Quoi de mieux qu’une femme pour parler aux femmes ? C’est le calcul que Pierre Poilievre fait avec sa nouvelle campagne publicitaire dans laquelle il cède la parole à son épouse.

L’opération charme, extrêmement efficace, touche toutes les cordes sensibles. Sur un ton presque romantique, Anaida Poilievre y présente son mari comme un bon père de famille qui a grandi dans un milieu modeste en jouant au hockey. Comme un homme ouvert aux communautés culturelles et au Québec puisqu’elle-même a fui le Venezuela pour se réfugier à Montréal.

L’objectif est clair : adoucir l’image du chef conservateur pour séduire l’électorat plutôt centriste, en particulier les femmes qui restent moins entichées de lui, malgré la remontée de son parti dans les sondages depuis deux mois.

Depuis l’accession de Justin Trudeau au pouvoir, on n’avait pas vu l’aiguille bouger à ce point en faveur des conservateurs qui dépassent les libéraux de six points, selon le dernier sondage Léger. Or, seulement 33 % des femmes ont l’intention de voter conservateur, contre 38 % des hommes, un écart significatif de cinq points.

Si le chef conservateur « pogne » moins auprès de la gent féminine, c’est qu’il a souvent l’air d’être en beau fusil de chasse. Avec son ton belliqueux à la Chambre des communes, il envoie l’image d’un pitbull qui saute directement à la gorge de ses adversaires.

M. Poilievre a aussi le don de colporter de grossiers mensonges (pensez à sa ridicule comparaison entre le Canada et la Corée du Nord) et à mettre de l’avant des solutions radicales pour régler des enjeux complexes (pensez à sa dangereuse promesse de mettre le patron de la Banque du Canada à la porte pour vaincre l’inflation). Il a aussi la désagréable habitude de taper sur le clou en répétant ad nauseam les mêmes formules chocs (pensez à son « Justinflation »), ce qui devient agressant à la longue.

Mais au-delà de la personnalité de M. Poilievre, les femmes votent plus à gauche.

Ce phénomène qu’on appelle « l’écart moderne genré du vote » est largement documenté à travers l’Occident depuis les années 1980, notamment depuis l’élection du président américain Ronald Reagan. Sa position clairement à droite et antiavortement avait créé un écart de vote de huit points entre les hommes et les femmes.

Et cet écart s’est toujours maintenu aux États-Unis, pour culminer lors de l’élection de Donald Trump qui a obtenu 52 % de vote chez les hommes, mais seulement 41 % chez les femmes, un différentiel de 11 points. Son attitude dégradante envers les femmes a certainement joué. Mais il faut aussi souligner que M. Trump, comme beaucoup de chefs populistes à travers le monde, avait beaucoup misé sur le ressentiment des ouvriers moins qualifiés qui ont perdu leur gagne-pain à cause de la mondialisation. Or, il s’agit plus souvent d’hommes que de femmes, qui ont davantage des emplois dans le secteur public.

Le phénomène d’« écart genré » s’observe un peu partout, y compris au Canada et au Québec. Lors des élections de 2018, la Coalition avenir Québec a attiré moins de femmes (écart de 5 points avec les hommes) qui ont été plus nombreuses à voter pour Québec solidaire, selon l’analyse de l’ouvrage Le nouvel électeur québécois1.

Si les femmes votent plus à gauche, c’est qu’elles sont généralement plus progressistes, constatent les experts en sciences politiques.

Elles priorisent davantage des valeurs égalitaires et sont plus soucieuses de la défense des groupes minoritaires et défavorisés. Plus favorables à l’État providence, elles préfèrent des partis qui ont des politiques sociales fortes aux partis de droite qui sont moins interventionnistes.

Les femmes sont aussi plus réfractaires aux valeurs traditionnelles véhiculées par les mouvements de droite qui ont causé un grave recul du droit à l’avortement aux États-Unis. Même si nous n’en sommes heureusement pas là au Canada, certains députés conservateurs sont ouvertement antiavortement, notamment Michael Cooper pour qui la femme de M. Poilievre a d’ailleurs travaillé dans le passé.

Le chef conservateur a donc une côte à remonter pour gagner le cœur des électrices canadiennes. C’est d’autant plus important de les courtiser qu’elles ont un taux de participation aux élections plus élevé.

M. Poilievre peut bien enlever ses lunettes, changer sa coupe de cheveux et lancer une offensive de marketing politique pour adoucir son image. On le jugera sur ses véritables idées, pas sur son maquillage.

Comme dans La grande séduction, c’est en restant soi-même qu’on gagne le cœur des gens.

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