Ça fait des années que les skieurs alpins assistent impuissants au déclin du Mont-Sainte-Anne, une station au potentiel exceptionnel mais gérée tout croche par son propriétaire albertain, Resorts of the Canadian Rockies (RCR).

On a atteint, espérons-le, le fond du baril le week-end dernier : tôt samedi matin, avant l’ouverture de la station, une télécabine vide s’est décrochée de son câble pour tomber violemment sur le sol, au moins une dizaine de mètres plus bas. Heureusement, il n’y avait personne à l’intérieur de la télécabine. Il n’y a donc pas eu de blessés graves ni de morts.

Mettons les choses en perspective pour bien saisir la gravité de la situation : c’est la première fois au Québec – et au Canada, selon nos recherches – qu’une télécabine de ski se décroche de son câble pour aller frapper le sol.

PHOTO MAX-ÉMILE PETITCLERC, COLLABORATION SPÉCIALE LE SOLEIL

Une télécabine vide s’est décrochée du câble au Mont-Sainte-Anne samedi.

C’est le troisième incident majeur en quatre ans pour la télécabine du Mont-Sainte-Anne, la plus vieille de huit places au pays. Il y a deux ans, un arrêt brusque a fait une vingtaine de blessés.

Quand c’est rendu qu’il y a des doutes légitimes sur la sécurité des installations, l’heure est grave.

Pendant ce temps, le gouvernement Legault étudie une demande de subvention de 50 millions de RCR pour mettre à jour ses infrastructures de ski. RCR débourserait aussi 50 millions, pour un total de 100 millions.

Vous avez bien lu : on songe à récompenser, à même les fonds publics, une entreprise n’ayant à peu près rien investi dans sa montagne. Le plan d’affaires de RCR au Mont-Sainte-Anne depuis deux décennies : on pense à court terme, on investit le strict minimum, on laisse les infrastructures vieillir sans les remplacer, et on empoche les profits.

Il n’y a qu’une seule réponse logique et raisonnée à la demande de subventions de RCR : non.

Ça ne veut pas dire que Québec doit abandonner le Mont-Sainte-Anne, dont il a raté la privatisation en 1994 en le vendant sans condition minimale d’investissements de la part du secteur privé. À cause de cette décision précipitée du gouvernement de Daniel Johnson à la veille des élections, on se retrouve avec un propriétaire qui a un bail jusqu’en 2093 et qui n’investit presque pas un sou dans la montagne.

Québec a deux options.

Soit il paie une partie de la facture et récompense un propriétaire pingre sans vision à long terme.

Soit il décide que la farce a assez duré et qu’il orchestre la sortie de RCR. Il pourrait rendre sa subvention disponible à tout acheteur sérieux intéressé, en excluant RCR à cause de sa mauvaise gestion. Le Massif vient d’ailleurs de déposer une offre d’achat, rejetée par le groupe albertain, qui ne veut pas vendre. Québec est en position de le faire changer d’idée, en négociant une vente ou en expropriant. Pour cette dernière option, il faudra dédommager RCR.

Bizarrement, le gouvernement Legault a envoyé cette semaine des signaux contradictoires sur ses intentions. Le ministre Pierre Fitzgibbon ferme la porte à toute expropriation, une drôle de façon d’établir un rapport de forces. De son côté, François Legault estime que RCR « n’a pas montré […] qu’il pouvait gérer correctement le Mont-Sainte-Anne ».

On n’exproprie pas un propriétaire sans une excellente raison. Mais quand l’exploitant d’une station de ski laisse dépérir ses installations au point qu’une télécabine tombe du ciel, on est justifié de dire : ça suffit.

Parce que les infrastructures de ski doivent être renouvelées et que RCR ne veut pas payer toute la facture, Québec détient un levier pour installer au Mont-Sainte-Anne un propriétaire ou exploitant intéressé par le développement à long terme de la montagne. Après 20 ans de sous-investissements, ça ne peut pas être RCR, qui fait partie du problème, pas de la solution.

Le ministre Fitzgibbon dit aimer conclure de bons « deals » pour le Québec.

Donner 50 millions à un propriétaire qui a traité cette belle montagne comme un guichet automatique sans investir dans ses installations, ce n’est pas notre définition d’un bon « deal ».

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