Les couleurs étaient si vives lors de mon récent séjour au Cap-Haïtien qu’elles occupent encore mon esprit.

Le bleu de la mer. Le turquoise du fer forgé du portail de l’hôtel. Le vert des feuilles des innombrables arbres qui entouraient l’établissement et qui, d’une manière, le protégeaient.

Et puis, partout dans la ville, il y avait les couleurs, comme celles à travers un kaléidoscope, des panneaux publicitaires peints à la main et des œuvres murales rendant hommage aux grands personnages de l’Histoire d’Haïti – comme le roi Christophe et Toussaint Louverture – et à Michaël Benjamin, l’enfant chéri, mort sur scène à Paris en octobre dernier.

Quelles couleurs donne-t-on à l’anxiété ? Et à l’incertitude ? Parce qu’elles aussi étaient partout dans ce coin du nord-est du pays, loin de la capitale et des manchettes. Une anxiété et une incertitude palpables dans la collectivité, sans que l’on ne les nomme ni les murmure, mais qui sont tout à fait justifiées. Même moi, qui vois toujours le verre de ti-punch à moitié plein, je suis forcée de l’admettre.

Recommencer ailleurs

La diaspora haïtienne d’ici a contribué à bâtir le Québec moderne. L’immigration a si souvent été marginalisée ces derniers temps qu’il semble important de le rappeler. Encore récemment, elle démontrait ses capacités à la suite du décès de Fritznel Richard. Le demandeur d’asile a trouvé la mort non loin du chemin Roxham, en décembre dernier. Cette route, qui donne l’espoir du possible à plusieurs, est devenue celle de la fin pour M. Richard. Comme un orchestre, des leaders de la communauté haïtienne ont mené des efforts pour unir divers services et amasser des dons afin d’offrir des funérailles dignes au défunt et une somme à son épouse, qu’il tentait d’aller rejoindre lors de la tragédie. Trop de nos élus ont choisi de traiter le chemin Roxham comme une crise politique, mais cette histoire nous rappelle que la crise est humanitaire.

Que l’infortune de Fritznel Richard nous serve aussi, nous, les membres de la diaspora haïtienne, d’aide-mémoire. Celui de notre pouvoir lorsque nous unissons nos forces. Rarement ont-elles été aussi nécessaires.

Éclairer le tunnel

Les raisons qui ont mené à l’impasse dans laquelle Haïti se retrouve aujourd’hui sont nombreuses et il est important de les connaître. Le pays regorge de brillants historiens et, heureusement, ils continueront à faire ce devoir de mémoire. Mais ensemble, membres de la diaspora, nous nous devons de passer à l’action non pas en oubliant l’Histoire, mais en s’assurant que la rappeler ne nous ralentisse pas. Est-ce que la France, par exemple, devrait éliminer la dette d’Haïti ? Évidemment. Le revendiquer est une chose. Mais attendre ce dénouement n’est pas une solution aux problèmes immédiats du pays.

Le Canada est en position de tête pour diriger une éventuelle mission internationale en Haïti. L’anxiété et l’incertitude qui existent en Haïti sont aussi présentes au sein de la diaspora haïtienne, nourries par les (mauvais) souvenirs de missions précédentes, comme celle menée par les Casques bleus de l’ONU et à qui nous devons le choléra introduit en Haïti en 2012, responsable de la mort de près de 10 000 Haïtiens et qui en a affecté 820 000 autres.

Dans un entretien avec le Globe & Mail publié le 18 janvier, Bob Rae – l’ambassadeur du Canada aux Nations unies – disait au journaliste Steven Chase que les États-Unis, l’ONU et le Canada étaient en pourparlers afin de déterminer quelle forme d’intervention serait susceptible de donner les résultats les plus durables.

Les mots comptent et je préférerais qu’on parle d’accompagnement et non d’intervention.

Dans ce même entretien, l’ambassadeur Rae reprenait un principe que d’autres membres du gouvernement fédéral claironnent depuis des mois : le Canada insiste pour que l’approche utilisée, pour tous les éléments d’une solution, soit dirigée par des Haïtiens. Les concernés et les diverses diasporas haïtiennes à travers le monde le recommandent depuis longtemps. Le message semble avoir été compris, c’est rassurant.

Mais à quoi ressemblera cet accompagnement ? La diaspora a droit à une réponse. Et d’une seule voix, nous devons l’exiger. En 2002, selon la Banque de la République d’Haïti, ce sont 3,1 milliards de dollars américains qui ont été envoyés en Haïti, par les diverses diasporas haïtiennes – dont celles des États-Unis, du Chili et du Canada. Ces diasporas ne peuvent être vues comme étant de simples guichets automatiques. Elles – nous – représentent d’importantes parties prenantes qui peuvent et doivent être non seulement consultées, mais qui doivent et peuvent contribuer bien au-delà des fonds transférés chaque année. C’est notre responsabilité.

La communication comme levier

Il y a une chose que certains politiciens américains font particulièrement bien : les town halls. Ces rassemblements entre élus et électeurs, dans des arènes intimes (bien que télédiffusées), permettent aux dirigeants d’expliquer le plus complexe. Mais surtout, cet important exercice permet aux élus de mieux palper ce qui inquiète les personnes qui y participent et qui représentent un bon échantillonnage de la population. L’ancien président Barack Obama excellait aux town halls. Notamment à celui sur l’économie organisé par Facebook à Palo Alto, en 2011. Là, au milieu de gens de la Silicon Valley, Obama a pu répondre aux questions d’une génération inquiète. Il a pu parler de programmes gouvernementaux en place, de projections et, surtout, il a pu aller en profondeur – ce que les points de presse et scrums occasionnels ne permettent pas de faire.

La diaspora haïtienne au Canada mérite un town hall. Pour comprendre la suite et se faire entendre. Mais pour cela, la diaspora haïtienne doit mieux s’organiser et rappeler son influence. Notre diaspora est trop souvent fragmentée, divisée selon les classes socio-économiques et les allégeances politiques.

Ce problème de fragmentation ne nous est pas unique. D’autres communautés se reconnaîtront dans mes doléances. Ça ne les rend pas plus acceptables. Mettons ces divisions de côté.

La diaspora haïtienne au Canada mérite aussi un sondage. Il y a présentement une initiative américaine qui mérite d’être applaudie. Avec la participation de la Florida International University, un collectif d’organismes issus de la diaspora haïtienne vient de lancer un grand sondage. L’objectif est de mieux chiffrer l’apport de cette communauté et de mieux la comprendre, au-delà du dénombrement. Les résultats permettront d’établir un plan qui pourra amplifier la voix de cette communauté et son influence auprès des institutions gouvernementales, d’ONG, du monde des affaires et aussi auprès des médias.

La société civile en Haïti nous a aussi donné un exemple à suivre. L’Accord de Montana représente une recommandation possible pour résoudre une partie de l’impasse. Nous nous devons de l’appuyer dans ses recommandations et dans ses démarches.

La diaspora haïtienne d’ici en fait déjà beaucoup. Je pense notamment à l’essentielle Maison d’Haïti à Montréal, qui fête son 50e anniversaire cette année. Mais nous pouvons et devons en faire plus. Je nous souhaite d’être plus unis, mais surtout, soyons plus stratégiques. Quelle que soit la solution qui sera appliquée en Haïti, elle ne doit pas nous être présentée comme un fait accompli. Notre participation doit y être primordiale. Ne l’oublions pas.

* Message à la diaspora haïtienne

Lisez un dossier du New York Times Lisez « Bob Rae : Major military intervention in Haiti would not have sustainable impact » (en anglais) Lisez le texte du Trading Economics : « Haiti remittances » (en anglais) Lisez un article du England Journal of Medecine (en anglais) Écoutez Martine St-Victor à l’émission Plus on est de fous, plus on lit