La semaine dernière, à Radio-Canada Mauricie–Centre-du-Québec, on se demandait si le conseil municipal de Trois-Rivières allait reprendre ses rencontres préparatoires et, le cas échéant, si elles seraient tenues en public ou à huis clos.

Non, ce n’est pas une question insignifiante. Il y a là un enjeu démocratique important, un enjeu qui n’est pas aussi simple que vous pensez. La question concerne presque toutes les villes en dehors de Montréal et de Québec (villes dont le système démocratique, de type parlementaire, est différent des autres).

Une rencontre ou un caucus préparatoire est une rencontre non officielle du conseil municipal tenue généralement juste avant le conseil formel. Comme le mot le dit, elle sert à préparer la rencontre à venir. Les élus y revoient chaque point à l’ordre du jour pour en clarifier les enjeux avec l’aide de la fonction publique municipale. La rencontre est généralement tenue à huis clos.

La pertinence de ce huis clos fait constamment débat, comme c’est le cas présentement à Trois-Rivières.

Le huis clos fait débat, car il pose deux défis : un défi de transparence évident qui le rend inapproprié et un défi de gestion qui le rend acceptable.

Défi de transparence

L’effet pervers de ces rencontres est qu’elles vont généralement beaucoup plus loin que la simple préparation du conseil. En effet, trop souvent, tous les vrais débats y ont lieu, débats qui se produisent donc à huis clos. Quand le conseil s’ouvre au public, les élus ne refont évidemment pas les discussions qu’ils viennent d’avoir et votent en rafale sur l’ensemble des points à l’ordre du jour.

Du point de vue de certains maires, c’est formidable. Les débats ont lieu en toute discrétion, les élus se « rallient » à la position majoritaire et, en public, le conseil a l’air uni comme un couple au premier jour de son mariage.

Du point de vue du citoyen (et de la démocratie), c’est absurde. Le citoyen n’entend aucun débat, n’a pas l’occasion de se familiariser avec les enjeux, il croit qu’il y a unanimité sur tout, même sur les questions qui sont, à l’évidence, controversées. Il a donc l’impression, pas toujours fausse, que tout est « arrangé avec le gars des vues ». Sauf pour des dossiers bien particuliers (ressources humaines, enjeux légaux, etc.), les décisions et les débats des conseils devraient toujours être publics.

Défi de gestion

Les pressions sont donc fortes pour que les conseils abolissent les rencontres préparatoires, comme à Trois-Rivières depuis quelques mois, ou encore qu’ils les tiennent en public, comme à Gatineau depuis plusieurs années. Dans les deux scénarios, un défi de gestion se pose.

Les élus préparent leur conseil quelques jours, sinon quelques heures, à l’avance. Abolir les rencontres préparatoires, c’est les priver d’un moment important d’échange avec les fonctionnaires. C’est souvent là que l’on confirme qu’on a bien compris les tenants et aboutissants des enjeux.

Par ailleurs, tenir la rencontre en public comporte aussi un danger.

Si les fonctionnaires ne s’en tiennent pas à des explications factuelles et expriment leurs recommandations, ils risquent de devenir des adversaires politiques de certains de leurs patrons. Cela arrive déjà, certains d’entre eux s’inscrivant parfois carrément dans la joute politique1.

Comprenez-moi bien, il va de soi que le public devrait avoir accès à l’expertise des fonctionnaires, mais uniquement sur le « comment », sur la mécanique. Le « quoi », l’objectif, appartient aux élus. Par exemple, les données financières de la Ville peuvent être expliquées en public par les fonctionnaires, mais le jugement sur leur signification (avons-nous un problème ou non ?) ainsi que les orientations à prendre (compressions, hausse de taxes, report de projets) appartiennent aux acteurs politiques.

La solution ?

Si les rencontres préparatoires à huis clos sont maintenues, aucun vote ni aucun débat ne devraient s’y tenir. Si le débat s’engage, la présidence du conseil devrait rappeler aux élus que le débat aura lieu à la rencontre officielle, en public, donc pas de débat à huis clos !

Si ces rencontres n’impliquent, pour les fonctionnaires, que des clarifications factuelles, elles peuvent être tenues en public. Toutefois, si elles portent sur les avis des fonctionnaires, elles devraient être tenues à huis clos. En public, les propositions ou les avis dont on débat devraient toujours être ceux des élus.

Pour une saine gestion de l’État, il faut préserver la capacité de l’administration publique de donner des avis francs aux élus, sans qu’elle se transforme du même coup publiquement en adversaire politique de certains d’entre eux.

À cet égard, il est intéressant de savoir qu’au fédéral, les avis que donnent les fonctionnaires à un ministre sont secrets… même le ministre du gouvernement suivant n’y a pas accès !

Parce que les villes d’autrefois étaient des administrations offrant certains services précis, les différends étaient rares et les objectifs communs. Alors que les villes se transforment en gouvernements de proximité où des visions d’avenir s’affrontent, les règles qui régissent leur conseil doivent s’adapter. Les débats doivent maintenant toujours se faire en public, mais il faut aussi s’assurer que les fonctionnaires restent des fonctionnaires.

1. Lisez l’article « Gatineau doit enlever ses “lunettes roses” dit la haute direction de la Ville », sur le site du Droit