Mon texte de la semaine dernière portait sur la culture de l’indignation, très présente dans les médias. Dans Le Devoir de vendredi, un texte passionnant et inquiétant d’Annabelle Caillou est venu ajouter de la profondeur à ma réflexion. Elle parlait de la fatigue informationnelle.

Face à la surcharge d’information, de plus en plus de Québécois décident d’éviter activement les nouvelles. Il y aurait un lien direct entre stress et information. Des entrevues menées par la journaliste et des études consultées émane le fait que les médias épuisent le citoyen avec leurs nouvelles répétitives, leurs opinions polarisantes, leur surcharge d’informations.

Ce sujet m’interpelle parce que les infos sont mon pain et mon beurre, ce sur quoi je fonde une large part de mon interprétation du monde. C’est mon travail. Je suis toutefois comme les citoyens qu’elle a interrogés. Car malgré mon menu informatif très diversifié, j’ai considérablement réduit ma dose depuis des mois. Je ne regarde pratiquement plus de TJ nationaux. Régulièrement, je fais l’impasse sur les infos internationales. Certains jours, un seul copieux bulletin radio me suffit. J’angoisse.

Ce que je vis, ce que relate Le Devoir, je le constate partout autour de moi. Des gens, nombreux, coupent le cordon qui les relie aux nouvelles, choisissent ce qui entre dans leur cerveau, décident de s’abreuver à d’autres sources, d’autres font un « jeûne intermittent » d’information.

Tout ça est préoccupant, car des citoyens qui délaissent l’info, c’est ultimement mauvais pour la démocratie. C’est (traditionnellement) le fait d’être informés qui fait de nous de meilleurs citoyens, des gens impliqués, des professeurs motivés, voire des militants concernés.

Quand on leur demande, les raisons invoquées par les défroqués sont nombreuses.

Ils sont las des opinions qui supplantent les faits, tannés des harangueurs professionnels. Certains déplorent la montée du journalisme militant, campé et moralisateur. Ici, comme aux États-Unis et en France, existe aussi cette défiance croissante envers les grands groupes capitalistes qui contrôlent des groupes de presse, ce qui donne une information teintée politiquement.

Parmi les facteurs contribuant à la fatigue des masses, pointons l’obsession québécoise pour les faits divers, qui ajoute à la misère du monde en dépeignant des quartiers coupe-gorge et des villes de plus en plus violentes, une criminalité banalisée qui décourage et inquiète tout le monde.

La désinformation et les fake news généralisées induisent par ailleurs un tel doute dans nos esprits que plusieurs se retirent, méfiants, échaudés, agacés de se faire prendre pour des cons. Ajoutez l’effet de saturation provoqué par l’info-spectacle et l’info continue et on s’étonnera de voir autant de monde dire beubye à Céline Galipeau…

Une grande partie de la fatigue que nous éprouvons, nombreux, face à l’information, vient peut-être aussi d’un autre élément, très subtil. On a l’impression que l’actualité et sa course folle SONT LE RÉEL, dont parlerait l’information. Les émissions, les journaux : tout est construit autour de l’idée de l’actualité. Mais rien n’est plus dépassé qu’une nouvelle de la veille. Les cycles de l’actualité se succèdent à une cadence infernale.

Dans les médias, il y a cette idée de faire avancer la nouvelle, de faire parler, d’avoir un scoop. L’actualité, c’est ce que les médias construisent. On peut douter, et plusieurs le font, que ça ait un lien avec le réel.

Le réel, ce sont souvent les problèmes au quotidien, peu photogéniques, le logement, la crise agricole, la transmission des fermes, la précarité alimentaire, les questions climatiques au jour le jour, les régions qui vivent des problèmes à répétitions loin des médias nationaux. Le réel demande du temps, de l’écoute, de la profondeur. On entend peu les histoires des gens qui vivent tranquillement ici, depuis trois mois ou trois siècles. Et une fois tous les quatre ans, on plante un thermomètre dans le grand corps social, et on s’étonne de sa lassitude. On se surprend de ses préoccupations, de sa manière de voter, de penser. Mais qu’est-ce que l’actualité nous apprend des intérêts, des inquiétudes des gens ? Une grande partie de la population se tanne des médias parce qu’elle ne s’y reconnaît pas.

En 1998 (jadis !) Ignacio Ramonet, alors directeur du Monde diplomatique, écrivait déjà dans La tyrannie de la communication que s’informer fatigue. Que c’est beaucoup d’ouvrage, qu’il faut fournir un effort constant pour choisir et varier ses sources d’information. Et c’était déjà vrai dans ce monde où les manipulations n’étaient pas du deep fake, où les technologies de l’information jouaient, mais pas autant qu’aujourd’hui, un rôle central. Mais la communication exerçait déjà sa tyrannie. Vingt-cinq ans plus tard, une grande partie de la population, partout, démissionne et écoute de la musique. Ou des bonimenteurs… S’informer épuise…

Les gens partent. Se bouchent les oreilles. Vont chercher ailleurs, parfois en marge, leurs informations. Comment les, nous, réintéresser ? Peut-on le faire ? Cela demandera beaucoup de courage et d’humilité de la part des médias. Et des orientations probablement différentes.

Nous sommes pourtant à un tournant. Il faut, tous, se réveiller.