Nous venons de mettre au rancart la moins mauvaise des solutions. Et maintenant, que ferons-nous pour améliorer la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile ?

Le vœu de nombreuses personnes a donc été exaucé : le chemin Roxham a été fermé. « Une bonne chose de faite », a-t-on dit. On nous promet que, dorénavant, ce sera à la régulière que se fera l’entrée chez nous de tous ces gens pour qui ce chemin boueux était synonyme d’espoir. (Mais ça reste à voir, bien sûr.)

Le timing de l’annonce était fabuleux : une visite présidentielle plus tard, nous voilà au nirvana migratoire. La moins pire des solutions, l’entrée irrégulière par Roxham, a donc été mise au rancart.

Ce n’est jamais beau à voir, un drame humain. Ce n’est pas commode à gérer non plus et l’opinion publique change si rapidement…

Les drames humains plus quotidiens, eux, nous affectent beaucoup moins. C’est qu’ils ne sont pas visibles ; difficile de s’indigner de ce que l’on ne voit pas. Les caméras braquées sur les nouveaux arrivants du chemin Roxham ne seront pas là, plus tard, lorsqu’ils se rendront dans un organisme communautaire pour obtenir du soutien. Il risque également d’y avoir peu d’intérêt médiatique envers la liste d’attente de 18 mois qui se formera pour le rendez-vous avec le gouvernement fédéral qui permettra d’enfin enclencher le processus de régularisation du statut.

Si ces situations pouvaient être évitées par une réponse plus rapide de l’État, le communautaire ne serait pas autant sollicité.

Le pire scénario possible

Vous me permettrez deux ou trois réflexions sur l’impact de cette fermeture.

Le but, ici, est de garder les deux pieds bien ancrés sur le terrain et de parler de la réalité – tenez-vous bien – de milliers de personnes dans le Grand Montréal arrivées au cours des dernières années.

Nous venons de rater une belle occasion d’améliorer la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile. À cause de notre manque de clairvoyance, ces personnes sont condamnées à une précarité qui n’est pas à la hauteur d’une société développée comme la nôtre.

Il est facile d’imaginer que des passeurs se frottent les mains devant cette nouvelle occasion d’affaires. Après tout, de l’aveu même des gouvernements, surveiller des milliers de kilomètres de frontière, ce n’est pas simple.

En fermant cet accès – loin d’être idéal, je le reconnais –, nous poussons vers la clandestinité des personnes qui, avec un meilleur accueil, pourraient grandement contribuer à notre société.

C’est comme si nous avions choisi le pire scénario possible. Nous avons mis fin aux entrées irrégulières en nous disant, encore une fois, que quelqu’un d’autre s’en occuperait.

Si je me permettais d’être irrévérencieux, je dirais que, comme d’habitude, cela reposera sur le dos – très large et plutôt courbé, par les temps qui courent – du milieu communautaire.

Malgré tous les efforts des organismes, les conditions d’accueil ne sont pas idéales. L’accès à des logements de qualité, abordables, dans un délai raisonnable, est tout à fait impossible. Et encore faut-il être capable de payer un 3½ pour une famille de cinq personnes. Parfois, il faut accepter la présence de colocataires à multiples pattes et antennes. Je vous garantis que ces personnes se retrouvent à une banque alimentaire très tôt chaque mois.

Le chemin de la précarité

« Ils n’ont qu’à aller travailler pour améliorer leur sort », diront certains. Mais comment peuvent-ils le faire, sans permis de travail ? On me racontait récemment l’histoire d’une dame venant d’Haïti qui attend son permis de travail depuis six mois. Rima Elkouri, elle, nous présentait la semaine dernière⁠1 un couple de Mexicains forcés de vivre dans une situation de vulnérabilité extrême en attendant leur entrevue avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, prévue seulement en octobre.

La première barrière à l’entrée sur le marché du travail pour ces migrants n’est ni le manque de volonté ni l’urgence de survivre, mais bien plutôt le système lui-même.

Une fois leur statut régularisé, les nouveaux arrivants ne seront même pas sortis du bois. Débutera alors la valse des rencontres officielles et moins officielles pour des services comme la francisation, essentielle pour qu’ils puissent contribuer à leur juste valeur et capacité.

Cette valse se transformera en une vague déferlante de rencontres pas toujours linéaires avec des organismes communautaires qui leur viennent en aide pour ce que nous appelons les besoins essentiels : logement, nourriture, vêtements et transport. Sans l’appui de ces organismes, nous assisterions à nombre de drames humains.

Un premier geste de la ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire envers les organismes qui viennent en aide aux migrants a frappé dans le mille, il y a quelques semaines, avec la création d’un fonds. Il faut désormais s’assurer que le financement soit à la hauteur de l’accueil dont nous sommes collectivement capables. Et surtout, qu’il s’inscrive dans la durée.

Le chemin Roxham est peut-être fermé, mais celui qui mène vers la précarité demeure bien ouvert.

1. Lisez la chronique de Rima Elkouri « Voie rapide vers le désespoir » Lisez la chronique de Rima Elkouri « L’humanité existe encore »