Création d’une nouvelle société d’État, fusion des conventions collectives, ajout de gestionnaires locaux et obligations pour les médecins spécialistes. La réforme du ministre de la Santé, Christian Dubé, ratisse large et revoit de fond en comble la gouvernance du réseau. Survol.

(Québec) « Tout est là-dedans »

Christian Dubé a déposé mercredi son fameux projet de loi visant à rendre le réseau de la santé et des services sociaux plus efficace. Le texte législatif de quelque 300 pages comporte plus de 1000 articles et touche à 35 lois actuelles. « Ça peut faire peur en termes de volume, mais tout ce qui était nécessaire pour être capable de faire les changements […] est là-dedans », s’est réjoui le ministre, un an après le dépôt de son Plan santé. Le premier ministre François Legault a parlé d’une « grande journée pour le réseau de la santé » et d’un projet de loi « important et historique ».

Une nouvelle société d’État

Le projet de loi 15 vient créer Santé Québec, nouvelle société d’État qui coordonnera tout le volet opérationnel du ministère de la Santé et des Services sociaux. Le Ministère se concentrera sur les grandes orientations et sur son rôle de planification. Santé Québec aura son président, ses vice-présidents et son conseil d’administration, comme Hydro-Québec, et sera assujettie à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État. Le président et chef de la direction de Santé Québec tout comme le président du futur conseil d’administration seront nommés par le gouvernement. Le grand patron devra avoir une expertise dans l’opérationnel et viendra de l’interne ou de l’externe du réseau, a confirmé M. Dubé.

La fin des sigles CISSS et CIUSSS

Certains s’en réjouiront, la réforme Dubé sonne la fin des sigles CISSS et CIUSSS pour faire place à la désignation territoriale – Santé Québec-Estrie, par exemple. Les conseils d’administration des établissements de santé seront aussi remplacés par des conseils d’établissement qui réuniront des patients, des représentants des milieux communautaires, de la recherche et de l’enseignement, des affaires et du monde municipal. Selon le gouvernement, cette organisation deviendra « la voix du terrain » dans l’objectif de rapprocher le réseau de sa collectivité.

Les spécialistes dans la ligne de mire

Un nouveau bras de fer se profile entre le gouvernement Legault et la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Dans sa réforme, Christian Dubé obligera les médecins spécialistes à en faire plus, comme s’attaquer aux listes d’attente, offrir des heures de travail dans des quarts défavorables, participer à des gardes ou combler des services à découvert. « Ce qu’on dit aux spécialistes aujourd’hui, c’est que le droit de pratique sera assujetti à ces activités médicales particulières », a expliqué M. Dubé, comme c’est le cas pour les médecins de famille. « On n’est pas ici pour chercher des coupables », a assuré le ministre, qui n’a pas voulu préciser les spécialités où il s’attend à un coup de barre.

Employeur unique et fusion syndicale

Santé Québec deviendra le seul employeur du personnel du réseau de la santé et des services sociaux, alors que les 30 CISSS et CIUSSS seront centralisés dans la nouvelle agence. Sont exclus les quatre établissements nordiques desservant une population autochtone. Cette centralisation aura pour effet de fusionner les conventions collectives locales. Au lieu de 136 tables de négociations actuelles avec les syndicats, la loi les fera passer à seulement quatre tables nationales, soit une pour chacune des quatre catégories d’emploi. Québec espère « diminuer la bureaucratie » et « faciliter les relations entre les travailleurs et leur employeur ».

Ancienneté « réseau » et « équipe volante »

L’unification des conventions collectives entraînera aussi une fusion de l’ancienneté syndicale. C’est-à-dire qu’en ayant un seul employeur, on parlera désormais « d’ancienneté réseau ». Un travailleur de la santé pourra donc se déplacer d’un établissement à l’autre sans perdre ses avantages. La mobilité des employés permettra aussi la création d’une banque d’employés volontaires, comme une agence publique de placement ou une équipe volante, qui pourront être déployés là où les besoins se font sentir. Québec a cité la récente crise aux urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, où il a été compliqué d’envoyer des volontaires d’autres établissements prêter main-forte malgré leur volonté de se déplacer.

Retour des gestionnaires de proximité

Québec veut réembaucher plusieurs centaines de gestionnaires pour que chaque établissement de santé, CLSC comme hôpital, ait un directeur « imputable ». L’ex-ministre libéral Gaétan Barrette a lui-même reconnu qu’il avait aboli trop de cadres intermédiaires dans sa réforme, en 2015. Le réseau compte quelque 1600 installations. Le nombre de postes créés n’a pas encore été déterminé. Le gouvernement Legault avait déjà ajouté des gestionnaires en CHSLD après la première vague de la pandémie.

Dubé accusé de se défiler

L’opposition estime que Christian Dubé tente de se défiler de ses responsabilités. « On a beau revirer [l’agence] de tous les bords et tous les côtés, ça nous semble vraiment comme un bouclier pour Christian Dubé. Un bouclier anti-imputabilité pour que lorsque surviendra une situation dans un hôpital », a tonné le député libéral André Fortin. Vincent Marissal, de Québec solidaire, a également affirmé que le ministre se « déresponsabilise » et qu’il rendra Santé Québec responsable des orientations qui échoueront à donner des résultats. Pour le député péquiste Joël Arseneau, la réforme proposée est « une hypercentralisation jamais vue » qui vient créer « un écran devant [le ministre] où toutes les opérations au quotidien du système de santé vont lui échapper », a-t-il affirmé.

Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse