Pour aider les femmes afghanes, le Canada devra poursuivre le dialogue avec les talibans en 2023.

Mardi, les Afghanes ont perdu le droit de fréquenter l’université. De l’école primaire aux études supérieures, toutes les portes des établissements d’enseignement leur sont désormais fermées. C’est révoltant. En leur bloquant l’accès au savoir, c’est une brique de plus que les talibans ajoutent aux murs de leur prison. Les femmes afghanes n’ont presque plus de droits, les talibans leur retirent un à un malgré leurs promesses de l’an dernier.

Certains spécialistes de l’Afghanistan voient dans cette nouvelle interdiction aux femmes une provocation de la part des talibans pour attirer l’attention de la communauté internationale et forcer les gouvernements occidentaux à s’assoir et négocier avec eux. C’est une hypothèse qui se tient.

De toute manière, le Canada n’a pas vraiment le choix, il doit maintenir le dialogue même s’il le fait en se pinçant le nez. Car l’autre option aurait des conséquences encore plus graves. Couper les ponts avec le gouvernement taliban isolerait davantage les plus vulnérables qui sont déjà très isolés. Surtout les femmes.

PHOTO EBRAHIM NOROOZI, ASSOCIATED PRESS

Cette enseignante afghane classe des livres et des cahiers d’activités après la fermeture des classes annoncée, jeudi à Kaboul.

Ce dialogue, il est déjà en cours. Le gouvernement canadien ne s’en vante pas trop, mais il a rencontré les représentants talibans à plusieurs reprises depuis la chute de Kaboul en août 2021. À 13 reprises plus précisément, si on se fie aux documents obtenus par la CBC en octobre dernier grâce à la loi d’accès à l’information. On y apprend que le haut fonctionnaire canadien en Afghanisan, l’ancien ambassadeur David Sproule, a défendu trois dossiers en particulier lors de ces rencontres qui ont eu lieu au Qatar : l’accès des femmes à l’éducation, la lutte contre le terrorisme et la sécurité des Afghans qui souhaitent quitter le pays.

Le Canada doit garder les canaux de communication ouverts et poursuivre ce dialogue.

Car les grandes dénonciations publiques donnent peu de résultats si elles ne sont pas accompagnées de mesures concrètes. Oui, la communauté internationale doit s’indigner à haute voix lorsque les talibans restreignent les droits des femmes, mais ce n’est pas suffisant. Les pays occidentaux doivent aussi s’asseoir pour discuter avec ce gouvernement. Et appuyer les organisations humanitaires qui œuvrent auprès des Afghans.

À ce sujet, certains signes portent à croire que la position du Canada a évolué.

Dans sa formulation actuelle, notre loi antiterroriste bloque l’intervention des organisations humanitaires canadiennes qui risquent d’être accusées au criminel de « faire affaire » avec le gouvernement taliban. Deux comités, aux Communes et au Sénat, ont dénoncé la rigidité de cette réglementation. Il semble que leur voix a été entendue. La semaine dernière, le ministre du Développement international, Harjit Sajjan, a annoncé que la Loi pourrait être modifiée dès le printemps prochain. Ce n’est pas trop tôt. Plusieurs pays occidentaux l’ont déjà fait.

Mais il faudra aller encore plus loin. Les pragmatiques estiment qu’il faut s’entendre avec les talibans sur certains objectifs précis comme le droit des femmes à travailler et à étudier. C’est l’opinion, entre autres, de Nipa Banerjee, autrefois responsable de l’aide et du développement à l’ambassade du Canada en Afghanistan. Mme Banerjee, aujourd’hui chercheuse à l’Université d’Ottawa, a travaillé sous les ambassadeurs Chris Martin et David Sproule. Selon elle, il faut fixer avec les talibans des objectifs clairs dont on pourra mesurer le progrès de façon concrète. Elle prône la politique des petits pas : d’abord l’école primaire, puis secondaire, et ensuite l’université.

Mme Banerjee croit aussi fermement à l’autonomisation économique des femmes par l’entremise de programmes de microcrédit ou d’emploi à domicile : « J’ai vu les résultats de tels programmes au Bangladesh et je crois qu’on pourrait les déployer dans les régions rurales de l’Afghanistan », nous a-t-elle expliqué lors d’un entretien téléphonique.

Le Canada ne doit pas laisser tomber les Afghanes. Les droits des femmes sont le fer de lance de la politique internationale canadienne. Voilà l’occasion de mettre nos beaux principes en pratique.

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