Laisser les pissenlits coloniser nos terrains au printemps aide-t-il vraiment les abeilles et autres insectes pollinisateurs ? Chaque mois de mai, l’efficacité de mouvements comme No Mow May ou le Défi pissenlits est remise en question sur les réseaux sociaux, dans des publications de blogues ou dans les médias. Des experts font le point.

D’abord, qu’est-ce que le Défi pissenlits ?

C’est une initiative québécoise inspirée du mouvement britannique No Mow May, qui a été lancée en 2021 par les apiculteurs de Miel & CO pour favoriser la santé des pollinisateurs et améliorer la biodiversité. Cela se traduit par le fait de retarder la tonte de son gazon au printemps pour, explique-t-on sur le site internet du Défi, permettre « aux pollinisateurs de faire le plein de pollen et de nectar issus des pissenlits et autres fleurs ».

Il faut donc remiser notre tondeuse pendant tout le mois de mai ?

Pas nécessairement. Même si c’est ce que préconise le mouvement No Mow May, le Défi pissenlits n’impose pas de durée, notamment parce que la période de floraison des pissenlits varie selon les régions du Québec. Une fois montés en graines (les fameux petits parachutes de soie), ils ne sont plus utiles aux pollinisateurs. On peut donc les couper.

Puis-je vraiment sauver les abeilles en conservant les pissenlits sur mon terrain ?

« Sauver » est un bien grand mot. Pierre Giovenazzo, professeur à l’Université Laval et spécialiste des abeilles, rappelle que les plus grandes menaces envers les pollinisateurs sont l’étalement urbain, la déforestation et les pesticides. Or, leur offrir une source de nourriture au sortir de l’hiver peut certainement les aider à se développer, soutient-il. Au printemps, les abeilles s’alimentent beaucoup des fleurs des arbres, mais certaines espèces ne leur offrent que du pollen, contrairement aux pissenlits, qui contiennent aussi du nectar.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Une abeille récolte du nectar issu d’un pissenlit.

« Le nectar, c’est le carburant des abeilles, explique Pierre Giovenazzo. C’est une source de glucides dont les abeilles domestiques ont énormément besoin pour développer leur colonie […] Et des pissenlits, il y en a tellement que les abeilles n’ont pas à dépenser beaucoup d’énergie [pour s’alimenter]. » Il ajoute que, bien que le pollen des pissenlits ne soit pas riche en protéines, les abeilles ont d’autres sources vers lesquelles se tourner à cette période de l’année.

Outre les abeilles domestiques, d’autres pollinisateurs bénéficient aussi de la présence de pissenlits, notamment les abeilles sauvages indigènes, abondantes en ville, et les bourdons.

Dans un article publié sur le site du magazine Turf & Rec, un botaniste du Fonds mondial pour la nature (WWF) affirme que le mouvement No Mow May n’est pas nécessairement utile en Amérique du Nord…

Nous avons contacté Ryan Godfrey et ses propos sont un peu plus nuancés que ce que rapporte ce magazine, qui se dit « au service de l’industrie canadienne de l’entretien des pelouses et des terrains ». « En Ontario et au Québec, si vous laissez pousser votre pelouse, il est plus probable de voir apparaître des espèces introduites comme les pissenlits, les trèfles et d’autres plantes non indigènes qui ne fournissent pas autant de valeur nutritive et d’habitat pour la faune et les pollinisateurs », expose celui qui œuvre pour WWF-Canada. Il compare le pissenlit à un sac de chips. Mais si les chips nous fournissent assez d’énergie pour aller à l’épicerie, c’est au moins ça, non ?

« Je ne dis pas que le No Mow May n’a aucune valeur, précise-t-il. C’est un pas dans la bonne direction, mais les gens peuvent faire beaucoup plus. »

Guillaume Grégoire, spécialiste de l’amélioration des pratiques horticoles en milieu urbain et professeur à l’Université Laval, croit que la sensibilisation qu’amène ce type de campagne n’est pas à négliger. Un avis que partage le biologiste Claude Lavoie, auteur de Pissenlit contre pelouse – Une histoire d’amour, de haine et de tondeuse. « Parmi ceux qui laissent pousser les pissenlits en mai, il y en a qui vont faire des pas supplémentaires. Il faut prendre les gens là où ils sont », affirmait-il en entrevue avec La Presse, le mois dernier.

Lisez l’article « Pour en finir avec la pelouse parfaite »

Quelles sont alors les meilleures façons d’aider les pollinisateurs à l’échelle citoyenne ?

« Il y a plusieurs arbres qui ont des floraisons qui ne sont pas nécessairement spectaculaires, mais qui sont très utiles aux pollinisateurs, note Guillaume Grégoire. Je pense entre autres à l’érable à sucre et aux arbres à fruits comme les pommiers, pommetiers, etc. » Parmi les autres actions qui peuvent être mises en place : réduire la fréquence de tonte tout l’été, aménager des plates-bandes fleuries sur son terrain, laisser certaines parcelles en friche, cesser l’utilisation de fertilisants et de pesticides et planter une variété de plantes et de fleurs indigènes comme le thym serpolet, l’agastache, l’aster et l’asclépiade, qui aideront les pollinisateurs ayant des besoins spécifiques comme le papillon monarque.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Abeille butinant des plans d’agastache

La diversité des espèces qui fréquenteront votre terrain pourrait alors vous surprendre. Dans une étude dont les résultats sont à paraître, Guillaume Grégoire et son équipe de recherche ont recensé 17 genres et 72 espèces d’abeilles ainsi que 12 genres et 16 espèces de syrphes sur des parcelles de gazon qui avaient été diversifiées. « On a trouvé une plus grande diversité de pollinisateurs que ce à quoi on s’attendait. »

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    Nombre de villes du Québec qui ont participé au Défi pissenlits en 2023
    Source : Défi pissenlits