De quelle dangereuse fièvre les pharmaciens sont-ils atteints ? Ce n’est pas une blague, certains exigent des honoraires de plus de 100 000 $… pour un seul patient.

Par exemple, une pharmacie a prélevé des honoraires annuels de plus de 140 000 $ pour une seule prescription de Procysbi, un médicament qui retarde l’apparition de l’insuffisance rénale chez les patients atteints d’une maladie rare.

Un autre professionnel a facturé des honoraires annuels de 160 000 $ à un patient qui avait besoin de Trikafta, un traitement pour la fibrose kystique.

Précisons bien : il s’agit seulement des honoraires du pharmacien pour ces ordonnances dont la facture totale peut atteindre un demi-million de dollars.

Ces chiffres exclusifs nous ont été fournis par le bureau québécois de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) qui a mené une enquête en 2022 sur cette inquiétante tendance.

On veut bien croire qu’il s’agit de médicaments onéreux qui doivent être manipulés avec soin, parfois dans un environnement stérile. Que les pharmaciens doivent assumer le risque en cas de perte ou de contamination.

Mais franchement, des honoraires aussi élevés, ça frise le délire. Il est plus que temps que Québec s’en mêle, car la pérennité même de notre système d’assurance médicaments universel est en péril.

Ces cas spectaculaires d’honoraires excessifs sont symptomatiques du mal profond qui ronge le système d’assurance médicaments du Québec. Ils démontrent à quel point les assurés du privé sont victimes d’une injustice systémique par rapport à ceux couverts par la RAMQ.

Pour l’ensemble des médicaments vendus au Québec, les honoraires moyens des pharmaciens sont de près de 18 $ au privé par rapport à environ 9 $ au public où les honoraires sont fixes. C’est carrément le double ! Cela fait en sorte que le coût global des médicaments est 18,8 % plus élevé pour les assurés du privé que ceux de la RAMQ. Au total, le privé paie donc 750 millions de trop chaque année. Loin d’une bagatelle.

Or, les médicaments onéreux – de plus en plus fréquents – exacerbent le problème.

Prenons les traitements qui coûtent plus de 10 000 $ par année. Les pharmaciens se permettent d’imposer des honoraires moyens de 328 $ par prescription aux assurés du privé, selon l’ACCAP. C’est 40 fois plus que les honoraires facturés aux assurés de la RAMQ.

Ce grand écart est aussi disgracieux qu’inadmissible.

L’écart découle du fait que les assureurs privés sont menottés.

Ils sont tenus de rembourser tous les médicaments couverts par le régime public. Mais ils n’ont aucun contrôle sur les honoraires des pharmaciens, contrairement à la RAMQ qui négocie un prix fixe. Plus Québec négocie serré, plus les pharmaciens se reprennent du côté privé. Cet interfinancement est malsain.

Les pharmaciens répliqueront que c’est le libre marché qui s’applique du côté privé, que les assurés peuvent magasiner.

Mais en réalité, les assurés sont peu sensibilisés au prix des médicaments, dont ils ne paient que 10 ou 20 % à la caisse. Sans compter que leur contribution est plafonnée à 1161 $ par année.

Au-delà de ce montant, les assureurs ramassent toute la facture… qu’ils n’ont pas tellement avantage à réduire, puisque leurs frais sont établis en pourcentage du montant des réclamations.

Plus les réclamations montent, plus les primes des assurés grimpent. Mais encore là, l’impact n’est pas si visible, car la prime est prélevée sur leur paie et l’employeur en absorbe souvent une partie.

Quant aux employeurs, ils n’aiment pas trop se mettre le nez dans les questions de santé de leurs employés, ce qui explique leur manque de mobilisation.

Au bout du compte, la concurrence dans le domaine de la pharmacie est un mirage. Surtout pour les médicaments onéreux dont la distribution est contrôlée par une poignée de pharmacies qui demandent la lune.

Alors, quel est le remède contre les honoraires excessifs ?

Une plainte à l’Ordre des pharmaciens du Québec ? Ne comptez pas trop là-dessus ! Depuis 10 ans, l’Ordre n’a sanctionné que deux pharmaciens pour des honoraires déraisonnables.

Une action collective contre les pharmaciens ? C’est déjà en cours. Mais le processus pourrait prendre des années.

Fondamentalement, c’est à Québec de revoir le système. Deux options sont envisageables.

Tout d’abord, le gouvernement pourrait plafonner les honoraires des pharmaciens, en établissant une grille qui tiendrait compte de l’intensité du travail requis. Mais cela risque d’envoyer un mauvais signal : tous les pharmaciens seront tentés de s’accoter sur ce plafond, ce qui fera monter les prix encore plus. Rendu là, pourquoi ne pas imposer les mêmes honoraires au privé et au public ? Les pharmaciens crieraient à la nationalisation, mais au moins ce serait enfin équitable.

Autrement, le gouvernement pourrait permettre aux assureurs privés de négocier des ententes avec les pharmaciens, comme cela se fait ailleurs au Canada. Et ça marche ! En Ontario, les prix des médicaments sont 20 % inférieurs.

En ce qui concerne les médicaments onéreux, on doit aussi se demander si la facture ne devrait pas être toujours assumée par le public et si le traitement ne devrait pas être offert à l’hôpital pour limiter les risques de perte.

Chose certaine, il faut agir. Sinon, le système va craquer. Le poids des primes devient si lourd que certains régimes privés songent à se faire hara-kiri.

Par exemple, lors d’une récente consultation menée pour le programme d’assurance des retraités du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, près du tiers des personnes concernées (31 %) ont voté pour son abolition.

Il faut dire que la prime de ceux qui ont moins de 65 ans – et qui sont donc forcés par la loi d’adhérer au régime – s’élève à 3048 $ par année. C’est quatre fois plus que celle de la RAMQ qui n’est que de 710 $ parce que Québec « subventionne » une partie de la facture à même son fonds consolidé.

Même si les régimes privés ont une couverture un peu plus large, il devient tentant pour les assurés de mettre fin à leur régime afin de migrer vers la RAMQ.

D’ailleurs, 151 000 assurés se sont ajoutés au régime public depuis 10 ans, une augmentation trois fois plus forte qu’au cours des 10 années précédentes qui découle en partie de l’abandon par des employeurs de leur régime d’assurance collective.

Ce mouvement va s’accentuer au cours des prochaines années, si Québec ne fait rien. Alors même si le ministre de la Santé Christian Dubé en a plein son assiette avec le projet de loi pour améliorer l’efficacité du réseau de la santé, il doit aussi s’attaquer aux honoraires déraisonnables des pharmaciens.

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  • 42 616 $
    En 2021, les 20 médicaments les plus vendus au Canada – qui représentaient près de 40 % des ventes – avaient un coût de traitement annuel médian de 42 616 $, un montant 60 fois plus élevé qu’en 2012, selon le Conseil d’examen des médicaments brevetés.