Le Québec est sous le choc. À l’hôpital de la Cité-de-la-Santé et au CHU Sainte-Justine, on déclenche une veille de code orange pour se préparer à soigner de nombreuses petites victimes. La Presse revient sur la tragédie du 8 février à travers les témoignages des équipes des hôpitaux qui ont accueilli les enfants blessés.

Des rumeurs, pas de détails

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La ligne du vieux téléphone beige est réservée à la centrale 911, qui prévient l’hôpital de l’arrivée en ambulance d’un patient potentiellement instable.

Aux urgences de la Cité-de-la-Santé de Laval, la matinée est tranquille.

« La journée s’annonçait correcte. On avait même un surplus de personnel », raconte l’infirmière Annick Kirouac.

Les 49 civières sont occupées. Or, un taux de 100 % d’occupation, dans les critères des urgences les plus achalandées du Québec, c’est une « bonne journée ».

« Le Ministère nous demande d’avoir 85 % de nos civières occupées, mais quand on est à 100 %, ça va », explique le directeur adjoint à la Direction des soins infirmiers, volet opérations, Sébastien Rocheleau.

Ce sera crucial pour la suite de l’histoire. Mais n’allons pas trop vite.

Installé bien en vue au poste des infirmières de l’urgence, le téléphone « à codes » a déjà sonné une fois depuis le début de la journée.

La ligne du vieux téléphone beige d’apparence banale est réservée à la centrale 911, qui prévient l’hôpital de l’arrivée en ambulance d’un patient potentiellement instable.

Un peu après 8 h, ce patient qui a fait un arrêt cardiaque occupe l’une des quatre places en salle de réanimation. Ce « code réanimé », dans le jargon des urgences, vient à peine d’arriver. Les trois autres civières sont inoccupées.

Chez les ambulanciers toujours sur place, une rumeur se met à circuler une trentaine de minutes plus tard : « Un autobus est rentré dans une garderie » dans le quartier Sainte-Rose.

CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Les urgences du CHU Sainte-Justine connaissent une matinée normale en ce 8 février fatidique.

À quelques kilomètres de là, de l’autre côté de la rivière des Prairies, le quart de travail du matin s’écoule aussi normalement aux urgences du CHU Sainte-Justine.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le DAntonio D’Angelo, chef des urgences au CHU Sainte-Justine

Heureusement, ce n’était pas une journée super chargée comme celles qu’on vivait en novembre. On était à des volumes [de patients] normaux.

Le DAntonio D’Angelo, chef des urgence au CHU Saint-Justine

Rappelons qu’à la fin de l’automne dernier, les urgences pédiatriques ont vécu une crise majeure en raison d’un achalandage hors norme.

Les premières informations provenant des ambulanciers sont parcellaires. Chef du département de médecine d’urgence à la Cité-de-la-Santé, le DPatrick Tardif est dans une rencontre à l’auditorium de l’hôpital quand il a vent de la tragédie. Il se rue vers les urgences interroger les ambulanciers toujours sur place.

Combien y a-t-il de blessés ? Y avait-il des passagers dans l’autobus ? Quel âge ont les victimes ? Personne n’a de réponse.

Toujours cette phrase courte, angoissante : « un autobus est rentré dans une garderie ».

« On veut anticiper l’ampleur de ce qui va nous arriver, explique la Dre Martine Montigny, directrice adjointe médicale à la Direction des services professionnels à la Cité-de-la-Santé, qui est ce jour-là en réunion à l’extérieur de l’établissement. L’ampleur du nombre de blessés qu’on va recevoir, c’est très, très important pour organiser l’ensemble de l’hôpital en conséquence. »

Lisez « Urgences du CHU Sainte-Justine : “C’est un désastre” »

Mode « veille » du code orange activé

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Alors qu’on apprend qu’un autobus a percuté une garderie, à la Cité-de-la-Santé, on se prépare au pire.

Peu après 8 h 30, le téléphone « à codes » sonne pour la deuxième fois de la matinée au poste des infirmières de la Cité-de-la-Santé.

La sonnerie est forte si bien qu’on l’entend à travers toute la salle d’urgence.

« Quand tu es médecin et que tu es responsable de la réanimation, tu apprends à réagir à ce téléphone-là », raconte la Dre Anne-Marie Saey, médecin d’urgence à la Cité-de-la-Santé.

Au bout du fil, cette fois-ci, on annonce un « code » pédiatrique.

L’interphone crache : « Docteur Saey dans la réa, docteur Sylvestre dans la réa, préposé dans la réa ».

« C’est beaucoup trop de monde, se dit la cheffe de secteur Urgence, Josée Côté, qui se trouve alors loin de l’action dans un bureau avec une infirmière en formation. Il y a quelque chose qui se passe. »

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Olivia Weill, pédiatre

En pleine tournée de ses patients à l’étage, la pédiatre de garde Olivia Weill reçoit un message sur son téléavertisseur. On la prévient qu’un enfant « arrive en arrêt cardiaque » après qu’un autobus fut « rentré dans une garderie ».

Ce matin-là, la Dre Weill avait failli ne pas aller au boulot pour des raisons personnelles. Mais elle y est. « Viens avec moi parce qu’on peut avoir besoin d’aide », lance la Dre Weill à sa collègue infirmière qui l’assiste dans sa tournée. Les deux femmes descendent à la salle d’urgence au pas de course.

Personne ne sait encore combien de petits patients seront transportés à la Cité-de-la-Santé.

Le DTardif sort alors le cartable du « code orange », un protocole à suivre lorsque cinq blessés ou plus sont transportés d’urgence à l’hôpital au même moment. « Oh my God », se dit l’infirmière Josée Côté, à la vue du cartable. Elle n’a jamais encore eu à s’en servir.

L’hôpital passe en mode « veille » du code orange.

Au CHU Sainte-Justine, des membres du personnel des urgences reçoivent sur leur téléphone cellulaire des alertes de médias annonçant qu’un autobus est entré dans une garderie à Sainte-Rose. En même temps, le téléphone à codes sonne. « On a sorti notre boîte de code orange et on a commencé à se préparer », dit le DD’Angelo.

Là aussi, on est en mode « veille ». Mais on s’active.

Selon les protocoles établis en soins préhospitaliers, on sait déjà que les patients dont l’état de santé est très précaire seront envoyés à l’hôpital le plus près. Dans ce cas-ci : Cité-de-la-Santé. Mais même s’il est situé plus loin de Sainte-Rose, le CHU Sainte-Justine risque aussi de recevoir des patients en raison de sa mission d’hôpital pédiatrique spécialisé.

À intervalles réguliers, les équipes du CHU Sainte-Justine font des simulations pour se préparer à un éventuel « code orange ». Chef des soins intensifs, le DBaruch Toledano a encore en tête les leçons de la dernière simulation menée il y a environ un an et demi. « Ça a été utile. C’était rassurant », dit l’intensiviste.

Les troupes s’activent

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’entrée des urgences du CHU Sainte-Justine, le matin du 8 février

Au CHU Sainte-Justine comme à la Cité-de-la-Santé, de nouvelles rumeurs circulent. « Les ambulanciers nous parlaient peut-être d’un 2code [pédiatrique], peut-être une mort évidente », se souvient l’infirmière Annick Kirouac.

À Laval, deux équipes de réanimation composées de médecins, d’infirmières, d’inhalothérapeutes et de préposés sont rassemblées. Pour libérer toutes les places en salle de réanimation, le patient qui vient d’être réanimé est déplacé sous la supervision étroite d’un cardiologue.

DTardif suit les étapes contenues dans le précieux cartable de code orange. Des médecins spécialistes sont appelés en renfort à l’urgence pour examiner le plus de patients possible. Les malades suffisamment stables sont « montés aux étages ». Le but : faire de la place au cas où de nombreux enfants auraient besoin de soins critiques.

Les salles du bloc opératoire sont également réservées si des petits doivent être opérés en catastrophe.

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La Dre Martine Montigny, directrice adjointe médicale à la Direction des services professionnels à la Cité-de-la-Santé

On doit toujours se préparer au pire.

La Dre Martine Montigny, directrice adjointe médicale à la Direction des services professionnels à la Cité-de-la-Santé

Une information non officielle parle d’une cinquantaine d’enfants dans la garderie. Le chiffre de 80 a circulé aussi. À ce stade-ci, personne ne sait combien sont blessés.

Des infirmières qui travaillent aux étages se portent volontaires pour donner un coup de main aux urgences. D’autres, en congé ce jour-là, arrivent à l’hôpital dans le même esprit d’entraide. Même élan chez les médecins.

La direction « bloque » la Cité-de-la-Santé aux ambulances à l’exception de celles qui transportent les petites victimes potentielles provenant de la garderie. Les autres cas urgents seront répartis dans les autres centres hospitaliers de la région.

Dans la salle d’attente des urgences, on avertit tout le monde que les délais pourraient être prolongés.

« On se dit qu’il pourrait aussi arriver des adultes blessés ou en état de choc, explique l’infirmière Josée Côté. Notre but, c’était de vider le plus possible la salle d’attente. »

Plus d’une trentaine de minutes s’écoulent entre l’appel du « code pédiatrique » et l’arrivée de la première victime à Laval.

Pour réaliser ce reportage, La Presse s’est engagée à respecter la confidentialité des enfants. Nous ne pouvons révéler des détails permettant de les identifier, dont leur sexe, si bien que nous utilisons les termes « enfant » et « victime ».

Durant cette demi-heure, l’équipe de réanimation de la Cité-de-la-Santé a le temps de répéter les rôles de chacun : une infirmière se charge de l’enfant, une autre s’occupe des médicaments, une troisième prend les notes médicales, une préposée fera le massage cardiaque, etc. Au total, ils sont une dizaine de soignants.

La pédiatre Olivia Weill est désignée pour mener l’équipe – « la team leader » dans le jargon de la traumatologie. Sa collègue urgentologue Anne-Marie Saey sera responsable de l’échographie.

Tout le monde est calme, concentré.

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La Dre Anne-Marie Saey, médecin d’urgence à la Cité-de-la-Santé

Si les rôles ne sont pas clairs dès le début, il peut vraiment s’installer là un chaos ; une cacophonie.

La Dre Anne-Marie Saey, médecin d’urgence à la Cité-de-la-Santé

Car en traumatologie, chaque seconde compte.

L’équipe a aussi le temps de préparer les médicaments dont l’enfant pourrait avoir besoin ainsi que de commander du sang du groupe O négatif – le « donneur universel » – de la banque de sang. D’après le poids et la taille estimés de l’enfant, on a déjà le drain thoracique et la sonde d’intubation de la bonne grandeur.

« C’est vraiment précieux, en fait, toutes les minutes qu’on a à l’avance, ça fait toute la différence », ajoute Dre Weill.

Dans le reste de la salle d’urgence, « on sent comme une frénésie », raconte l’infirmière Annick Kirouac. « Il faut demander aux gens de baisser le ton, poursuit-elle. Il y avait aussi des gens qui pleuraient. Il y en a qui ont de jeunes enfants dans des garderies. »

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Catherine Hogue, directrice adjointe des soins infirmiers, volet opérationnel, au CHU Sainte-Justine

Au CHU Sainte-Justine, Catherine Hogue constate rapidement ce matin-là que l’hôpital est plein. « Mais on n’était pas dans une charge surréelle comme en novembre dernier », souligne la directrice adjointe des soins infirmiers volet opérationnel.

« Si ça avait été en novembre […], ça aurait été complètement une autre histoire », note le chef de l’urgence pédiatrique montréalaise, le DD’Angelo.

Aux soins intensifs, on compte alors 22 patients sur un total de 24 lits. Et deux autres patients déjà en salle d’opération sont attendus.

Malgré tout, on parvient à libérer certains lits occupés par des patients stables.

Aux urgences, les patients asthmatiques en observation sont déplacés dans un autre secteur. Les trois salles de trauma sont disponibles. Et on en prépare une quatrième dans une salle d’observation.

Ce ballet logistique est complexe. Car, comme le rappelle le DD’Angelo, « il y a aussi encore des enfants malades qui continuent d’entrer à l’hôpital, qui ont besoin de chirurgies urgentes ».

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Le DMarc Girard, directeur des services professionnels du CHU Sainte-Justine

Il faut maintenir l’équilibre entre l’évènement et ses impacts, et les activités régulières.

Le DMarc Girard, directeur des services professionnels du CHU Sainte-Justine

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Marek Abaji, coordonnateur des mesures d’urgence au CHU Sainte-Justine

À 9 h 25, le DGirard et Marek Abaji, coordonnateur des mesures d’urgence à Sainte-Justine, reçoivent une première information officielle de la Direction régionale des mesures d’urgence. Deux patients sont en direction de l’hôpital montréalais et l’évaluation de cinq autres patients est en cours. Quand la première victime arrive à Sainte-Justine, il est presque 10 h.

L’arrivée des premiers patients

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Il est presque 10 h quand la première victime arrive aux urgences de Sainte-Justine.

À la Cité-de-la-Santé, le premier enfant arrive beaucoup plus tôt, à 9 h 08, dans un état critique. Une deuxième victime est amenée à 9 h 36. Puis une troisième à 11 h 09.

Dans tous les cas, les petits ne sont pas accompagnés de leurs parents ni d’une éducatrice à bord de l’ambulance. Cela complique de beaucoup leur identification pour le personnel soignant.

L’hôpital n’a pas droit à l’erreur. Rappelons-nous l’accident tragique d’une équipe de jeunes joueurs de hockey dans l’Ouest canadien qui avait fait 16 morts et autant de blessés : un joueur hospitalisé avait été confondu avec un autre, mort, laissant croire à tort à une famille que son enfant avait survécu. Et vice-versa.

« Honnêtement, pour moi, ça, ça a été très stressant », raconte la Dre Weill.

La pédiatre et sa collègue infirmière Annick Kirouac demandent à voir des photos des enfants sur le cellulaire de leurs parents accourus à l’urgence.

« On voulait vraiment être sûr d’avoir les bons parents », précise l’infirmière.

Préposée aux bénéficiaires d’expérience, Karine Chevrier est chargée de faire le massage cardiaque à l’une des petites victimes. « J’ai massé souvent en 20 ans, mais un enfant, c’était la première fois », dit-elle.

La préposée n’a jamais rien vécu d’aussi dramatique.

« On rentre dans une bulle. On masse, on masse, quand le médecin nous dit "arrête de masser", on arrête, décrit-elle. Quand il dit "on recommence", on recommence. »

La préposée prendra conscience de l’ampleur de la tragédie plus tard ce jour-là, une fois l’adrénaline retombée.

Malgré tous les efforts de l’équipe des urgences, l’une des victimes est décédée.

Après de longues manœuvres de réanimation, il devient évident pour l’équipe qu’il n’y a plus rien à faire.

Les soignants se retirent peu à peu de la salle, laissant l’enfant avec son parent. Ce dernier est toujours soutenu par une infirmière ou un médecin « attitré » à l’accompagner dans l’épreuve la plus difficile de sa vie.

Dans toutes les réanimations pédiatriques, on implique les parents. Ils sont présents dans la salle de réanimation.

La Dre Martine Montigny, directrice adjointe médicale à la Direction des services professionnels à la Cité-de-la-Santé

Ce matin-là, c’est l’infirmière Annick Kirouac qui reste aux côtés du parent durant la réanimation. « J’explique ce qui se passe, dit-elle. C’est prouvé que c’est bon pour les parents de voir qu’on fait tout pour sauver l’enfant. »

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Annick Kirouac, infirmière

En général, « ça aide au processus de deuil, de savoir qu’on a fait tout ce qu’on a pu », ajoute la Dre Weill.

L’arrêt des manœuvres en présence du parent, « c’est l’affaire la plus difficile de tout le code », ajoute l’infirmière Annick Kirouac qui a réalisé cette tâche délicate plusieurs fois dans les dernières années.

Quand la seconde victime arrive, à 9 h 36, c’est la deuxième équipe de réanimation qui la prend en charge.

Assez rapidement, on conclut que sa vie n’est pas en danger. Enfin une « bonne nouvelle », se dit l’infirmière Josée Côté.

C’est que « pendant, un bon bout de temps », les ambulanciers répètent au personnel des urgences : « on en sort en dessous de l’autobus », raconte la Dre Saey, qui craint alors que d’autres enfants grièvement blessés arrivent.

À 9 h 54, un second texto des mesures d’urgence mentionne qu’il y a six enfants blessés au total, dont deux toujours en évaluation sur le site de la garderie.

Le DTardif comprend alors qu’« on [va] avoir moins de patients qu’appréhendé ».

« C’est là qu’on a commencé à reparler de la reprise des activités dans le reste de l’hôpital », explique-t-il.

À Sainte-Justine, on reçoit le premier patient plus tard, juste avant 10 h. Et deux autres peu après. Un quatrième sera transféré de la Cité-de-la-Santé pour subir une intervention chirurgicale beaucoup plus tard ce jour-là. Deux d’entre eux sont mal en point et doivent être traités aux soins intensifs.

Le code orange n’aura pas besoin d’être activé.

Toute la journée, l’hôpital devra toutefois répondre à des centaines d’appels de proches, dont plusieurs grands-parents, voulant savoir si tel ou tel enfant avait été envoyé à Sainte-Justine.

Une équipe secouée

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La mort de l’une des petites victimes de la tragédie a ému toute l’équipe soignante de la Cité-de-la-Santé.

Le dernier enfant à être extirpé du site de la tragédie est amené à la Cité-de-la-Santé à 11 h 09. Les ambulanciers ont eu de la difficulté à le « sortir » de là, raconte l’infirmière Annick Kirouac.

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Le drame qui s’est joué ce matin-là a ébranlé toute l’équipe de la Cité-de-la-Santé. De gauche à droite : la Dre Martine Montigny, Karine Chevrier, le Dr Patrick Tardif, Pierre-Yves Lalonde, la Dre Olivia Weill, Sébastien Rocheleau, la Dre Anne-Marie Saey, Simon Aubin, Annick Kirouac, Josée Beaulieu, Marjolaine Gariépy et Josée Côté.

La petite victime n’a rien de cassé ; à peine quelques égratignures. Le personnel lui donne vite le surnom de « la miraculée ».

Un baume pour l’équipe soignante. Car la mort d’un des enfants secoue tout le monde ce matin-là. L’équipe qui a tenté sans succès de le réanimer fait un « débreffage à chaud » initié par les Dres Saey et Weill.

Tout le monde se réunit dans une salle de conférence. Il y a une « charge émotive importante », souligne la Dre Saey, mais l’équipe doit d’abord se concentrer sur l’aspect « clinique ». Est-ce qu’on a fait les choses correctement ? La séquence des manœuvres était-elle la bonne ?, énumère l’urgentologue.

Puis, on aborde les émotions. C’est au moment du débreffage que plusieurs apprennent que la tragédie semble être un acte délibéré.

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Sébastien Rocheleau, directeur adjoint à la Direction des soins infirmiers, volet opérations

On a tous pensé au départ que c’était un accident. […] On ne pense pas que quelqu’un peut délibérément prendre un autobus puis rentrer dans une garderie.

Sébastien Rocheleau, directeur adjoint à la Direction des soins infirmiers, volet opérations

« La nouvelle était aberrante, tu sais, ça n’arrive pas chez nous, ça », ajoute sa collègue infirmière Josée Côté.

« Ça ne change pas la prise en charge, précise l’urgentologue Anne-Marie Saey. [Mais] ça rajoute peut-être à la difficulté émotive quand la poussière retombe. »

La direction offre aux employés de partir sans finir leur quart de travail.

Finalement, tout le monde décide de rester. Certains se réunissent dans la salle à café pour ventiler. Quatre travailleurs sociaux du CISSS ont été dépêchés sur place pour les soutenir.

La préposée Karine Chevrier ne se voit pas sauter dans sa voiture pour rentrer immédiatement chez elle et suivre les développements du drame à la télé.

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Karine Chevrier, préposée aux bénéficiaires

Je suis avec mon conjoint depuis 20 ans, mais il ne sait pas ce qui s’est passé. Tu as beau l’expliquer, il ne comprendra pas. Tandis qu’ici, les gens comprennent. Tu te regardes, tu comprends.

Karine Chevrier, préposée aux bénéficiaires

« On n’a pas besoin de tout dire, tout est compris », acquiesce sa collègue inhalothérapeute Marjolaine Gariépy.

Au sein du personnel, on craint que le chauffeur soit transporté à la Cité-de-la-Santé pour y recevoir des soins.

Le présumé meurtrier sera plutôt transporté à l’hôpital du Sacré-Cœur. « Oublie ça, ça aurait été ingérable, lance l’infirmière Annick Kirouac. Les parents dans la même urgence que l’agresseur… Ça aurait été épouvantable. »

Aux soins intensifs du CHU Sainte-Justine, un des enfants soignés est très éprouvé. Le personnel est « touché de voir la souffrance de cet enfant », témoigne le DToledano. « Nos infirmières sont toutes d’âge d’avoir des enfants dans une garderie ; elles se sont beaucoup identifiées à ça », dit-il.

Des équipes de travailleurs sociaux ont été mobilisées pour épauler les victimes, leur famille et les travailleurs.

Le CHU Sainte-Justine offre aussi son soutien aux équipes de la Cité-de-la Santé. Réanimer un enfant peut être difficile.

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Le DBaruch Toledano, chef des soins intensifs au CHU Sainte-Justine

Quelqu’un qui est habitué de faire ça avec des personnes de 80 ans et qui doit faire ça avec un enfant : c’est toute une différence. On voit tout le futur qui peut disparaître.

Le DBaruch Toledano

« Nous, à Sainte-Justine, ça fait partie de notre réalité. Eux, ça fait rarement partie de la leur », ajoute Catherine Hogue.

Coordonnateur clinique de l’équipe des mesures d’urgence psychosociale au CISSS de Laval, Simon Aubin s’est précipité à la Cité-de-la-Santé dès qu’il a été mis au courant du drame. « À l’hôpital, il y avait un bon réseau de support qui était en place », observe-t-il.

Un membre de son équipe reviendra le lendemain rencontrer le personnel qui aurait besoin de reparler de ce qu’il a vécu. Du soutien a aussi été offert aux responsables de la garderie, à ses éducatrices et aux parents.

Selon plusieurs travailleurs, l’impact de la tragédie est d’autant plus grand que tous les médias de la province en parlent. « Quand je suis sortie, c’était à la radio mur à mur. J’avais décidé que j’allais au gym me dépenser. Mais sur les écrans, c’était juste ça », dit l’infirmière Annick Kirouac.

La Dre Weill tente de terminer sa journée de travail auprès de ses 10 patients hospitalisés en pédiatrie. Mais dans l’unité, des collègues de travail suivent la tragédie sur des écrans. « Je leur ai demandé de couper le son parce que sinon je ne pouvais pas travailler », dit-elle.

Malgré ces difficultés, la Dre Weill n’a pas regretté une seconde d’être entrée au boulot ce jour-là.

Personne ne veut que ça arrive, mais si ça arrive, on a envie d’être là. C’est pour ça qu’on est formé.

Olivia Weill, pédiatre

Toujours en après-midi, Josée Beaulieu – cadre notamment responsable d’Info-Social (811) à Laval – est au quartier général de la police de Laval où se réunit une cellule de crise composée de représentants du centre de services scolaire, de la société de transport, des autorités municipales, du service d’incendie, du CISSS et de la police.

Comment peut-on soutenir la population ?, se demandent-ils tous autour de la table. C’est là que Mme Beaulieu décide de « surstaffer » le 811 pour répondre aux appels de détresse.

Le CISSS contacte toutes les familles dont l’enfant fréquente le service de garde pour évaluer leurs besoins. Une rencontre de parents est tenue en ligne pour les conseiller sur la façon d’accompagner leur enfant dans le drame. On les a encouragés à se retrouver au parc le week-end suivant la tragédie pour que les enfants reprennent contact entre eux.

Le but : réussir à faire « un retour à la normalité le plus possible », illustre Mme Beaulieu.

Inspiré par les mesures prises après la tragédie de Lac-Mégantic, le CISSS a déployé une brigade citoyenne deux semaines après le drame pour faire du porte-à-porte dans le quartier Sainte-Rose, où la tragédie est survenue. L’idée étant de prendre des nouvelles du moral des gens.

« C’est un petit quartier tricoté serré, décrit Mme Beaulieu. Un quartier très vivant aussi. Pour nous [des mesures psychosociales] le travail commence. »

Les leçons

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L’importance d’avoir des urgences « pas trop » bondées

Pour faire face à des tragédies avec un nombre élevé de patients, il est primordial que les urgences des hôpitaux ne soient jamais trop bondées.

Tant à la Cité-de-la-Santé de Laval qu’au CHU Sainte-Justine, c’est l’une des principales leçons que l’on retient de cette journée funeste.

« Si c’était arrivé le soir, la nuit ou avec des urgences plus engorgées. Ça nous force à nous questionner », dit le DPatrick Tardif, de la Cité-de-la-Santé.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le DPatrick Tardif, chef du département de médecine d’urgence à la Cité-de-la-Santé

Quand on parle de décongestionner les urgences, c’est pour être en mesure de donner des soins urgents aux patients, peu importe la situation qui va se présenter à nous.

Le DPatrick Tardif, chef du département de médecine d’urgence à la Cité-de-la-Santé

« Une des choses les plus importantes au niveau de la sécurité de la population […] c’est d’avoir des urgences qui sont capables de recevoir éventuellement des victimes multiples à travers tous les autres patients, explique DTardif […] C’est important de le dire. J’ai déjà mon bâton de pèlerin. »

Même son de cloche du côté du CHU Sainte-Justine. « Si on était à 300 % comme à l’automne, la situation aurait été vraiment beaucoup plus difficile », insiste son chef de l’urgence, le DAntonio D’Angelo.

Apprendre du Bataclan

Le soir du 13 novembre 2015, 130 personnes sont mortes à Paris et 413 ont été blessées dans une série d’attentats, dont l’un commis dans la salle de spectacles du Bataclan. Les salles d’urgence de la Ville Lumière ont été submergées de patients. Dans les mois suivants, des médecins parisiens ont présenté les leçons tirées de cette tragédie, notamment au CHU Sainte-Justine. Parmi elles : l’importance de gérer un tel drame sur le long terme.

PHOTO THIBAULT CAMUS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une victime de la tragédie est évacuée, à l’extérieur du Bataclan, le 13 novembre 2015.

« Les médecins de Paris nous ont dit : tout le monde va vouloir venir [travailler]. Dites-leur de rester à la maison. Parce qu’il faut avoir une vision à long terme », souligne le chef des soins intensifs, le DBaruch Toledano. Pour éviter que les équipes soignantes ne s’épuisent, cela prend une planification des effectifs pour les jours voire les semaines suivantes.

Quand les premières informations sur le drame de Laval ont été publiées dans les médias, plusieurs travailleurs de Sainte-Justine et de la Cité-de-la-Santé ont immédiatement offert leur aide. « Mais il ne faut pas que tout le monde arrive au début et qu’on les brûle en dedans de huit heures, explique Catherine Hogue, de l’hôpital pédiatrique montréalais. Si on a une arrivée massive de patients, c’est qu’ils vont rester pendant un bout. »

Bilan de la tragédie de la garderie de Laval

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Deux enfants ont été tués et six autres blessés.

Deux enfants sont morts et six autres ont été blessés. Le chauffeur d’autobus de la Société de transport de Laval Pierre Ny St-Amand, 51 ans, a été arrêté peu de temps après l’évènement et a été accusé de deux chefs de meurtre au premier degré ainsi que de sept autres chefs, dont tentative de meurtre et voies de fait graves.