En réaction à la fermeture du chemin Roxham, les libéraux parlent d’une « excellente nouvelle », la CAQ d’une victoire et le NPD d’un mur invisible d’inspiration trumpiste⁠1.

Je crois plutôt qu’en matière d’immigration, le chemin Roxham est l’arbre qui cache la forêt, une forêt qui, je l’espère, passera maintenant au premier plan.

La forêt, c’est, d’une part, la spectaculaire liste de questions auxquelles le gouvernement fédéral ne répond toujours pas et, d’autre part, la gestion chaotique de l’immigration par les ministères fédéraux.

En effet, quand on écoute les représentants d’Ottawa, on a l’impression que les bons sentiments font office de politique publique et que l’improvisation est un mode de gestion. Les difficultés fédérales vont de l’émission des permis de travail à la faiblesse de l’appui aux organismes sur le terrain en passant par l’incapacité d’offrir des services en français, la communication avec les provinces ou encore la gestion des ententes internationales. En plus, Immigration Canada a 2 millions de demandes en tous genres en attente de traitement. Ça va mal.

Il y a aussi les questions de fond auxquelles le gouvernement fédéral, et tout le monde au Canada, devrait répondre.

Inspiré par la Century Initiative, un projet qui consiste à faire passer, à toute vitesse, la population canadienne à 100 millions d’habitants, le Canada accueillera, dès 2025, 500 000 immigrants par année. Cette politique changera profondément le pays dans lequel nous vivons. Est-ce que les provinces, les territoires et les nations autochtones y souscrivent ? Quelles sont les mesures en place pour que l’accueil se fasse en douceur, dans les communautés concernées, sur le terrain ?

Les immigrants, mais également les réfugiés climatiques, les réfugiés provenant des zones de guerre, des dictatures et des théocraties ne seront pas moins nombreux dans l’avenir, au contraire. Oui, nous devons fournir notre part d’efforts. Mais quelle est-elle ? Alors que la Commission européenne a réussi à définir des critères pour déterminer la capacité d’accueil de chaque pays en Europe, quelle est la capacité d’accueil de chaque province ? Comment la définit-on ? Qui la définit ? Le fédéral seul ? Les provinces ? La société civile ?

Que pensent les autochtones de l’influence de cette politique d’immigration massive sur la pression qui sera exercée sur leurs terres traditionnelles, leur poids politique, leur capacité de préserver leurs langues ?

On estime qu’il faudrait que l’immigration francophone hors Québec soit à 12 % dès 2024 et à 20 % en 2036 pour que la population francophone retrouve son niveau d’il y a 20 ans. Elle est aujourd’hui à 4,4 %. Quelles sont les mesures qui permettront de préserver le poids du français au Canada⁠2, mais également le dynamisme culturel des communautés francophones, car la langue est plus qu’un moyen de communication, elle porte une culture ? La même question se pose pour la préservation de la place du français au Québec et le dynamisme de sa propre culture.

Le poids politique du Québec, lui aussi, est en jeu. Y pense-t-on un peu à Ottawa ?

Plus important encore, est-ce que les nouveaux arrivants sont accueillis dans un pays postnational, sans identité particulière, ou arrivent-ils dans un pays qui reconnaît l’importance de l’épanouissement des identités nationales autochtones et québécoise3 ?

Outre les problèmes d’organisation interne à Immigration Canada, il y a d’autres enjeux d’intendance cruciaux : a-t-on des places en garderie ou à l’école ? La régionalisation de l’immigration est-elle réussie ? Et qu’en est-il de notre capacité de loger les nouveaux arrivants ?

Selon un rapport de la Banque Royale, l’ampleur de la pénurie de logements locatifs au Canada pourrait quadrupler d’ici 2026 (c’est dans 36 mois !). Le taux d’inoccupation des logements au Canada était déjà, en 2022, à son plus bas en 21 ans. Cette même année, le prix des loyers connaissait sa plus forte augmentation dans l’histoire. Quels moyens se donnera le gouvernement fédéral pour ne plus entasser des migrants dans des hôtels ? Quels moyens prendront les gouvernements pour augmenter l’offre générale de logements (si je me fie aux derniers budgets fédéral et québécois, nous sommes très mal partis à cet égard) ?

Le gouvernement fédéral semble trop empêtré dans ses bons sentiments pour répondre aux questions posées ci-dessus. C’est plus facile pour lui de cibler des bons et des méchants. Pourtant, il y a urgence de prendre des décisions collectives.

Autant l’accueil des immigrants, qui est un choix, que celui des réfugiés, qui est un devoir, ne s’improvisent pas. Il faut profiter du fait que l’arbre ne cache plus tout à fait la forêt pour inciter tous les gouvernements à répondre à ces questions cruciales. Elles le sont pour les nouveaux arrivants, pour les sociétés d’accueil, pour l’avenir.

1. Lisez l’article de Mélanie Marquis 2. Lisez la chronique de Maxime Pedneaud-Jobin du 28 septembre 2022 : « La place du français au Canada » 3. Lisez la chronique de Maxime Pedneaud-Jobin du 12 novembre 2022 : « Immigration, le vrai conflit »