Une nouvelle série publiée dans la revue médicale British Medical Journal (BMJ) appelle à une enquête indépendante sur la réponse du Canada à la COVID-19.

Des experts de 13 organisations à travers le Canada, dont des médecins, des infirmières, des chercheurs, des spécialistes du droit et de l’humanitaire, ainsi que Jocalyn Clark, une Canadienne qui est l’éditrice internationale du BMJ, ont rédigé les sept articles publiés lundi.

« Nous voyons cela comme la prochaine étape de la pandémie », affirme Dre Sharon Straus, médecin en chef à l’hôpital St. Michael’s de Toronto et l’une des principales auteures de la série « Accountability for Canada’s COVID-19 Response ».

« C’est le début de la préparation de la prochaine urgence sanitaire », ajoute-t-elle.

Les articles identifient les lacunes de la réponse du Canada face à la COVID-19, notamment la difficulté à rejoindre les populations vulnérables et marginalisées qui étaient les plus à risque, les décès catastrophiques dans les foyers de soins de longue durée et les messages de santé publique incohérents dans les provinces et les territoires.

Les articles reconnaissent également les succès de la gestion de la pandémie du Canada, notamment un taux de vaccination de plus de 80 %.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Des citoyens attendaient en file d’attente au Stade Olympique pour se faire vacciner.

« Une évaluation, deux ans après le début de la pandémie, a révélé que le pays avait une charge de cas et de décès liés à la COVID plus faible et une couverture vaccinale plus élevée que la plupart des autres pays du G10 », soulignent les auteurs dans un éditorial du BMJ résumant leurs conclusions.

« Mais cette impression globale d’adéquation masque d’importantes inégalités selon la région, le milieu et la démographie », nuancent-ils ensuite.

Une série d’articles précédemment publiés dans le BMJ sur la réponse du Royaume-Uni à la COVID-19 a contribué à enrichir une enquête menée dans ce pays, a indiqué la Dre Straus, de sorte que les auteurs espèrent que la même chose se produira au Canada.

Travailleurs essentiels et communautés marginalisées

Il est important d’examiner de près qui a réellement porté « le fardeau de la pandémie », estime Dre Straus.

Ces personnes comprenaient des travailleurs essentiels à bas salaires et vivant dans des quartiers défavorisés, précise-t-elle.

L’un des apprentissages que la Dre Straus espère tirer d’une enquête sur la réponse canadienne face à la COVID-19 est à quel point il est essentiel d’« établir des relations avec les communautés les plus susceptibles d’être impliquées dans ces inégalités en matière de santé avant la prochaine urgence sanitaire ».

Ces relations peuvent aider à garantir que les communautés marginalisées sont incluses dans la recherche et que leurs besoins sont prioritaires dans la sensibilisation à la santé publique, a-t-elle déclaré.

Échec des soins de longue durée

Une enquête est nécessaire pour garantir la « responsabilité des pertes », qui se chiffrent à 53 000 décès au Canada – dont beaucoup de personnes hébergées dans des établissements spécialisés en soins de longue durée, déclarent les auteurs.

« Il est honteux que le Canada soit au sommet des pays riches pour les décès liés à la COVID dans les centres de soins pour personnes âgées, malgré plus de 100 rapports annonçant une crise dans les hébergements de soins infirmiers », écrivent-ils.

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Un camion de la morgue devant un CHSLD de Verdun, en avril 2020

Ces rapports ont identifié des problèmes tels que le sous-financement chronique des soins de longue durée et un manque de soutien suffisant pour le personnel, élabore la Dre Straus.

Certains gouvernements provinciaux reviennent déjà sur certaines des mesures qu’ils ont mises en place pour renforcer les soins de longue durée, poursuit-elle, y compris les prestations de maladie pour le personnel.

La Dre Straus a également noté qu’il est important de s’assurer que les foyers de soins de longue durée n’utilisent pas des chambres à quatre lits où la COVID-19 et d’autres maladies peuvent facilement se propager.

« Nous avons la responsabilité envers les personnes décédées de nous assurer que nous faisons mieux avec elles… afin que cela ne se reproduise plus. Nous ne voulons pas risquer la vie de plus d’adultes plus âgés et de ceux qui s’en occupent », ajoute la médecin.

Disparités régionales et manque de personnel

Une enquête nationale devrait également inclure des recommandations pour « réformer les systèmes de santé et de santé publique du Canada, qui luttaient avant la pandémie et sont actuellement sous assistance respiratoire », allèguent les auteurs.

La COVID-19 a entraîné « un exode de travailleurs de la santé épuisés et en détresse », ajoutent-ils, notant que le Canada est aux prises avec une « pénurie critique de main-d’œuvre qui se poursuit ».

Le système de santé décentralisé du Canada, avec les provinces et les territoires responsables de leurs propres réponses de santé publique, a contribué à des messages et des directives incohérents sur la COVID-19 à travers le pays, selon les articles du BMJ.

L’Agence de la santé publique du Canada élabore des « directives cliniques et de santé publique nationales », mais elle « n’a pas le pouvoir d’ordonner aux agences de santé provinciales et territoriales ou à d’autres organismes ayant des mandats similaires de mettre en œuvre ses recommandations », soulèvent les textes.

« Chaque province et territoire a conçu ses propres interventions et calendriers pour les mesures de protection telles que les fermetures d’écoles, les contrôles et fermetures aux frontières, l’interdiction des rassemblements et les exigences de port du masque, ce qui a entraîné une variation substantielle des politiques et des pratiques à travers le pays, des taux d’admission à l’hôpital très variables et la confusion du public », dit-on.

Une leçon clé à tirer de cela, indique la Dre Straus, est la nécessité d’être « explicite et transparent » sur les raisons pour lesquelles il existe différentes approches dans différentes régions.

Ne pas être transparent sur les raisons pour lesquelles les décisions de santé publique sont prises conduit à la « méfiance », estime-t-elle.

Enquête essentielle

Examiner ce qui s’est bien passé et ce qui s’est mal passé dans la réponse du Canada vis-à-vis la COVID-19 par le biais d’une enquête indépendante est « essentiel », disent les auteurs.

Ne pas regarder le passé garantira un avenir inchangé. Sans aucun doute, des leçons peuvent être tirées pour éclairer les nouveaux investissements et la préparation en matière de santé, et beaucoup d’apprentissages proviennent de décisions et d’actions qui ont échoué ou qui n’ont pas abouti.

Extrait de la série BMJ

Lorsqu’on lui a demandé de répondre à l’appel à une enquête nationale et aux questions soulevées par la série BMJ, Guillaume Bertrand, attaché de presse du ministre fédéral de la Santé Jean-Yves Duclos, a déclaré dans un courriel que son ministère était « engagé à un examen de la réponse à la COVID-19 afin de faire le point sur les leçons apprises et de mieux éclairer les préparations et les réponses aux futures urgences sanitaires ».

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