La famille de Fritznel Richard, retrouvé mort près du chemin Roxham, a pu lui rendre un dernier hommage samedi

(Naples, Floride) Expulsé des États-Unis vers Haïti à un très jeune âge, Fritznel Richard a fait preuve de « résilience » en traversant une demi-douzaine de pays dans l’espoir d’améliorer son sort et celui de ses proches. Une vie qui s’est toutefois conclue de manière tragique à la veille du réveillon de Noël, non loin du chemin Roxham, au Québec.

Sous le chaud soleil de la Floride, à des milliers de kilomètres des forêts enneigées de la Montérégie où son corps avait été retrouvé le 5 janvier dernier, deux semaines après avoir été porté disparu, les cendres de Friztnel Richard ont été remises à sa veuve samedi.

Dans la petite salle d’un salon funéraire anonyme de Naples, sur la côte du golfe du Mexique, Guenda Filius s’est recueillie avec sa famille et ses proches, sous le regard de son mari, dont le portrait était posé sur l’autel.

PHOTO VINCENT LARIN, LA PRESSE

Visiblement en proie à une vive émotion et en pleurs tout au long de la cérémonie, Guenda Filius a reçu des mains du co-porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, Frantz André, l’urne contenant les cendres de son mari.

À l’instar de centaines de milliers de personnes migrantes, Fritznel Richard avait entrepris, il y a une quinzaine d’années de cela, un grand exode qui l’a mené d’abord en République dominicaine, puis au Brésil, au Mexique, aux États-Unis et finalement au Canada, ont raconté plusieurs de ses proches.

Solide, résilient et implacable

« Il était solide, résilient et implacable dans sa quête d’améliorer son sort et celui de sa famille. Au Mexique, il m’a dit : “Ils sont plus accueillants ici pour la communauté haïtienne” », s’est remémoré sa cousine et sœur adoptive, Guada, des trémolos dans la voix.

Il cherchait toujours un endroit plus accueillant pour la communauté haïtienne.

Guada, cousine et sœur adoptive de Fritznel Richard

« Et il aimait Guenda, Oh my gosh, il aimait Guenda », a conclu Guada.

« Il essayait très fort, il travaillait tout le temps. S’il a autant bougé, c’est qu’il voulait une meilleure vie », a expliqué à son tour son cousin Eduine Michel, évoquant la fois où il avait rendu visite à Fritznel, à Naples, qui résidait alors chez sa belle-famille.

Cette quête, entamée lorsqu’il a été expulsé des États-Unis vers Haïti à un jeune âge, a d’ailleurs mené Fritznel Richard dans la jungle du Darién, entre la Colombie et le Panamá. À cet endroit, lui et sa femme, qui l’a accompagné tout au long de ce périple à travers les Amériques, ont vu des atrocités, dont des corps d’adultes et d’enfants morts en chemin, a raconté Guada.

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Le salon funéraire de Naples où se sont recueillis les proches de Friztnel Richard

Friztnel Richard a perdu la vie en tentant de traverser la frontière entre le Canada et les États-Unis en pleine tempête, le 23 décembre dernier, une décision que sa sœur adoptive ne s’explique toujours pas.

Les derniers mois de la vie de l’homme, au Canada, restent d’ailleurs assez flous pour ses proches, alors qu’il leur disait qu’il s’en tirait plutôt bien. « Il me disait que c’était vraiment bien, que rien ne lui manquait, qu’il recevait des allocations du gouvernement pour payer ses factures », raconte Guada en référence à l’aide financière de derniers recours accordée aux demandeurs d’asile au Québec.

« Il essayait de me convaincre que tout était OK, mais ça ne l’était pas en fait », soupire-t-elle. « Je m’en suis rendu compte lorsque Guenda m’a appelée le 24 pour me dire qu’il l’avait appelée la veille en lui disant qu’il était en train de mourir. »

C’était le soir du 23 décembre, quelques instants après avoir été laissé à lui-même sur la montée Glass, à moins d’un kilomètre du chemin Roxham.

Un mirage devenu cauchemar

Ayant fait le voyage jusqu’en Floride pour remettre les cendres de Fritznel Richard à sa veuve, le porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, Frantz André, n’entend pas fermer le dossier de sitôt.

Le message que je vais amener aux politiciens, c’est qu’il faut parler de l’entente sur les tiers pays sûrs. À cause de cette entente, vous avez des morts.

Frantz André, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut

Rappelons qu’en vertu de cette entente signée entre Washington et Ottawa, les personnes qui traversent la frontière en dehors des voies officielles peuvent y présenter une demande d’asile sans être refoulées, d’où l’immense popularité du chemin Roxham, en Montérégie, pour entrer au Québec.

Or, de plus en plus de migrants tentent ensuite d’entrer de manière irrégulière aux États-Unis, à leurs risques et périls1, comme le montre l’exemple tragique de Fritznel Richard.

« Combien de Fritznel Richard sont morts dans les forêts en pensant que les États-Unis ou le Canada sont des pays d’opportunités et qui, quand ils arrivent, se rendent compte que c’est un mirage ? Et ce mirage devient même un cauchemar qui les amène à retourner dans un autre pays qui n’est pas plus sûr », poursuit Frantz André, attablé dans un hôtel de Naples.

L’homme entend se rendre à Miami dans les prochains jours pour y rencontrer des représentants de la communauté haïtienne, mais surtout des politiciens américains qu’il souhaite sensibiliser à l’importance de renégocier l’entente sur les tiers pays sûrs.

1. Lisez l’article « Un chemin risqué gagne en popularité »