Ce n’est pas normal. Pas normal que la démission de la présidente d’Hydro-Québec Sophie Brochu sème une telle inquiétude pour l’avenir de la transition énergétique du Québec.

Pas normal qu’on ait maintenant peur, à tort ou à raison, qu’un ministre utilise notre précieuse électricité pour attirer des entreprises plutôt que pour décarboner le Québec.

Pas normal que ces questions cruciales pour l’avenir de la province reposent sur la personnalité et la vision de quelques individus.

Les inquiétudes qu’on voit actuellement sont révélatrices d’un manque criant : l’absence de plan.

Un plan clair, solide et apolitique qui nous mènerait à nos objectifs climatiques. Un plan élaboré en collaboration avec des experts.

Un plan dont on aurait l’assurance qu’il reste sur les rails quand la dirigeante d’une société d’État quitte son poste, aussi compétente et respectée soit-elle. Un plan que des pays comme le Royaume-Uni ont établi et suivent avec succès.

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Legault n’a pas amélioré la gouvernance climatique.

Il a aboli Transition énergétique Québec, une société d’État qui, comme son nom l’indique, aurait pu piloter la transition énergétique du Québec si on lui avait accordé le mandat et les ressources pour le faire.

Il a aboli le conseil de gestion du Fonds vert, qui jetait un regard critique sur les dépenses consacrées à la réduction des gaz à effet de serre (GES).

Si le ministère de l’Environnement (ou celui de l’Énergie) avait rapatrié ces responsabilités pour prendre lui-même le taureau par les cornes, on applaudirait.

On sait, malheureusement, que ce n’est pas le cas.

Le Plan pour une économie verte du gouvernement Legault est essentiellement une liste de mesures qui ne sont pas arrimées aux objectifs climatiques. La preuve : ce plan ne permet d’atteindre que la moitié de nos cibles de réduction.

Devant ce vide, on en vient à croire que le plan stratégique d’Hydro-Québec est le document sur lequel doit s’appuyer la décarbonation du Québec. On nage ici en pleine confusion.

Le mandat d’Hydro-Québec est de produire, de transporter et de distribuer de l’électricité aux Québécois. Oui, cette électricité est un instrument essentiel de la transition.

Mais ce n’est pas à Hydro-Québec de planifier la décarbonation du Québec. Ce n’est pas Hydro-Québec qui décidera qu’il faut capter les gaz qui s’échappent de tous les dépotoirs du Québec. Ce n’est pas elle qui s’assurera que l’aménagement du territoire est compatible avec nos objectifs climatiques. Ce n’est pas elle qui découragera l’usage des véhicules énergivores sur nos routes par des mesures d’écofiscalité.

Ce n’est même pas Hydro-Québec qui prônera l’électrification des bâtiments et l’élimination graduelle du gaz naturel pour les chauffer, parce que cela complique sa gestion de la pointe hivernale et que la société d’État n’a aucun intérêt à se tirer elle-même dans le pied.

Ces mesures, qui n’ont jamais été prises, devraient l’être à plus haut niveau, par des gens qui regardent l’ensemble de la situation.

Devant un gouvernement qui privilégiait d’autres usages pour notre électricité, Sophie Brochu est devenue la grande défenderesse de la transition énergétique. Elle veut que notre énergie serve d’abord et avant tout cette cause. Cela l’honore et son engagement doit être salué.

Mais son implication est un symptôme du vide qui règne et du fait qu’aucune vision cohérente ne porte cet objectif.

Sophie Brochu a annoncé sa démission en disant avoir confiance dans le « comité sur l’économie et la transition énergétique » créé par François Legault pour concilier les différentes visions du rôle d’Hydro-Québec. Y siègent, en plus du patron d’Hydro-Québec, François Legault et quatre de ses ministres.

Nous sommes moins optimistes qu’elle. Ce comité a été créé dans l’improvisation pour calmer les doléances de Mme Brochu.

Malgré son nom pompeux, ne comptez pas sur lui pour accoucher d’un véritable plan de transition énergétique. Ce comité n’est aucunement une réponse aux problèmes de gouvernance climatique du Québec.

Il fallait d’ailleurs entendre François Legault, mercredi, affirmer que l’électricité du Québec doit servir à rattraper notre écart de richesse avec l’Ontario pour raviver certaines craintes.

Quand des politiciens prônent l’utilisation de notre électricité pour fabriquer massivement de l’hydrogène vert (Dominique Anglade) ou pour favoriser de façon démesurée l’attraction d’entreprises (Pierre Fitzgibbon), les experts s’arrachent les cheveux.

Sophie Brochu était un rempart contre ces dérives, mais elle ne pouvait pas être le seul.

Son départ nous montre l’urgence d’en ériger d’autres.

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