Après quatre mois à être secouée par l’opposition à la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, la France se prépare à une nouvelle journée de grève massive, ce lundi, pour marquer le 1er mai. Au cœur du conflit : le passage de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans. L’ultime soubresaut d’un mouvement en ralentissement ?

(Montreuil) Masha Ciardi boit un coup de blanc au bistrot situé juste au pied de la tour de la Confédération générale du travail (CGT), aux portes de Paris. Elle ne l’a pas volé, après quatre mois passés dans les coulisses du plus important mouvement social des dernières années.

Le café n’appartient pas au puissant syndicat – le plus ancien et le plus polarisant de France –, mais c’est tout comme. Des syndicalistes, « ici, il n’y a que ça », lance Dalia, la serveuse. « On l’appelle l’annexe », explique Mme Ciardi, qui occupe un poste administratif à la CGT. Elle ajoute en rigolant : « on est des clients captifs ».

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Mme Ciardi, quinquagénaire et communiste, évoque rapidement une période de « fin de conflit », avant de se raviser. « Ça continue. L’objectif, c’est de continuer l’intersyndicale au maximum ; au local, ça continue à bouger », modère-t-elle. Au-dessus de sa tête et du comptoir, sur des miroirs, une pléthore d’autocollants rouges des différentes fédérations de la CGT. Des cheminots, des débardeurs, des travailleurs du pétrole : tout ce qu’il faut pour paralyser l’Hexagone.

Une France à l’arrêt, c’est ce qui risque de se produire ce lundi.

Après une vive contestation de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, après avoir assisté, impuissants, au passage en force du texte législatif et à son approbation par la justice, les syndicats français sortiront dans la rue en masse pour la fête du Travail.

« Le combat doit continuer : l’urgence est d’augmenter tous les salaires et non pas de reculer l’âge de départ à la retraite à 64 ans », clame l’Intersyndicale, regroupement des principales organisations françaises de travailleurs, qui mène le mouvement.

Mais devant l’impassibilité du gouvernement face à la mobilisation et la raréfaction des possibilités de contester légalement la réforme, les quotidiens français parlent déjà de « baroud d’honneur ». Emmanuel Macron a déjà entamé ses « 100 jours d’apaisement » pour relancer son quinquennat.

« On est très remontés contre Macron »

Pour l’instant, cet « apaisement » ne profite pas aux tympans du chef de l’État et des membres de son gouvernement. En avril, des concerts de casseroles ont accompagné chacun de leurs déplacements. « Ça ne doit pas nous empêcher d’avancer. Ce n’est pas les casseroles qui font avancer la France », a même répondu Emmanuel Macron aux manifestants qui l’attendaient bruyamment en Alsace, à la mi-avril.

Des « casserolades » ont aussi été organisées de façon indépendante, près de lieux emblématiques du paysage politique français.

PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, LA PRESSE

Rassemblement devant l’hôtel de ville de Paris, la fin de semaine dernière

Lundi dernier, par exemple, ils étaient plusieurs centaines à être réunis devant l’hôtel de ville de Paris, sur le coup de 20 h, pour se faire entendre. Surtout des jeunes. Le bâtiment – contrôlé par une maire socialiste – arborait de grandes banderoles : « MAIRIE SOLIDAIRE AVEC LE MOUVEMENT SOCIAL ».

Dans la foule, les manifestants tentaient de convaincre (et peut-être de se convaincre) que le mouvement se poursuivrait.

« On est très remontés contre Macron », a dit Émile Kowalski, qui tapait sur une vieille bouteille de sirop, saveur grenadine. « En plus, aujourd’hui, c’est le premier anniversaire de sa réélection. Un an de casse sociale, de reculs sur tous les plans. On se demande ce qu’il va encore trouver à détruire. »

Sa camarade, Katell de Gouvelle, a pris le relais : « L’opinion publique reste la même. Après, quand les gens parlent d’essoufflement, c’est peut-être parce qu’il y a moins de gens en manifestation. Mais il faut comprendre : moi, je suis étudiante, mais mon frère gréviste a perdu un mois de salaire ! Donc, il a repris le travail parce que sinon, il ne peut pas payer son loyer. »

À quelques mètres, la professeure de musique et musicienne Marie Labrousse participait au concert le plus cacophonique de sa carrière.

C’est à la fois pour que Macron voie qu’on n’est pas d’accord et qu’on continuera à ne pas être d’accord. Et en même temps pour que les gens qui commenceraient à rester chez eux n’oublient pas qu’il y a un problème et qu’il faut qu’on résiste. Peut-être que ce sera aux prochaines élections…

Marie Labrousse, 47 ans

« Si jamais ça s’essouffle, il faut qu’il y ait au moins quelques personnes qui essaient de rappeler à tous les Français qui étaient dans la rue qu’il y a eu un problème », ajoute-t-elle.

Mme Labrousse tapait énergiquement sur un petit cul-de-poule. Elle voit le report de l’âge de sa future retraite de 62 à 64 ans comme une punition injuste, elle qui voudrait « faire autre chose » dès 55 ans si c’était possible. « C’est surtout quand on voit que ce n’est pas partagé, que c’est toujours les mêmes qui paient, a-t-elle continué. Purée, il y en a qui ne font vraiment pas leur part en France. Nos très riches sont sous-imposés. »

Tous – Masha Ciardi comme les manifestants de l’hôtel de ville – promettaient de manifester ce lundi. Pour clore un chapitre de l’histoire sociale française ou pour en écrire la suite ?

L’histoire jusqu’ici

  • 10 janvier 2023 : dévoilement de la réforme des retraites voulue par le gouvernement d’Élisabeth Borne, qui reporterait l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans pour la plupart des travailleurs.
  • 19 janvier 2023 : première journée de mobilisation, avec des manifestations records : de 1,1 à 2 millions de participants, selon les versions.
  • 17 mars 2023 : le gouvernement utilise une procédure d’exception à l’Assemblée nationale afin de faire passer la réforme des retraites sans vote parlementaire.
  • 14 avril 2023 : la justice avalise le recours à cette procédure d’exception.
  • 1er septembre 2023 : entrée en vigueur prévue de la réforme des retraites.