Revenu Québec affecte-t-il les ressources nécessaires pour enquêter sur les hébergements touristiques illégaux ?

La question se pose.

L’agence gouvernementale est responsable des inspections de logements sur Airbnb depuis 2018. Elle a aussi le pouvoir d’infliger des amendes à ceux qui ne se sont pas enregistrés auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) : jusqu’à 50 000 $ pour une personne physique, et de 1000 $ à 100 000 $ pour les autres.

Depuis 2020, le nombre d’inspections par Revenu Québec est passé de 4497 à 2855. L’agence explique cette baisse par la complexité des dossiers. Effectivement, alors que le nombre d’inspections diminuait, le montant des amendes augmentait, passant de 598 677 $ en 2020 à 5 465 400 $ en 2022-2023, ce qui laisse croire qu’on a pris de plus gros poissons. À Montréal seulement, il s’est distribué pour 1 989 750 $ d’amendes durant l’année qui a pris fin le 31 mars dernier. C’est beaucoup et peu à la fois.

Beaucoup quand on compare cette somme avec celle de 2020, mais peu quand on sait qu’il y aurait plus de 8000 logements offerts à Montréal, selon Inside Airbnb. Or de ce nombre, on estime que 70 % sont illégaux. Comme l’a très bien illustré notre collègue Isabelle Ducas la semaine dernière, on peut repérer sans trop de difficulté plusieurs annonces illégales.

Lisez l’article « Montréal s’attaque aux centaines d’Airbnb illégaux »

La question se pose donc : est-ce que Revenu Québec assigne suffisamment de ressources à ce dossier ? Et est-ce que ses inspecteurs sont efficaces ?

La Ville de Paris compterait une quarantaine d’inspecteurs et la Ville de Berlin, environ 35. Au Québec, 25 personnes travaillent au traitement des dossiers d’hébergement touristique. Et de ces 25, on ne sait pas quelle proportion est assignée à l’inspection car Revenu Québec refuse de divulguer ces informations « pour des raisons stratégiques », nous dit-on.

On peut se demander si c’est un nombre suffisant pour couvrir toute la province. Et si les inspecteurs sont suffisamment outillés pour traquer les contrevenants.

Dans ce contexte, l’arrivée d’une escouade montréalaise dédiée à l’inspection des logements touristiques est une bonne nouvelle. Créée par les arrondissements centraux de Montréal (Plateau-Mont-Royal, Ville-Marie et Le Sud-Ouest), elle a pour objectif de chercher les locations illégales offertes sur les plateformes numériques (Airbnb, Booking, Expedia, etc.). L’escouade de trois personnes répondra aux plaintes des citoyens acheminées par le service 311 et pourra même distribuer des amendes pouvant aller jusqu’à 1000 $. Mais elle sera surtout en mesure de monter des dossiers qu’elle pourra ensuite acheminer à Revenu Québec. Une excellente initiative, à condition qu’il y ait quelqu’un à l’autre bout pour traiter les dossiers…

Au lendemain du terrible incendie dans le Vieux-Montréal qui a coûté la vie à sept personnes, la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, a fait adopter une loi pour contrer l’hébergement touristique illégal dont certaines dispositions sont entrées en vigueur le 7 juin dernier.

Les locateurs doivent désormais afficher un numéro d’enregistrement, ils ne peuvent plus louer pour une période plus courte que celle pour laquelle ils ont obtenu un permis, et doivent obligatoirement avoir un représentant sur place au Québec.

La loi vise aussi à responsabiliser davantage les plateformes numériques en les obligeant à faire le ménage dans leur propre cour, une disposition qui sera appliquée dès septembre prochain.

Le temps nous dira si l’approche québécoise portera ses fruits, mais dans les villes européennes où on a réussi à contrôler la prolifération des locations touristiques illégales, c’est un mélange d’approches qui a donné des résultats : on a instauré un plafond du nombre de jours de location permis, on a instauré une certification ainsi qu’un registre des logements. Dans certaines villes on a également imposé une taxe. Sans oublier les inspections, primordiales si on veut attraper les contrevenants.

Et malgré tout cela, les plateformes comme Airbnb cherchent toujours des façons de contourner la réglementation. Et de compliquer la vie des différents ordres de gouvernement.

Dans l’essai Airbnb, la ville ubérisée, l’auteur Ian Brossat1, également chargé du logement à la mairie de Paris, explique que les villes européennes ont dû négocier âprement avec Airbnb pour arriver à des solutions. « Ces négociations se font de manière ad hoc, peut-on lire dans son ouvrage publié en 2018, Airbnb négociant souvent à huis clos avec chaque ville, faisant des concessions à l’une qui sont refusées à une autre. »

Tout ça pour dire que Montréal – et les autres villes québécoises où les Airbnb prolifèrent – n’est pas sorti du bois. Et qu’il faut absolument que Québec envoie un message clair en allouant des ressources à la hauteur du défi que représentent ces géants numériques qui participent à la crise du logement.

On a beau avoir la meilleure loi au monde, sans ressources, elle ne changera pas grand-chose.

1. Ian Brossat, Airbnb, la ville ubérisée, La ville brûle, Montreuil, 2018.

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