En ce début d’année, l’absence d’élections depuis 2016 fait en sorte que les 10 derniers sénateurs élus ont terminé leur mandat. Il n’y a donc plus aucun élu en Haïti en ce moment. Il s’agit d’un vide politique qui donne le vertige.

Dire qu’il est très urgent qu’un consensus national émerge au sein de la société haïtienne est un euphémisme. Il y a six mois, j’ai exprimé mon opinion dans cette même section sur la lenteur désespérante des négociations entre les représentants de la société civile et du secteur privé et le premier ministre désigné, Ariel Henry1. Ce consensus se fait toujours attendre. Et que s’est-il passé depuis ce temps ?

Le premier ministre désigné Henry a rencontré le secrétaire général des Nations unies pour discuter d’une force internationale d’intervention. Du côté canadien, le premier ministre Justin Trudeau a rencontré aux Nations unies en septembre nos partenaires des Caraïbes pour les sonder sur la situation. La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a rencontré en octobre à Montréal son homologue américain, Antony Blinken. Ce dernier a demandé formellement au Canada d’assumer le leadership de cette force multinationale dont le mandat reste à définir.

Le Canada ne s’engagera pas tant qu’une entente formelle entre les différents acteurs politiques ne sera pas conclue. Par contre, le Canada a bougé concrètement.

Il a expédié en Haïti des équipements pour renforcer les capacités de la Police nationale d’Haïti (PNH). Grâce à cette assistance, la PNH a repris le terminal pétrolier de Varreux, permettant à la population de la capitale de retrouver un peu de normalité. Un nouvel envoi de matériel a eu lieu récemment. Toujours en octobre, le Canada a sanctionné des personnalités très connues, dont l’ancien président Michel Martelly et deux anciens premiers ministres : un geste fort qui commence à produire des effets.

Ce n’est pas une coïncidence si les manifestations violentes et les kidnappings ont diminué depuis deux mois. Nous avons dernièrement sanctionné d’autres personnalités haïtiennes. Deux délégations canadiennes se sont rendues à Port-au-Prince dans les derniers mois pour aider à débloquer les négociations. Lors du sommet des « Tres Amigos » (Biden-Trudeau-López Obrador), Haïti était à l’agenda des discussions, un signal important sur la gravité de la situation.

Soyons réalistes cependant. Ce n’est pas ce qui ramènera la stabilité en Haïti, mais ce sont des gestes concrets en attendant de voir où aboutiront les négociations entre ce qui reste du gouvernement haïtien et les représentants de la société civile.

Où en sommes-nous maintenant ?

Une lueur point peut-être à l’horizon. Le 31 décembre, un Haut Conseil de Transition (HCT) a été mis sur pied impliquant le premier ministre Henry et certains représentants de la société civile. C’est sûrement un premier pas positif, mais on est loin du consensus auquel on devrait s’attendre. Le HCT n’est composé que de trois membres à sa tête. Il doit être plus large et consensuel. Malgré cette timide avancée, la méfiance continue de régner.

Le premier ministre Henry est si controversé qu’on ne lui fait pas confiance. Bien qu’il ait pour le moment le soutien de la communauté internationale, ce soutien doit avoir des limites.

Le Canada et les États-Unis doivent exiger de sa part plus d’ouverture, notamment envers les partis politiques. Le mandat du HCT est trop vaste : revoir la Constitution, réformer la Cour de cassation, en plus de mettre sur pied un Conseil électoral provisoire. C’est une tâche gigantesque. Quant à l’échéancier, tenir des élections à la présidence, au Sénat et à la Chambre des députés en même temps dans le contexte haïtien dès décembre 2023 est irréaliste. J’en sais quelque chose, car comme ambassadeur du Canada, j’ai suivi de près deux campagnes électorales.

Si le HCT prend forme avec un appui élargi de la société civile, toutes les parties prenantes devront s’engager formellement à en respecter les conclusions. La communauté internationale doit appuyer et conseiller au besoin, sans plus. Que les Haïtiens prennent leurs responsabilités. Cette même communauté internationale devra ensuite s’engager de manière non équivoque et substantielle. L’organisation d’élections à trois niveaux nécessitera des dizaines de millions de dollars et des ressources humaines substantielles. Les attentes sont élevées, mais la patience et la persévérance devront être de rigueur.

À mon avis, des élections ne seront possibles que dans 18 à 24 mois au plus tôt, si le HCT peut livrer son mandat d’ici décembre prochain. Ça donne le temps de ramener un peu de sécurité à Port-au-Prince et dans le reste du pays.

Après 18 mois de querelles, il est temps qu’il se passe quelque chose de constructif. Pendant qu’on se dispute dans la capitale, les 10 millions d’Haïtiens ne demandent qu’un peu de sécurité, un accès à la santé, l’éducation et un emploi décent. Notre ancienne gouverneure générale Michaëlle Jean a exprimé récemment son opinion⁠2, disant que le temps presse et que le pays a besoin d’un front uni. Sur ce point, je lui donne entièrement raison.

1. Lisez la lettre de Gilles Rivard du 7 juillet 2022 : « Un an après l’assassinat du président d’Haïti : autre crise, autre impasse » 2. Lisez l’article de La Presse Canadienne Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion