(Innisfail, Alberta) Une petite rue principale ayant connu des jours meilleurs, une voie ferrée qui passe devant l’hôtel de ville, quelque 8000 habitants entourés de plaines… À première vue, rien ne distingue Innisfail du chapelet de petites municipalités rurales qui bordent l’autoroute 2 entre Edmonton et Calgary. C’est pourtant une véritable révolution énergétique qui s’y trame.

Les employés municipaux ne sont plus les seuls à travailler pour les contribuables. Les toits de l’hôtel de ville, de la caserne de pompiers et du centre de curling font également leur part du travail. Un grand champ dans le nord-ouest de la ville aussi. Et bientôt, un autre terrain dans le sud-ouest de la ville, où l’ancienne lagune d’épuration municipale a été reconvertie en parc industriel. Tout cela grâce à l’énergie solaire.

Les panneaux solaires installés sur les bâtiments municipaux génèrent de l’électricité, bien pratique pour réduire les factures, mais aussi pour générer des crédits carbone. La vente de ces crédits devrait rapporter entre 7000 et 10 000 $ net par an au cours des 10 prochaines années, estime la Ville.

Les panneaux solaires installés sur un terrain municipal dans le nord-ouest d’Innisfail, eux, appartiennent à Elemental Energy, une entreprise de Vancouver. En suivant l’autoroute 54 à travers champs, on peut en apercevoir quelques-uns miroiter au soleil.

Elemental Innisfail est un vaste parc solaire commercial d’une capacité de production de 22 MW.

L’entreprise a signé un bail de 35 ans pour utiliser le terrain. La municipalité en tire trois sources de revenus annuels. Au-delà du loyer (environ 12 000 $), l’entente lui rapporte plus de 235 000 $ en taxes foncières, un apport non négligeable dans une municipalité qui a vu sa population augmenter d’à peine 2 % depuis 2016. Elemental verse aussi une contribution communautaire de 20 000 $ à la Ville, qui permet de soutenir divers projets.

PHOTO FOURNIE PAR LA VILLE D’INNISFAIL

La mairesse d’Innisfail, Jean Barclay

Nous avions ce terrain qui ne sera pas aménagé avant quatre ou cinq décennies. Pourquoi ne pas y mettre quelque chose qui peut fournir une bonne source de revenus ?

Jean Barclay, mairesse d’Innisfail

Innisfail a toutefois dû jouer les pionniers. Lorsque Elemental a annoncé officiellement le projet, à l’automne 2019, la province comptait un seul parc solaire commercial en production, qui appartenait à la même entreprise. Pas évident pour négocier. « Ce n’était pas facile, parce qu’il y en avait seulement un autre, dans Newell County, près de Brooks. Nous étions les deuxièmes, mais les premiers en zone urbaine, alors pour l’administration, c’était très difficile d’obtenir des données et de trouver des détails sur quoi que ce soit », résume la mairesse Jean Barclay, rencontrée dans la salle du conseil.

Le modèle a fait recette. Au moins une dizaine de municipalités albertaines perçoivent aujourd’hui des taxes municipales de producteurs d’énergie solaire sur leur territoire, pour près de 4,5 millions de dollars de revenus annuels, montre l’analyse réalisée par BRC-Canada, affilié à l’Institut Pembina, pour l’année 2022. Et de nombreux autres projets sont dans les cartons.

Innisfail a poussé l’expérience énergétique un cran plus loin, et développé son propre projet de parc solaire pour vendre de l’électricité au réseau.

Les terrains autrefois occupés par sa lagune d’épuration municipale sont devenus un parc industriel, mais quelques acres n’ont pu être réhabilités suffisamment pour accueillir des bâtiments.

La municipalité prévoit y mettre une petite centrale solaire d’environ 2 MW, un projet de 4 millions de dollars qui absorbera près de la moitié de son budget d’investissement de 2024.

Il ne manque que le feu vert de l’Alberta Utilities Commission (sorte de régie de l’énergie albertaine) pour démarrer la construction. La centrale, espère la mairesse Barclay, entrera en service d’ici la fin de l’année.

L’électricité sera vendue à Fortis, qui possède 60 % du réseau de distribution de la province. Innisfail prévoit en tirer environ 600 000 $ de revenus par an, et 10 000 $ de plus avec la vente de crédits carbone.

Pour une petite ville d’un peu moins de 8000 habitants, c’est considérable. À Innisfail, chaque tranche de 100 000 $ de revenus supplémentaires équivaut à une hausse du taux de taxe foncière d’environ un point de pourcentage.

Au-delà de leur aspect environnemental, ces projets solaires répondent avant tout à des impératifs économiques, glisse la mairesse.

« On met l’accent sur la production de revenus parce que nos boîtes à outils municipales sont très limitées, rappelle Jean Barclay. Le projet solaire, c’est bénéfique pour les résidants et la communauté, parce que ça va aider à limiter les hausses de taxe. »