(Ottawa) Le gouvernement Trudeau estime qu’il faut plus que jamais faire une large place à l’énergie nucléaire au pays si le Canada veut réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement Trudeau mise sur l’énergie nucléaire pour augmenter la production d’électricité propre.
  • L’Ontario appuie cette idée avec enthousiasme.
  • Cette source d’énergie n’a pas la cote au Québec.

Ottawa compte ainsi appuyer sur l’accélérateur afin de faciliter la construction de réacteurs nucléaires dans les provinces qui le souhaiteront pour répondre à la demande croissante d’énergie propre découlant de l’électrification des transports et de l’augmentation de la population.

On prévoit que de nouveaux projets, allant des petits réacteurs modulaires (PRM) aux centrales nucléaires comme le réacteur CANDU (MONARK), vont voir le jour à compter de 2028 et se poursuivront jusqu’en 2036, selon les projections des mandarins du Bureau du Conseil privé.

Deux sites ont même été identifiés pour l’entreposage des déchets radioactifs. Ces deux sites potentiels sont situés en Ontario : Ignace-Wabigoon Lake Ojibway Nation, dans le nord de l’Ontario, et South Bruce-Saugeen Ojibway Nation, dans le sud de l’Ontario. En principe, la Société de gestion des déchets nucléaires doit choisir un site cette année.

« L’énergie nucléaire est une option importante et viable pour permettre au Canada d’atteindre la production d’électricité carboneutre. À l’heure actuelle, elle fournit approximativement 15 % de la production d’électricité sans émission et représente plus ou moins 50 % de l’électricité produite en Ontario », souligne-t-on dans une note d’information destinée au premier ministre Justin Trudeau qui révèle en détail les ambitions d’Ottawa dans ce dossier.

Dans cette note datée du 29 septembre 2023, que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, les hauts fonctionnaires affirment que le gouvernement fédéral devra inévitablement délier les cordons de sa bourse pour soutenir certains projets.

C’est d’ailleurs déjà le cas. En octobre 2022, la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) a conclu une entente avec Ontario Power Generation (OPG) en vertu de laquelle elle s’engage à investir 970 millions de dollars dans le premier petit réacteur modulaire au Canada. OPG entend construire le petit réacteur modulaire de 300 mégawatts à côté de sa centrale nucléaire existante de Darlington, qui produit 3500 mégawatts et est située à Clarington, en Ontario.

En février, le gouvernement fédéral a aussi annoncé un investissement de 50 millions de dollars dans le projet d’agrandissement de la centrale Bruce, qui est située sur la côte est du lac Huron.

« Pour atteindre ses objectifs économiques et climatiques, le Canada devra développer considérablement son réseau électrique. Il doit prendre en compte toutes les sources d’énergie non émettrices, y compris le nucléaire, pour relever ce défi colossal », a fait valoir le ministre fédéral des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, au terme d’une visite à Washington où ce dossier a été abordé il y a quelques mois.

Accélération en Ontario

À la COP28, qui a eu lieu en décembre à Dubaï, le Canada a d’ailleurs signé, avec une vingtaine d’autres pays, une déclaration dans laquelle les signataires s’engagent à tripler leur capacité de production nucléaire d’ici 2050, soulignant que cette source d’énergie est indispensable pour atteindre la carboneutralité d’ici les 26 prochaines années.

Si l’Ontario appuie cette option avec enthousiasme, et dans une moindre mesure l’Alberta, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard, la situation est tout autre au Québec, qui, pour le moment, écarte l’idée d’avoir recours à l’énergie nucléaire pour répondre à une hausse de la demande d’électricité.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Énergie de l’Ontario, Todd Smith, lors d’une conférence de presse à la centrale nucléaire de Pickering en janvier dernier

Radio-Canada a rapporté cette semaine que l’on assiste d’ailleurs à une véritable « renaissance » du nucléaire en Ontario. En plus de remettre à neuf quatre des six réacteurs de la centrale nucléaire de Pickering au coût de plusieurs milliards de dollars, le gouvernement de Doug Ford veut devenir le chef de file en Amérique du Nord des petits réacteurs modulaires. Cette source d’énergie est indispensable si la province veut doubler sa production d’électricité d’ici 2050 pour répondre à la demande.

Trois raisons poussent le gouvernement Ford à accélérer le pas : la croissance de la population, l’électrification des transports ainsi que l’arrivée de nouvelles entreprises qui réclament une source d’énergie fiable et à coût prévisible.

« L’Ontario connaît une croissance fulgurante. Des entreprises commencent à revenir en Ontario, après l’avoir quitté parce que le prix de l’électricité y était trop imprévisible et trop élevé », a déclaré le ministre de l’Énergie de l’Ontario, Todd Smith, dans une entrevue à Radio-Canada.

Au printemps 2023, le géant allemand de l’automobile Volkswagen a annoncé qu’il avait choisi d’implanter sa méga-usine de batteries pour véhicules électriques de plusieurs milliards de dollars à St. Thomas, en Ontario. Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, a par la suite indiqué que la province s’est fait damer le pion par l’Ontario, entre autres, parce que Québec était incapable de lui garantir les quelque 800 mégawatts requis d’ici sept ans. « Si on avait eu le courant électrique, on aurait été au rendez-vous, mais on ne l’avait pas », avait alors indiqué M. Fitzgibbon.

Le Québec a toutefois réussi à faire aboutir un projet tout aussi important, celui de l’usine de batteries Northvolt, en Montérégie, en septembre dernier.

Il reste que le ministre Fitzgibbon a affirmé à quelques reprises depuis lors que le gouvernement du Québec devait évaluer toutes les sources d’énergie, y compris le nucléaire, pour satisfaire à l’augmentation de la demande. Mais le premier ministre François Legault a déjà fait savoir que le nucléaire n’avait pas la cote auprès de la population du Québec. « Pour l’instant, on ne touche pas à ça », a-t-il affirmé en septembre alors qu’il était de passage à New York.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse