À voir les réactions à ma chronique de dimanche1, j’ai cru un instant que j’étais revenu aux États-Unis et que j’entendais une foule de républicains qui scandaient : « Drill, baby, drill ! » chaque fois qu’on parlait d’énergie.

Parce que, dans l’imaginaire républicain, il suffit de forer pour trouver du pétrole et cela est la solution à tous les problèmes de consommation d’énergie, que ce soit pour s’éclairer, se chauffer ou se déplacer. Il n’y a pas de pénurie, il n’y a que les écologistes et gauchistes qui, pour des raisons obscures, auraient peur de forer pour trouver plus de pétrole. D’où le slogan « Drill, baby, drill ! »

Au Québec, c’est un peu la même chose dès qu’on parle d’économie d’énergie. Pour certains, ça ne peut être qu’une fumisterie puisqu’il suffit de bâtir plus de barrages pour avoir un approvisionnement inépuisable d’énergie propre et renouvelable.

Le problème, c’est que ce n’est plus possible. Il reste très peu de rivières qui ont un potentiel intéressant de développement hydroélectrique. Elles sont de plus en plus loin des consommateurs d’électricité et les travaux, en conséquence, coûteront de plus en plus cher.

Le vent sur cette question a commencé à tourner peu après l’élection de Jacques Parizeau en 1994 quand il a annoncé l’abandon du projet de Grande-Baleine, la phase deux du complexe de la Baie-James auquel Robert Bourassa avait donné le feu vert.

M. Parizeau avait cité deux raisons. D’abord, l’opposition des autochtones et l’explosion des coûts qui étaient passés d’une prévision de 7 milliards de dollars à 14 milliards. Avec des coûts qui passent du simple au double avant même le début des travaux, il était clair que la rentabilité du projet n’était plus assurée.

De toute façon, le projet était pharaonique. On parlait d’un réservoir – donc de terres immergées – ayant plus de deux fois la superficie du lac Saint-Jean. Difficile de prétendre que ce développement aurait eu peu d’effet sur la vie des autochtones qui habitent la région. Surtout que les autres installations de la Baie-James exigent actuellement d’inonder près de 10 000 km carrés.

À ce sujet, il faut noter que le territoire du Québec est relativement plat. Ce qui fait que si on veut créer des réservoirs suffisants pour assurer que les centrales fonctionnent toute l’année, il faut inonder de très grandes superficies. Ce qui était encore possible il y a un demi-siècle, mais aujourd’hui, cela est impensable pour des raisons d’acceptabilité sociale, sans compter les dommages à l’environnement.

Les Cris avaient tout de suite compris que tous ces éléments pouvaient jouer en leur faveur. Ils ont donc ciblé l’opinion publique américaine puisqu’une part considérable de l’électricité produite à Grande-Baleine était destinée au marché américain. Leur campagne – y compris l’arrivée du chef Matthew Coon Come descendant l’Hudson en canoë pour arriver à New York – a très bien fonctionné.

Mais beaucoup de gens ont tendance à croire que les revendications autochtones sont choses du passé. Que les autochtones trouvent désormais leur compte dans les grands projets d’Hydro-Québec. Ou encore que tout a été réglé par la Paix des Braves. Sauf que la Paix des Braves est une entente avec la seule nation crie. Il y a 10 autres nations autochtones au Québec.

Avec le développement de la Romaine qui achève sur la Côte-Nord, il y a peu de projets évidents dans les cartons. On parle essentiellement de deux rivières sur la Basse-Côte-Nord : la rivière du Petit Mécatina et la rivière Magpie.

Dans les deux cas, les Innus s’opposent catégoriquement à tout développement et, pour la Magpie, leur opposition est partagée par les élus de la MRC de Minganie.

Il y a, enfin, la possibilité de collaborer avec Terre-Neuve sur des projets comme Gull Island au Labrador, mais il faudrait pour cela régler le vieux contentieux touchant l’électricité produite à Churchill Falls qu’Hydro-Québec achète à un prix ridicule – un cinquième de cent le kilowattheure – sur la base d’un contrat qui expire en 2041.

Le différend est si vieux et si profond qu’il y a peu de chances qu’on puisse collaborer sur d’autres projets avant de régler celui de Churchill Falls même si le gouvernement Legault reconnaît que « 2041, c’est demain » et qu’il faut commencer à négocier.

Mais, en attendant, tout semble indiquer que le gouvernement Legault a fait son nid et qu’il va commander sous peu de commencer les études en vue de nouvelles centrales. Les programmes de conservation d’énergie ne semblent aucunement dans ses priorités, si on se fie tant aux déclarations du premier ministre qu’à celles de son ministre de l’Énergie.

Pourtant, Jacques Parizeau avait été l’un des premiers à comprendre que produire un kilowattheure allait coûter plus cher qu’économiser un kilowattheure. On en parlait peu à l’époque et aujourd’hui, de toute évidence, plusieurs restent à convaincre.

1. Lisez « Descendus du train à la station “Baie-James” »