J’ai toujours trouvé en Sophie Brochu une femme brillante avec une vision assez juste sur la gestion et le développement des ressources énergétiques au Québec.

Quand, il y a quelques mois, elle est sortie de sa réserve pour faire des frappes préventives avant l’arrivée de Fitzgibbon dans ses platebandes, elle a dit de façon imagée que le Québec ne gagne rien à se transformer en « Dollarama de l’électricité ». Une façon aussi de rappeler au superministre en devenir et à M. Legault, qui semble avoir une croyance aveugle en lui, la nécessité de trouver un juste équilibre entre économie et écologie.

Autrement dit, cette obsession pour le PIB de l’Ontario ne devrait pas amener le gouvernement à brader notre électricité en important des entreprises énergivores qui veulent du courant au rabais. Alors, on a beau se surpasser en contorsions intellectuelles pour nous faire croire que Sophie Brochu est partie en paix, le décalage entre sa vision et celle du duo Legault-Fitzgibbon a un petit quelque chose à voir avec son départ. Après sa nomination, on a senti le superministre bander ostensiblement ses muscles pour annoncer qu’il y avait désormais un mâle dominant dans les affaires d’Hydro-Québec. Aujourd’hui, comme dans la tradition du Thanksgiving, il doit remercier le ciel pour sa démission qui est un cadeau inespéré en ce début d’année.

Mais, au-delà de la bisbille, c’est le grand pouvoir que François Legault a confié à Pierre Fitzgibbon que je questionne dans ce texte. Je suis peut-être dans le champ, mais je crois qu’à cause de la personnalité de M. Fitzgibbon, ce n’est pas une bonne idée. Depuis son arrivée en politique, il se promène sous un nuage opaque et une certaine agressivité verbale qui en fait une personne aux antipodes de ce devoir d’humilité auprès de la population que M. Legault aime répéter aux élus de la CAQ.

Le superministre est probablement un économiste de talent qui est adoré des milieux d’affaires, mais il est également un politicien qui suscite beaucoup de malaise auprès de la population.

Pour s’en convaincre, il suffit de faire un petit tour sur les réseaux sociaux. Allez voir les réponses et réactions à son tweet où il tutoie Mme Brochu pour saluer son départ. Même si ce déferlement de mauvais mots à son égard n’est pas un sondage, il est indicateur d’une crise de confiance et M. Fitzgibbon gagnerait à comprendre qu’on ne dirige pas un ministère comme on gère une entreprise privée.

Quand des hommes d’affaires qui ont bien réussi économiquement débarquent en politique, il est coutume de les présenter comme des altruistes qui veulent mettre leur expertise au service du bien commun. Puisqu’ils sont indépendants de fortune, certains diront alors qu’ils sont là pour les bonnes raisons, car le trop maigre salaire ne peut être un incitatif à leur engagement. Malheureusement, cette vision est souvent plus poétique que véridique. Dans nos sociétés capitalistes, quand on a beaucoup d’argent, il reste quoi pour monter encore plus haut ? Il reste le pouvoir politique, qui permet d’avoir de l’influence même sur des gens plus riches que nous. Le grand pouvoir politique donne la possibilité d’ouvrir des portes à l’abri des regards, de récompenser, de favoriser, d’exclure et de faire trembler de peur par sa seule présence.

Beaucoup de gens riches entrent donc en politique pour se brancher sur cette autre fontaine de Jouvence qui est bien plus jouissive que le seul fait de disposer d’une grande fortune.

Ce que je viens de dire n’est peut-être pas le cas de M. Fitzgibbon, mais toutes ces incartades qui font la manchette laissent croire l’inverse.

Dans un numéro du dernier Bye Bye, avec son « Super-Fitzgibbon », Claude Legault a parodié ce « favoritisme » et cette confiance aveugle que M. Legault semble avoir pour son ministre à qui il pardonne beaucoup de fautes. Pour combien de temps ? Je ne sais pas. Chose certaine, les façons pas très ministrables de régler ses comptes avec ses critiques et adversaires dans les réseaux sociaux n’aident pas pour son image.

Si la tendance se maintient, le superministre risque un jour de se transformer en mégaproblème pour son gouvernement. Deux raisons m’amènent donc à souhaiter que M. Legault revienne sur sa décision et fragmente ce trop gros ministère. Premièrement, en ces temps de grandes turbulences climatiques et écologiques, laisser autant de pouvoir, dans un domaine aussi sensible, entre les mains d’un seul ministre, sans mécanisme de surveillance ou de modération, n’est pas une bonne idée. Deuxièmement, le gigantesque bassin d’élus de la Coalition avenir Québec ne manque pas de talents et de compétences pour s’occuper de l’innovation et de l’énergie et laisser à Pierre Fitzgibbon le portefeuille économique qui a toujours été au centre de sa vie professionnelle.

En attendant ce pieux rêve, je lui souhaite de retrouver une sagesse, une retenue et une transparence à la hauteur de ses trop grandes responsabilités. Je lui souhaite aussi d’avoir la délicatesse de ne pas essayer de remplacer Sophie Brochu par un de ses partenaires de chasse ou d’affaires. Une dernière chose. Retourner la société d’État à son système phallocratique traditionnel après le bref passage de Sophie Brochu serait, comme dirait mon ami Nicholas Bilodeau, un très mauvais move pour M. Legault.