« Je ne peux pas laisser mon bébé sans manger. L’aide gouvernementale est de 1300 $ et nous payons 1500 $ de loyer. Nous n’avons même pas assez pour payer la nourriture. »

En lisant le message de désespoir d’un couple de demandeurs d’asile mexicains sans permis de travail sept mois après son arrivée au pays, Danièle L’Écuyer a senti son cœur de mère se serrer. Combien de temps pourront-ils tenir ?

Danièle est cette infirmière à la retraite de Brossard devenue maman de secours pour des demandeurs d’asile1. Depuis quelque temps, elle est témoin de situations de grande détresse. Et elle se pose une question : faudra-t-il une tragédie pour que le gouvernement saisisse l’urgence de la situation ?

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Danièle L’Écuyer

Avec Danièle, je suis allée à la rencontre de Maria, Roberto* et leur bébé dans leur modeste demi-sous-sol à Longueuil.

« Parlez-vous espagnol ?

— Pas super bien, mais je me débrouille.

— Même chose pour moi. »

À deux qui nous débrouillons et un peu d’aide du traducteur de notre téléphone, on n’a pas eu de mal à saisir le cauchemar que vivent Maria et Roberto, même si je ne connaissais pas le mot signifiant cauchemar en espagnol.

Les jeunes parents me racontent qu’ils ont dû fuir le Mexique en août 2022, car leur vie y était en danger. Ils ne sont pas arrivés par le chemin Roxham, mais par avion. Ils sont très reconnaissants au gouvernement qui leur donne espoir d’une vie meilleure pour leur enfant. Ils ne demandent pas mieux que de s’intégrer, apprendre le français et reconstruire leur vie.

Mais pour l’heure, en attendant leur entrevue avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) prévue en octobre 2023, ils sont dans une situation de vulnérabilité extrême, malheureusement très représentative de ce que vivent des milliers de demandeurs d’asile arrivés au pays ces derniers mois.

« On ne vit pas. On essaie juste de survivre », laisse tomber Maria, les traits tirés.

Sur le mur de la salle à manger, une banderole multicolore « Bonne fête ! », laissée là après le premier anniversaire de leur fils, il y a plus de trois semaines. La vérité, c’est qu’ils n’ont pas le cœur aux célébrations.

« Si on ne peut même pas manger, qu’est-ce qu’on va faire ? », demande Maria, au bord des larmes, en serrant son fils contre elle.

Mille cinq cents dollars de loyer quand l’aide gouvernementale de dernier recours n’est que de 1300 $, c’est bien sûr trop cher. Mais ils n’ont pas eu le choix. En pleine crise du logement, le propriétaire, lui-même immigrant, est le seul qui les a acceptés comme locataires alors qu’ils sont toujours en attente de leurs papiers.

Après leur avoir offert des meubles et des vêtements, Danièle tente de les aider à trouver un appartement moins cher sur la Rive-Sud.

Pour manger, les jeunes parents fréquentent la banque alimentaire de l’organisme Action Nouvelle Vie à Longueuil. Mais ils n’ont même pas de quoi payer les frais de 20 $ exigés pour un panier ni les billets de bus pour s’y rendre.

Ils se disent que ça pourrait être pire. « On se sent chanceux parce qu’il y a des demandeurs d’asile qui n’ont pas de Danièle. Pas de meubles. Pas de vêtements… Rien. »

Ce « rien » n’est pas une exagération. Dans les organismes communautaires, où les demandes d’aide ont explosé depuis l’été sans que le soutien de l’État suive, on a vu arriver ces derniers mois des gens de plus en plus démunis. « Des situations de pauvreté et de vulnérabilité qu’on n’a jamais vues auparavant », me dit Jérémie Olivier, porte-parole d’Action Nouvelle Vie.

Des nouveaux arrivants en sandales en plein hiver avec un bébé sous une simple couverture. Deux familles de quatre qui habitent un 4 ½ et dorment à même le sol…

Leurs histoires se suivent et se ressemblent. « Ce sont des gens qui veulent travailler, mais qui ne peuvent pas parce que leur rendez-vous avec l’Immigration est en 2024. Ils n’ont pas les papiers. On en a même qui font du bénévolat chez nous en attendant. Des Vénézuéliens qui marchent une heure chaque jour pour faire du bénévolat parce qu’ils veulent apprendre le français et s’intégrer. »

Plus le temps passe, plus la détresse des demandeurs d’asile augmente. Après un premier hiver au pays éprouvant, le niveau de stress de Maria est tel qu’elle s’est réveillée un matin le visage paralysé. Ne pas pouvoir travailler pour subvenir à leurs besoins… Ne pas savoir s’ils auront de quoi nourrir leur enfant… Ne pas savoir s’ils trouveront un avocat de l’aide juridique pour leur demande d’asile… Tout ça finit par les miner.

Nous sommes reconnaissants pour tout ce que le pays nous a donné. On ne veut pas plus d’argent. On veut juste un permis de travail.

Roberto, demandeur d’asile mexicain

Comment se fait-il que ce soit aussi long ? Que doivent faire ces demandeurs d’asile pour espérer obtenir leur permis de travail le plus rapidement possible ?

« IRCC ne peut commenter un cas en particulier », me répond-on.

Le 16 novembre 2022, IRCC a mis en place une voie rapide temporaire permettant aux demandeurs d’asile d’obtenir automatiquement un permis de travail dès que leur demande est jugée recevable. Dans 80 % des cas, en cinq jours tout au plus, c’est réglé, me dit-on.

En principe, la voie rapide vaut aussi pour ceux dont la demande était en attente de traitement avant le 16 novembre dernier.

Dans les faits, nombreux sont ceux qui sont en mode survie, engagés dans une voie rapide vers le désespoir.

Une fatalité ? Non.

La capacité d’accueil et le respect des droits et de la dignité des migrants dépendent de la volonté politique. On l’a bien vu avec les Ukrainiens fuyant l’invasion russe, note Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Depuis un an, plus de 133 000 ressortissants ukrainiens sont arrivés au Canada dans le cadre d’un programme spécial leur permettant rapidement de vivre, travailler et étudier temporairement au pays2.

« Si les demandeurs d’asile avaient accès aux mêmes services que les Ukrainiens, on n’en parlerait plus. »

Devant une crise humanitaire mondiale, qui ne disparaîtra pas ni si on ferme les yeux ni si on ferme les portes, n’est-ce pas la voie à suivre ?

* Les noms sont fictifs, l’histoire ne l’est pas.

1. Lisez la chronique « Comme une maman de secours » 2. Consultez des statistiques sur les mesures d’immigration pour l’Ukraine