Des membres de la FNEEQ-CSN et de la FEC-CSQ ont signé une lettre commune enjoignant leurs grandes centrales à cesser d’entraver le débat sur la protection du français

(Québec) Ça brasse dans le milieu syndical au sujet de la protection du français. Des enseignants rassemblés au sein du regroupement Pour le cégep français accusent les centrales syndicales de bloquer leurs tentatives pour débattre de façon intersyndicale de l’idée d’appliquer la loi 101 au réseau collégial. Piqués au vif, les syndicats répliquent qu’il s’agit de fausses allégations.

Dans une lettre ouverte obtenue par La Presse, des représentants du regroupement, qui est décrit comme un « mouvement non partisan de solidarité syndicale pour la défense du français », exigent que la CSN et la CSQ « fassent sauter les verrous stratégiques et idéologiques contre les défenseurs de la loi 101 au collégial ».

« Tout se passe comme si les grandes centrales et leurs fédérations voulaient étouffer les braises d’un débat qu’elles considèrent comme une patate chaude. Au nom de la bonne entente avec un réseau de cégeps anglais surdimensionné, on préfère taire les aspirations légitimes des francophones préoccupés par la pérennité de leur langue et soucieux que cesse le déclassement du réseau français », disent-ils.

Depuis le printemps 2021, les professeurs réunis au sein de ce regroupement sont particulièrement actifs pour changer la position syndicale majoritaire, qui ne réclamait pas l’application de la loi 101 au cégep. En septembre dernier, ils avaient réussi à obtenir l’appui de 41 syndicats locaux d’enseignants. Leurs regroupements nationaux, soit la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) et la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ), leur ont depuis emboîté le pas.

Selon le regroupement, les centrales syndicales s’activent désormais à bloquer leurs représentants lorsqu’ils souhaitent publier des textes d’opinion sur le sujet dans des journaux syndicaux ou lorsqu’ils sont mandatés par leurs bureaux de direction locaux pour aller présenter le débat aux instances syndicales régionales.

« Le mot d’ordre semblait consister à garder le silence sur cette question. En d’autres termes, à s’asseoir sur le couvercle de la marmite », disent-ils.

« Il faut trancher »

Dans ce nouveau combat qui vise les centrales syndicales, ces profs militant en faveur de la loi 101 au cégep bénéficient de l’appui du Mouvement Québec français (MQF). En entrevue avec La Presse, son président, Maxime Laporte, avait un mot pour les représentants syndicaux : « Il faut trancher. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Le président du Mouvement Québec français (MQF), Maxime Laporte

« Je n’ai aucun doute qu’ils ont dû faire face à une telle obstruction et je les soutiens. Il est plus que temps que les centrales syndicales prennent leurs responsabilités. Avec l’état de la situation du français, on ne peut plus continuer à balayer ce débat sous le tapis. Il faut trancher », affirme-t-il.

Selon M. Laporte, « les instances nationales [doivent] se prononcer et cesser de faire obstruction puisqu’il s’agit d’un enjeu criant. Les [centrales syndicales] doivent faire un choix et nous dire clairement où elles logent ».

Du côté des fédérations d’enseignants, qui ont appuyé au cours des derniers mois l’idée d’appliquer la loi 101 au cégep, leurs représentants assurent que les centrales syndicales ne les ont jamais empêchés de débattre de la question ou de la soumettre au vote.

Les centrales se défendent

Mises au banc des accusés par le regroupement Pour un cégep français, la CSN et la CSQ assurent qu’elles n’étouffent aucun débat.

Je pense que c’est une mauvaise compréhension de la façon dont fonctionnent les centrales. On ne bloque absolument rien et on ne met pas l’idée d’appliquer la loi 101 au cégep sous le tapis. C’est une fausseté.

Mario Beauchemin, troisième vice-président de la CSQ et professeur d’histoire au cégep de Sainte-Foy

La présidente de la CSN, Caroline Senneville, fait un pas de plus : en matière de défense du français, elle affirme : « Je n’ai pas de preuve à faire à personne. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La présidente de la CSN, Caroline Senneville

« La CSN est née en 1921 en défendant non seulement de pouvoir travailler en français, mais aussi de pouvoir négocier en français. Avant, ce qui existait s’appelait des unions internationales, donc des unions américaines », rappelle-t-elle. Selon Mme Senneville, « il y a une grande méconnaissance de la façon dont on fonctionne ».

« On en a eu, des débats qui n’étaient pas faciles, par exemple au sujet de l’amiante ou de la transition économique juste. Il faut les faire correctement. […] Ce sont des débats qui ne s’improvisent pas et qui doivent être faits dans le respect de tout le monde », affirme-t-elle.

Pour qu’un débat s’enclenche au sein d’une centrale, il peut se faire en assemblée générale. Le 15 mai prochain, la CSN tiendra d’ailleurs son congrès. Ses dirigeants ont récemment écrit à l’ensemble de leurs syndicats membres pour leur rappeler qu’ils avaient jusqu’au 2 avril pour soumettre une proposition qui leur tenait à cœur. Aucune des propositions reçues ne traitait de l’application de la loi 101 au cégep.

À ce jour, le gouvernement Legault a toujours écarté l’idée d’appliquer la loi 101 au cégep, ce qui aurait pour effet d’interdire aux francophones et aux allophones d’étudier dans un cégep anglophone public. Dans sa réforme de la Charte de la langue française, Québec a préféré plafonner le nombre d’inscriptions au réseau collégial de langue anglaise. Le nouveau ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a depuis promis de déposer, l’automne prochain, un plan d’action interministériel pour mettre un frein au déclin du français.

Lisez la lettre du regroupement Pour le cégep français

L’histoire jusqu’ici

13 mai 2021

Le ministre Simon Jolin-Barrette dépose le projet de loi 96. Le gouvernement Legault ratisse large, mais n’assujettit pas les cégeps à la loi 101.

24 mai 2022

Le projet de loi 96, qui contient plus de 200 articles et modifie une vingtaine de lois existantes, est adopté au Salon bleu, avec l’appui de Québec solidaire (QS).

6 juin 2022

Aussitôt adoptée, aussitôt contestée : la commission scolaire English-Montréal (CSEM) demande à la Cour supérieure d’invalider des articles de la loi 96.

27 janvier 2023

Un comité interministériel est mis en place et doit déposer un plan d’action l’automne prochain.