« La démocratie repose sur la confiance [des citoyens]. Un leadership responsable exige que nous prenions des mesures pour réaffirmer la confiance des Canadiens envers la démocratie », a dit Justin Trudeau mardi.

Le premier ministre Trudeau a raison : on ne joue pas avec la confiance des citoyens envers la démocratie.

C’est pourquoi le gouvernement Trudeau aurait dû, depuis longtemps, mettre sur pied une enquête indépendante et publique sur les troublantes allégations d’ingérence de la Chine dans la démocratie canadienne.

La Chine a-t-elle financé des candidats aux élections fédérales en 2019 puis en 2021 ? A-t-elle aidé autrement à des candidats ou leur a-t-elle nui ? Un juge indépendant et sans aucun lien avec les acteurs impliqués doit trancher ces questions dans le cadre d’une enquête publique.

Au lieu de ça, M. Trudeau a nommé en mars un rapporteur spécial indépendant, l’ex-gouverneur général David Johnston, qui a comme mandat de lui faire des recommandations pour la suite des choses.

Normalement, M. Johnston, un éminent juriste dont on ne doute pas une seule seconde de l’intégrité, aurait été un excellent choix. Sauf qu’il a été membre pendant quelques années de la Fondation Trudeau, mêlée au dossier d’ingérence de la Chine en raison d’un don de 200 000 $ de gens d’affaires chinois qui aurait été remboursé par Pékin. Ça aurait dû le disqualifier d’office pour ce mandat.

Le verdict de M. Johnston est tombé mardi : à la surprise générale, une enquête publique n’est pas nécessaire. Essentiellement parce que… lui-même a fait le travail entretemps. Travail qu’il continuera au cours des prochains mois avec des consultations publiques et des recommandations pour améliorer notre système de défense contre les tentatives d’ingérence étrangère.

M. Trudeau suivra la recommandation de son rapporteur spécial : il n’y aura pas d’enquête publique.

Le gouvernement Trudeau commet ici une erreur.

Dans ce dossier hyper polarisé sur le plan politique (Pierre Poilievre repousse ici sans cesse les limites de la mauvaise foi), le gouvernement Trudeau se doit de laver plus blanc que blanc.

Il ne l’a pas fait.

M. Johnston estime donc qu’une enquête publique n’est pas nécessaire pour trois raisons : 1) il a déjà fait le travail ; 2) toute enquête devrait se dérouler à huis clos en raison de la sécurité nationale ; 3) ça prendrait trop de temps.

Aucune de ces trois raisons ne tient la route.

On comprend qu’une enquête « publique » ne serait pas vraiment publique. L’objectif n’est pas de faire des cotes d’écoute à RDI ou LCN, mais de comprendre ce qui s’est passé et de faire des recommandations pour l’avenir. Soit, une grande partie de l’enquête se déroulerait à huis clos. Mais les responsables auraient accès à l’ensemble des documents confidentiels sur la sécurité nationale, et les conclusions de l’enquête seraient publiques. C’est ce qui est le plus important.

C’est d’ailleurs essentiellement ce que M. Johnston a fait. Il a conclu :

1) qu’on n’a pas de preuve que la Chine a financé 11 candidats aux élections fédérales de 2019 ;

2) que la Chine n’avait pas de stratagème pour faciliter l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire en 2021 ;

3) que le député libéral Han Dong a discuté de l’affaire des « deux Michael » avec un représentant de la Chine, mais n’a pas suggéré que la Chine prolonge leur détention ;

4) que la Chine était à la recherche d’informations sur le député conservateur Michael Chong, mais rien n’indique qu’elle n’ait posé des « gestes pour menacer sa famille » ;

5) qu’il y a de « graves lacunes » dans la façon dont les informations sur la sécurité nationale sont communiquées au gouvernement, ce qui expliquerait pourquoi le gouvernement Trudeau a appris la plupart des allégations dans les médias (The Globe and Mail, Global).

Tout ça est probablement vrai. M. Johnston demande d’ailleurs à deux comités indépendants – un comité d’experts présidé par l’ex-juge de la Cour suprême Marie Deschamps et un comité de parlementaires – d’examiner son rapport (incluant les documents secrets). Et ensuite de confirmer ou d’infirmer ses conclusions publiquement.

C’est une excellente idée, mais ça ne sera pas suffisant. Ni sur le plan politique. Ni pour rassurer les Canadiens.

Les allégations d’ingérence étrangère sont tellement graves et touchent tellement au cœur de notre démocratie qu’il faut un maximum de transparence. Dans ce contexte, seule une enquête publique et indépendante rassurera véritablement les Canadiens. Une enquête menée par un juge qui lave tellement blanc que ses conclusions ne pourront pas être remises en question.

On en aurait alors le cœur net. Une fois pour toutes.

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