique devrait se rentabiliser en quelques années n’incite pas non plus à investir dans le solaire, constate-t-il.

« Lemay, ça a 65 ans, et on veut encore être là dans 65 ans, donc 12 ans pour un rendement de l’investissement, ce n’est pas farfelu. »

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L’installation solaire de Lemay permet également de fournir à la firme de l’électricité en cas de panne.

Le responsable des stratégies durables juge d’ailleurs « difficile d’attribuer une valeur strictement financière » à un investissement comme le stockage électrique.

Quand il y a des pannes, on n’est pas obligés de retourner 300 employés à la maison, on peut opérer le bâtiment quelques heures sur une batterie à zéro émission.

Hugo Lafrance, associé, Stratégies durables, de la firme d’architecture Lemay

Les toits des bâtiments industriels, et des édifices publics comme les arénas et les centres communautaires, pourraient accueillir beaucoup de panneaux solaires, souligne M. Lafrance.

« Les gens se plaignent des pannes d’Hydro-Québec, on veut décarboner plus rapidement, on ne veut pas construire de barrages. Mais la magie, ça n’existe pas : il faut donner aux gens la possibilité d’avoir recours à des solutions techniques qui existent. »

Appel solaire

Hydro-Québec lancera bientôt des appels d’offres pouvant totaliser jusqu’à 300 mégawatts d’énergie solaire, en commençant par de « petits parcs solaires de quelques mégawatts », a annoncé Québec à la fin de mars.

« Les critères […] sont en cours d’élaboration et seront rendus publics au lancement [des appels d’offres], d’ici la fin de l’année », a affirmé Hydro.

La MRC de Pontiac, dans l’Outaouais, s’y prépare déjà. Consciente du potentiel solaire élevé de son territoire voisin de l’Ontario, la MRC a publié un appel d’intérêt pour trouver des promoteurs avec lesquels elle pourrait collaborer.

« C’est surtout un appui pour l’adaptation et l’installation », a résumé Rachel Soar Flandé, agente au développement économique, en entrevue téléphonique. « Le rôle de la MRC dans tout ça est de travailler avec le promoteur, surtout sur l’acceptabilité sociale du projet, et éventuellement de l’aider dans la recherche de sites. »

Taxes foncières, implication des promoteurs dans la communauté, création d’emplois et achat de matériaux durant la construction : l’implantation de parcs solaires serait intéressante à plusieurs égards, estime la MRC.

La prochaine étape est prévue à la mi-mai, alors que le comité d’énergie renouvelable de la MRC rencontrera deux des promoteurs ayant manifesté leur intérêt.

Des municipalités du territoire sont également « en train de réfléchir » à l’installation de panneaux solaires sur leurs infrastructures pour « alléger les coûts [d’électricité] et profiter de cet ensoleillement ».

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Nombre de clients propriétaires de panneaux solaires inscrits au mesurage net d’Hydro-Québec en 2023. Ils ont injecté au total 1 812 406 kWh dans le réseau d’Hydro.

Source : Hydro-Québec