Chrystia Freeland déposait mardi à Ottawa son troisième budget à titre de ministre des Finances du Canada. Malgré son vernis progressiste, le gouvernement de Justin Trudeau adopte une approche contre-productive de la transition écologique en plus de tarder à mettre en œuvre les politiques sociales ambitieuses qui l’avaient pourtant fait élire il y a maintenant huit ans.

La ministre Freeland a entendu les inquiétudes des grandes entreprises canadiennes qui, voyant les États-Unis débloquer des centaines de milliards de dollars dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, craignaient pour leur « compétitivité ». Ainsi, le budget 2023-2024 annonce de généreuses subventions qui prennent la forme de crédits d’impôt remboursables à l’intention de l’industrie des technologies dites propres.

Loin de répondre à l’ampleur de la tâche en matière environnementale, le gouvernement, en misant naïvement sur des miracles technologiques que fait miroiter l’industrie fossile depuis plusieurs décennies, entraîne plutôt le Canada dans la mauvaise direction.

Visiblement, le gouvernement Trudeau ne craint pas les paradoxes : le tiers de son plan de transition de 80 milliards de dollars ira à des projets d’infrastructures d’électricité de sources renouvelables (ce qui peut inclure le gaz naturel et le nucléaire), tandis qu’un quart de cette somme sera consacré à des entreprises de l’industrie fossile pour des projets de captage et de séquestration de carbone.

Rappelons que la Régie de l’énergie prévoit d’ici 2040 une augmentation de 20 % de la production de gaz naturel et de 20 % de la production de pétrole.

Le budget 2023, avec ses projets d’énergie renouvelable, ne représente qu’un coup d’épée dans l’eau au vu de la croissance effrénée de l’industrie fossile canadienne.

Des subventions à l’industrie minière destinées aux minéraux critiques (lithium, cobalt, cuivre, graphite, nickel et les éléments composant les terres rares) sont aussi prévues dans ce budget. Or, cette ruée minérale risque d’entraîner une multiplication des conflits entourant les usages du territoire, ce qui contraste avec les mesures de réconciliation envers les peuples autochtones, dont le budget entend faire « progresser l’autodétermination ».

Des politiques sociales qui brillent par leur absence

En 2016, lors du premier budget de l’ère libérale, l’IRIS notait que, malgré sa grandiloquence, le gouvernement Trudeau peinait à traduire ses idées en actions et se contentait souvent de lancer des consultations. Sept ans plus tard, il est frappant de constater le peu de progrès effectués.

Par exemple, le budget 2023 ne dit pas un mot sur le programme d’assurance médicaments promis par le gouvernement, qui se fait toujours attendre. Au chapitre de l’assurance-emploi, on attend aussi la réforme qui doit permettre de mettre sur pied, pour reprendre les mots du premier ministre, un régime « digne du XXIe siècle ».

En matière de logement, aucune nouvelle mesure n’est prévue pour contrer la crise qui sévit dans de nombreuses municipalités canadiennes, hormis le déploiement d’une stratégie de logement autochtone en milieu urbain, rural et nordique. Cette inaction est préoccupante dans la mesure où le manque de logements abordables est appelé à s’aggraver dans les prochaines années, selon plusieurs analystes.

Une exception majeure : le régime canadien de soins dentaires

La seule exception concerne le nouveau régime canadien d’assurance dentaire, qui avait été annoncé l’année dernière et qui prendra son envol cette année. Ce programme, qui devrait coûter 5 milliards de dollars par année à partir de l’exercice 2027-2028, sera destiné aux Canadiens non assurés dont le revenu familial annuel est inférieur à 90 000 $. Soulignons cependant que la mesure pourrait s’avérer très rentable pour les cabinets privés de dentistes, un secteur qui fait l’objet d’une vague importante d’investissements financiers depuis quelques années au Canada.

Le nouveau régime canadien d’assurance dentaire ne devrait pas servir d’accélérateur à la financiarisation de la dentisterie au pays.

Mentionnons enfin que le gouvernement a prévu des mesures pour protéger le pouvoir d’achat des ménages face à l’inflation. Parmi celles-ci, on compte une bonification du crédit pour la TPS qui se présente comme un « remboursement pour l’épicerie », une mesure positive considérant qu’elle cible les bonnes personnes et qu’elle est facile à administrer. Il faut toutefois espérer que ces sommes ne viendront pas simplement grossir davantage les marges de profits des magasins d’alimentation, qui ont crû de manière appréciable durant la pandémie.

En somme, ce septième budget de l’ère Trudeau déçoit lorsqu’on le compare au projet politique que les troupes libérales avaient mis de l’avant en 2015 et qui leur avait permis d’accéder au pouvoir avec un large appui de la population. Si Justin Trudeau n’est jamais allé au bout de ses propositions ambitieuses, c’est de toute évidence parce qu’elles auraient requis d’encadrer les marchés et de réduire la sphère d’influence du secteur privé sur l’économie. En d’autres mots, le gouvernement libéral demeure un gouvernement… libéral.

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