En compilant tous les messages de lecteurs prêts à se mobiliser pour les demandeurs d’asile mexicains pour qui elle s’inquiétait la semaine dernière, Danièle L’Écuyer a eu les larmes aux yeux. Ouf ! L’humanité existe encore…

Je vous racontais samedi dernier l’histoire de Maria et Roberto1, ce couple de demandeurs d’asile mexicains à qui Danièle, infirmière à la retraite devenue maman de secours pour des migrants, voulait venir en aide. Le couple racontait sa réalité en mode survie en attendant un permis de travail. Comment nourrir son bébé d’un an lorsque l’aide gouvernementale de dernier recours est de 1300 $, que le loyer est de 1500 $ et que la limite de la carte de crédit est atteinte ?2

Vous avez été nombreux à avoir été très touchés par cette histoire et à proposer votre aide à Danièle pour soutenir la famille. Certains ont proposé d’offrir des denrées ou un toit. D’autres, de l’accompagnement ou encore des conseils pour naviguer dans la bureaucratie obscure. Des personnes immigrantes qui ont bien connu ce genre de solitude ont offert leur oreille bienveillante.

Danièle a passé les derniers jours au téléphone à tenter de répondre à tous les lecteurs. « Je suis fière de mes concitoyens. Beaucoup de gens ont pris la chose à cœur et ont permis à cette famille de se sentir rassurée, en sécurité, et de savoir qu’il y a encore de l’humanité et de la générosité. »

Jeudi après-midi, Danièle est retournée voir Maria et Roberto pour leur faire part de l’incroyable élan de solidarité des lecteurs. Elle était accompagnée de sa fille Noémie, qui parle très bien espagnol, pour s’assurer que la moitié de la conversation ne se perde pas entre un espagnol approximatif et un français encore balbutiant.

Maria et Roberto en ont été très émus. Maria a tenu à m’envoyer un message de remerciement-fleuve, à l’attention de Danièle et de tous les lecteurs qui leur ont tendu la main depuis une semaine.

« À toutes les personnes qui nous ont aidés, vous nous avez donné un répit, un souffle d’espoir. Vous avez restauré notre paix et notre tranquillité. Nous nous sentons bénis et honorés. Nous sommes entièrement reconnaissants pour toute l’aide que vous nous avez donnée, la possibilité d’avoir du calme dans cette tempête, que ce ne soit plus un cauchemar, de pouvoir acheter de la nourriture pour notre fils et des vêtements pour le protéger. Merci d’être si gentils, bienveillants. Merci pour votre humanité, pour votre générosité. Merci de nous avoir donné une seconde chance, de nous recevoir, de nous aider, de nous encourager à continuer, de ne pas nous laisser seuls. Merci à toutes les personnes qui ont donné un peu d’elles-mêmes, qui nous ont tendu la main. De tout notre cœur, nous les en remercions et nous serons toujours redevables […]. Merci de nous ouvrir les portes de votre maison, de votre vie, de vos cœurs. Nous souhaitons que la vie multiplie tout ce qu’elles nous ont donné. »

Danièle a été très surprise par la générosité de tous ces lecteurs. Moi, un peu moins. Si les élans de bonté des lecteurs m’émeuvent toujours, je sais qu’ils sont moins rares que ce que l’on pense.

Bien sûr, chaque fois qu’il est question de demandeurs d’asile, de migrants ou du chemin Roxham dans cette chronique, il se trouve toujours des gens qui m’envoient des messages antimigrants. Cette parole haineuse inquiétante, qui s’amplifie avec le temps, ne doit jamais être banalisée. Mais pendant que la haine se fait plus bruyante, l’humanité fait son chemin en coulisses. Les chiens aboient, la caravane passe…

Lorsque les demandeurs d’asile ne sont pas juste des statistiques ou une masse anonyme, lorsqu’ils ne sont pas présentés comme une dangereuse menace, mais bien pour ce qu’ils sont – des êtres humains qui ont le même droit à la vie et à la dignité que vous et moi, et qui sont prêts à contribuer à la société –, il n’est pas rare que les citoyens soient empathiques à leur égard.

Cette chronique se transforme même parfois à mon insu en une sorte de Réseau Contact de gens bienveillants⁠3.

C’est magnifique, cette générosité, qui fait contrepoids par l’action aux politiques migratoires déshumanisantes qui ont le vent dans les voiles. Mais ça ne règle évidemment pas le sort injuste des dizaines de milliers de demandeurs d’asile et de travailleurs immigrants temporaires au Québec traités comme des humains jetables, réduits à la précarité ou à l’exploitation pour cueillir nos fruits et légumes, faire notre ménage ou laver nos grands-parents, comme l’a bien montré le documentaire percutant de Sonia Djelidi et Sarah Champagne Essentiels4.

Ça ne règle pas non plus cette histoire de « capacité d’accueil » à géométrie variable, qui se transforme soudainement en « incapacité d’accueil » au gré des pressions politiques.

Ça règle encore moins le sort encore plus injuste des migrants qui sont refoulés au chemin Roxham depuis samedi et qui risquent d’emprunter des voies clandestines plus dangereuses, à la merci de passeurs.

Une certaine croyance populaire, renforcée par le discours politique et médiatique dominant, veut que les demandeurs d’asile du chemin Roxham soient fondamentalement différents de ceux qui, comme Maria et Roberto, sont passés par l’aéroport. La demande des uns aurait une légitimité que la demande des autres n’aurait pas. Ce n’est pourtant pas le cas⁠5. Quel que soit le chemin emprunté, on parle d’êtres humains en quête d’une vie meilleure qui n’auraient jamais fait un voyage aussi difficile s’ils avaient vraiment le choix.

Bref, c’est magnifique, cet élan d’humanité. Mais ça reste malheureusement une goutte d’eau dans un océan qui monte.

1. Les noms sont fictifs, l’histoire ne l’est pas.

2. Lisez la chronique « Voie rapide vers le désespoir » 3. Lisez la chronique « Une deuxième vie pour Noël » 4. Regardez le documentaire Essentiels sur le site de Télé-Québec 5. Consultez l’article du Devoir « Les demandeurs d’asile du chemin Roxham sont-ils de “faux réfugiés” ? »