(Québec et Montréal) Le ministre Christian Dubé a révélé que plus de 830 000 Québécois sont en attente d’une consultation en médecine spécialisée alors que la Fédération des médecins spécialistes du Québec a émis des réserves sur sa vaste réforme, qui les obligera à en faire plus. M. Dubé déplore par ailleurs le manque de collaboration de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a ajouté mardi un nouvel indicateur à son tableau de bord : le nombre de Québécois en attente d’une consultation en médecine spécialisée. Actuellement, 831 470 personnes figurent sur les listes du Centre de répartition des demandes de services pour obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste sur la recommandation d’un omnipraticien.

Cette publication survient alors que le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le DVincent Oliva, faisait une première apparition publique depuis le dépôt mercredi dernier du projet de loi 15 visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace. La réforme Dubé ratisse large et prévoit d’obliger les médecins spécialistes à réaliser des « activités médicales particulières » comme le font les omnipraticiens.

Ces activités incluent notamment la participation à des gardes à l’hôpital, des heures de travail dans des quarts défavorables et des disponibilités aux urgences.

On n’est pas contre les activités médicales particulières. Si le Ministère nous avait dit : “On veut inclure ça dans le projet de loi”, le lendemain on serait allés à Québec, on se serait assis et on aurait négocié ça. Le problème, c’est qu’on n’a pas été consultés.

Le DVincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec

« Je pense qu’on les a consultés », a rétorqué le ministre de la Santé, mardi. Christian Dubé a néanmoins salué le changement de ton de la FMSQ, qui la semaine dernière dénonçait « l’attitude de confrontation du MSSS » alors que l’annonce du ministre n’était pas encore terminée. Le syndicat de médecins a déclaré mardi « regarder avec ouverture » le projet de loi et « prendre le temps de bien l’analyser ».

Des sommets pour l’attente

Par ailleurs, le DOliva a admis que certains médecins « pourraient en faire plus », mais « c’est la minorité », a-t-il ajouté. « Je ne crois pas à ça, des spécialités qui font moins leur part. […] Les médecins travaillent largement très fort. » La semaine dernière, le ministre Christian Dubé affirmait ne pas vouloir « chercher des coupables », mais ajoutait qu’il s’attend à un coup de barre dans certaines spécialités.

Les données publiées mardi permettent d’avoir une idée plus claire des spécialités et des régions où le rattrapage à faire est plus important. C’est en dermatologie que la liste est la plus longue, avec 104 592 patients en attente, dont 62 424 sont « hors délai ». Viennent ensuite des spécialités comme l’immunologie (72 289), la gynécologie (69 537) et l’ORL (69 221).

Christian Dubé nie mettre la pression sur les médecins spécialistes en publiant ces données, rappelant qu’il s’était engagé à les rendre publiques.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé

Je vous dirais que les spécialistes, ils travaillent très fort, ils ont assez de pression. Ce qu’on veut, c’est dire, souvent comme on le fait : avez-vous besoin d’aide dans cette spécialité-là, dans cette région-là ?

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Le ministre reconnaît que son projet de loi aurait pu être différent s’il était arrivé à une entente avec la FMSQ plus vite, mais « à un moment donné, il faut tracer la ligne », a-t-il soutenu.

Le DVincent Oliva a noté plusieurs « bonnes idées » dans le texte législatif, comme « faire plus de place aux décisions interdisciplinaires ». Il a toutefois des inquiétudes et des réserves. « On évacue les médecins de la prise de décision, alors que c’est fondamental qu’on y soit », a-t-il déploré.

Québec cible la FIQ

L’opposition a critiqué mardi les propos du premier ministre au sujet de la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Julie Bouchard. Lundi, François Legault a partagé sur Twitter la chronique de Patrick Lagacé intitulée « Chialer pour chialer » en reprenant une phrase de son texte.

« Il faut parler de Julie Bouchard, présidente de la FIQ, le grand syndicat des infirmières », a écrit M. Legault dans sa publication.

Le Parti québécois a affirmé que cette sortie « n’est pas digne » et a demandé à M. Legault de rectifier le tir. Les libéraux ont rappelé que le premier ministre doit « être rassembleur », tandis que Québec solidaire a soutenu que le gazouillis était « révélateur de l’attitude de François Legault [qui est] en mode confrontation ».

« Je suis tout à fait d’accord avec mon premier ministre sur une chose : c’est beaucoup plus difficile avec la FIQ qu’avec les autres syndicats », a affirmé le ministre de la Santé. « On a vu beaucoup de syndicats qui nous ont dit : “Nous, on veut collaborer”, et ça, je ne l’ai pas encore entendu de la FIQ », a déploré Christian Dubé.

Fiasco à la SAAQ : des craintes pour Santé Québec

Les syndicats de la fonction publique ont émis des craintes mardi devant la centralisation annoncée des systèmes informatiques vers Santé Québec, qui deviendra le seul employeur du réseau de la santé – qui en compte actuellement 34. « Quand j’ai entendu ça […] mon anxiété a grimpé en flèche », a affirmé le président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec, Guillaume Bouvrette. « L’objectif est louable, mais la question que je me pose, c’est comment on va y arriver », a-t-il ajouté, déplorant le « cercle vicieux » du recours à l’expertise externe pour des projets gouvernementaux. Plus de 1000 postes sont à pourvoir dans différents ministères et organismes uniquement pour maintenir et entretenir le parc informatique, a déploré le syndicat, qui demande à Québec de s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre en bonifiant « significativement » ses offres salariales.

ILS ONT DIT

Je pense qu’effectivement, il y a lieu d’avoir une discussion, notamment avec nos médecins spécialistes, sur la façon de faire […] Ça, nous, on sera toujours présents pour débattre de façon constructive là-dessus. Je pense que tous peuvent faire mieux. Puis je pense que le gouvernement, maintenant, doit mettre en place les conditions gagnantes pour pouvoir en faire plus et mieux.

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

Donner une responsabilité populationnelle aux médecins spécialistes, on pense que c’est une bonne idée. Il faut serrer la vis aux médecins spécialistes au Québec, ça fait longtemps qu’on en parle à Québec solidaire, mon collègue Amir Khadir en parlait à l’époque où il était le seul député solidaire ici, à l’Assemblée nationale. Donc, ça, c’est un aspect de la réforme sur lequel on est d’accord.

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

On veut favoriser une meilleure répartition des médecins spécialistes, mais, en même temps, dans le projet de loi, on permet une meilleure mobilité du personnel en santé. On pourrait aussi imaginer que des infirmières des régions puissent vouloir aussi quitter pour les grands centres. Ça aussi, c’est possible, puis nous [à Matane], on est en manque d’infirmières. Donc, il y a un ensemble d’enjeux.

Pascal Bérubé, du Parti québécois, député de Matane-Matapédia