(Edmonton, Alberta) En ce lendemain de congé de Pâques, le printemps a des airs d’été à Edmonton. Le mercure dépasse les 18 degrés Celsius, un papillon volette devant la maison de Bruce et Cory Moorhead. Sur le toit, des ouvriers finissent d’installer des panneaux photovoltaïques.

Leur cheffe d’équipe nous entraîne au sous-sol. « Ici, c’est le disjoncteur pour votre système solaire. Vous avez un compteur bidirectionnel, vous aurez une application que vous pourrez télécharger sur votre téléphone », explique Mary Jane Mahe au couple de retraités.

« Nous croyons à l’environnement et à l’importance de faire notre part d’efforts. Notre fils, qui habite en Afrique du Sud, a des panneaux solaires, il nous a encouragés à en installer », explique Cory avec un large sourire.

Comme des milliers de ménages, d’entreprises, de municipalités et d’organisations de la province, Cory et Bruce ont adopté l’énergie solaire pour alimenter leur propriété. Au bout de leur petite rue résidentielle, plusieurs autres toits sont déjà coiffés de panneaux photovoltaïques.

PHOTO FOURNIE PAR KUBY RENEWABLE ENERGY

Installation d’un système d’énergie solaire par des employés de Kuby

L’entreprise qui a installé leur système peut en témoigner. Kuby Renewable Energy a posé des panneaux solaires sur environ 1200 maisons et une centaine d’édifices commerciaux l’an dernier. Cette année, elle s’attend à équiper quelque 3000 maisons et 250 clients commerciaux.

« Chaque panneau installé sur un toit, c’est 400 watts d’énergie qui ne provient pas d’une source émettrice de carbone », souligne le PDG de Kuby, Jake Kubiski.

Il y a 10 ans encore, cet électricien de métier travaillait dans le secteur pétrolier et gazier. Un voyage au Costa Rica, durant lequel il a vu l’usage fait de l’éolien, du solaire et de la géothermie alimentée par un volcan, lui a donné envie de travailler dans les énergies renouvelables. La géothermie volcanique n’était pas une option en Alberta et les projets éoliens étaient de trop grande envergure. Il s’est donc intéressé au solaire. Après avoir suivi une formation offerte par son syndicat, il s’est lancé à son compte en 2015 et a cofondé Kuby avec un ami de l’école secondaire qui travaillait alors comme ingénieur minier, Adam Yereniuk.

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Jake Kubiski, PDG de Kuby Renewable Energy

La première année, nous avons fait environ 15 installations, probablement 150 kilowatts. Cette année, ce sera probablement 30 à 50 mégawatts.

Jake Kubiski, PDG de Kuby Renewable Energy

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Le centre des congrès d’Edmonton

C’est qu’en plus des maisons, fermes, entrepôts et commerces en tout genre, Kuby intègre du solaire à des bâtiments d’envergure. C’est le cas du spectaculaire centre des congrès d’Edmonton, où prospèrent les plantes tropicales, et de la nouvelle caserne de pompiers du quartier Windermere, avec son toit aux allures de pente de ski. Sans oublier le collège Red Deer Polytechnic, où plusieurs bâtiments arborent des panneaux solaires – dont la résidence étudiante, où les capteurs sont carrément intégrés dans les murs extérieurs.

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La résidence étudiante du collège Red Deer Polytechnic

Kuby compte aujourd’hui plus de 130 employés, dont une trentaine proviennent eux aussi du secteur pétrolier et gazier. Comme Paul de Groot, qui a quitté son poste d’électricien syndiqué dans une raffinerie, en quête d’un « souffle d’air frais ». Entré chez Kuby comme installateur il y a un peu moins de cinq ans, il est aujourd’hui directeur général du bureau d’Edmonton.

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Nombre de particuliers et d’organisations enregistrés comme microproducteurs d’énergie solaire en Alberta, pour une puissance installée totale de 238,7 MW

Source : Solar Alberta

L’enthousiasme des Albertains pour l’énergie solaire s’explique par une combinaison de facteurs unique au pays.

D’abord, la ressource. La province jouit d’un des potentiels photovoltaïques les plus élevés au Canada (voir carte). Calgary et Edmonton figurent parmi les cinq villes canadiennes à plus fort potentiel, derrière Regina et Saskatoon, et aux côtés de Winnipeg, toutes moins populeuses.

Ensuite, le prix des systèmes, qui a fondu comme neige au soleil. En 2015, le coût « était d’environ 4 $ par watt installé. Ça a diminué de moitié », résume M. Kubiski. Divers programmes de subvention provinciaux, fédéraux et municipaux ont achevé de convaincre beaucoup de clients.

Le marché albertain est également très favorable à la microproduction. Particuliers et organisations peuvent installer un système d’une capacité équivalente à leur consommation (jusqu’à 5 MW), et vendre leur production excédentaire au réseau, moyennant crédits. Ils ont aussi accès à un tarif saisonnier, où l’électricité excédentaire qu’ils envoient au réseau l’été leur est créditée à un tarif plus élevé (0,30 $/kWh) que celui qui leur est facturé à l’achat l’hiver (0,12 $/kWh, par exemple).

Et ce qui pèse aussi très lourd dans la balance, ce sont les tarifs d’électricité albertains, parmi les plus élevés au pays.

Au printemps dernier, alors que les clients résidentiels montréalais se voyaient facturer un peu moins de 8 cents du kilowattheure, ceux d’Edmonton et de Calgary devaient payer entre 28 et 30 cents. Le tarif facturé aux clients n’ayant pas de contrat à long terme, qui fluctue chaque mois au gré du marché, a même dépassé les 32 cents en août 2023.

« Les prix ont doublé l’an dernier ! », s’exclament les Albertains dès qu’on leur parle d’électricité.

Les maisons étant surtout chauffées au gaz naturel, les panneaux solaires n’effacent qu’une partie de la consommation d’énergie. Un système résidentiel comme celui des Moorhead coûtant plus de 20 000 $, « c’est long à amortir », prévoit Cory.

Il reste qu’en été, le système solaire produira assez d’électricité pour combler les besoins de la maisonnée (notamment l’air climatisé, que le couple s’est résigné à faire installer l’été dernier parce que la fumée des incendies de forêt l’empêchait d’ouvrir les fenêtres) et envoyer des surplus au réseau. Assez de surplus, espèrent les Moorhead, pour que leur consommation hivernale ne leur coûte plus rien.

Il faut environ 7 à 10 ans pour que les sommes économisées sur les factures d’électricité compensent le coût d’installation d’un système solaire résidentiel, estime-t-on chez Kuby.

Pour une entreprise spécialisée dans la vente de systèmes solaires, les coûteux tarifs albertains sont le meilleur argument de vente, estime le PDG, Jake Kubiski.

« Ça commence à devenir un produit grand public davantage qu’un produit de niche, mais on n’en est qu’aux débuts ! »

Note : une version antérieure de ce texte mentionnait qu’il fallait environ 25 ans pour amortir le coût d’un système, mais la baisse des prix des composantes a réduit ce délai.